Plongez dans l’univers de l’œuvre majeure de Karl Marx, « Le Capital », un ouvrage qui a profondément marqué l’histoire de la pensée économique et politique. Ce texte explore la nature réelle du capitalisme, ses contradictions internes, et les mécanismes qui régissent la production de richesse et l’exploitation du travail. Découvrez les idées fondamentales de Marx et l’impact de son travail, depuis sa conception complexe jusqu’à ses diverses adaptations contemporaines. 🚀
Karl Marx et son Œuvre Monumentale : « Le Capital » 📚
« Le Capital. Critique de l’économie politique » (du titre original allemand Das Kapital. Kritik der politischen Ökonomie) est l’œuvre majeure du philosophe et théoricien de l’économie politique allemand Karl Marx. Consacrant plus de vingt ans de sa vie à son écriture, Marx n’en acheva qu’une partie de son vivant : le premier livre, publié le 14 septembre 1867, et dédié à Wilhelm Wolff. Ce volume initial se focalise sur le développement de la production capitaliste. Les livres suivants, le deuxième et le troisième, furent publiés posthument en 1885 et 1894 par Friedrich Engels, qui utilisa les brouillons de Marx. Les ébauches de Marx relatives à l’histoire des doctrines économiques, parfois considérées comme le « livre 4 du Capital », furent publiées par le socialiste allemand Karl Kautsky sous le titre « Les Théories de la plus-value » (en quatre volumes, de 1905 à 1910).
L’ambition de Marx était de déconstruire et de démontrer la nature profonde du capitalisme, en s’appuyant sur l’observation de l’industrie britannique contemporaine et de ses conditions de travail. Il s’est également appuyé sur les travaux de ses prédécesseurs en économie politique, comme David Ricardo ou Adam Smith, tout en les critiquant. Marx lui-même voyait son ouvrage comme « certainement le plus redoutable missile qui ait été lancé à la tête de la bourgeoisie ». C’est une œuvre qui continue de susciter des débats passionnés et des analyses critiques, plus d’un siècle et demi après sa première publication.
L’Architecture Évolutive du « Capital » 🏗️
Ce que nous connaissons aujourd’hui sous le titre « Le Capital » ne représente en réalité qu’une fraction du projet initial colossal de Marx, baptisé « Économie« . En raison de nombreuses contraintes – obligations matérielles, son engagement dans l’Association Internationale des Travailleurs (AIT), des problèmes de santé et d’autres vicissitudes – Marx n’a pu accomplir qu’une petite partie de ce qu’il avait prévu. Il y consacra pleinement quinze années, réparties de 1844 à 1879, alternant rédaction, recherche intensive et élaboration de brouillons. Marx était réputé pour être constamment insatisfait de son travail, le réécrivant sans cesse.
Le plan initial de l’œuvre a connu de nombreuses évolutions au fil des années. En 1845, Marx promettait un vaste ensemble politique en complément de ses théories économiques. Il avait même indiqué à l’éditeur Leske un ouvrage qui devait contenir onze thèses sur Feuerbach et une étude de l’État en onze parties, couvrant des sujets allant de la genèse de l’État moderne à la proclamation des droits de l’homme, en passant par la séparation des pouvoirs, les partis politiques et le droit de suffrage, jusqu’à l’abolition de l’État et de la société civile. Ce projet ambitieux fut cependant abandonné après l’échec du Printemps des peuples.
Dans son « Introduction générale à la critique de l’économie politique », Marx esquissa un plan en cinq parties :
- Déterminations des sociétés
- Catégories et classes de la société bourgeoise
- L’État, synthèse de la société bourgeoise
- La production et son rapport à l’international
- Le marché mondial
Puis, dans l’avant-propos du premier livre du Capital, publié en 1859, il présenta les six rubriques définitives de l’« Économie » :
- Capital
- Propriété foncière
- Travail salarié
- État
- Commerce extérieur
- Marché mondial
Chaque rubrique devait initialement former un livre d’une centaine de pages. Selon sa correspondance, ces six rubriques sont restées d’actualité pour Marx jusqu’en 1866. La première rubrique, « Le Capital », devait elle-même être subdivisée en trois sections : a. Valeur, b. Monnaie, c. Le Capital en général. Le travail s’est considérablement amplifié. Dans une lettre à Engels en 1859, Marx expliquait que « Le Capital » serait en quatre chapitres : a° généralités, b° la concurrence, c° le crédit et d° le capital-action. Les généralités du capital devaient être divisées en trois chapitres : processus de production, processus de circulation et profit.
En 1863, lors de la mise au propre, Marx n’avait achevé qu’une section du premier livre ou rubrique de l’« Économie ». Le plan de 1863 prévoyait que le premier livre aborderait également le travail productif et improductif, le processus de production et la plus-value, mais ces thèmes ne furent pas inclus. Débordé et parfois en questionnement, « Le Capital » souffrit de graves lacunes dans l’explication des phénomènes économiques. En 1866, Marx revit son plan à la baisse, indiquant que les principes ou généralités du Capital (première section de la première rubrique de l’« Économie ») se déclineraient en quatre livres : production, circulation, processus d’ensemble et histoire de la théorie. Chacun de ces livres s’amplifia en plusieurs volumes. Ce changement s’explique par le fait qu’il lui fallut six ans pour achever le premier livre du Capital, qui ne représentait que la première section du chapitre « Le Capital », la première rubrique de l’« Économie ».
Marx travailla ensuite modérément sur les livres II et III pour les mettre au propre, car le premier livre, seul achevé, fut un échec commercial. Ces travaux furent finalement publiés à titre posthume, les brouillons ayant été réarrangés par Engels.
Le Livre Premier : La Production du Capital 🏭
Le premier livre du « Capital », publié en 1867, est consacré au développement de la production capitaliste. La traduction française du Livre 1, parue en 1872 et révisée par Marx lui-même, est la seconde traduction de l’ouvrage, juste après la version russe, également publiée cette année-là. C’est la dernière traduction parue du vivant de Marx et la seule qu’il ait révisée. Les traductions suivantes, dans l’ordre chronologique, incluent le polonais (1884-1890), le danois (1885), l’espagnol (1886), l’italien (1886) et enfin l’anglais (1887).
A. La Marchandise et la Monnaie : Les Fondations de l’Échange 💰
Marx débute son analyse du capitalisme en partant du postulat que « La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s’annonce comme une immense accumulation de marchandise ». Cette première section du Livre Premier est dédiée aux bases de l’échange marchand.
1. La Marchandise : Une Brique Fondamentale 🧱
Une marchandise n’est pas n’importe quel produit du travail humain. C’est spécifiquement un objet produit dans le but d’être échangé, d’être vendu, et non d’être directement consommé par son producteur. Une marchandise possède donc une utilité, que Marx appelle la « valeur d’usage« , mais aussi une « valeur d’échange » (ou simplement valeur).
Selon Marx, ce qui détermine cette valeur d’échange est la quantité de travail humain qui a été nécessaire pour la produire, et qui s’est ainsi « cristallisée » en elle. Il affirme : « Tous ces objets [marchandises] ne manifestent plus qu’une chose, c’est que dans leur production une force de travail humaine a été dépensée, que du travail humain y est accumulé. En tant que cristaux de cette substance sociale commune, ils sont réputés valeurs (valeur d’échange) ». C’est ce qu’on nomme la théorie de la valeur-travail de Marx, qui s’inscrit dans la lignée des travaux d’Adam Smith et David Ricardo du XVIIIe siècle. Selon cette théorie, la seule caractéristique commune à toutes les marchandises, malgré leurs valeurs d’usage différentes, qui permet de les comparer pour déterminer leur valeur d’échange, est la quantité de travail humain matérialisé en chacune. La grandeur de la valeur d’échange est donc fonction de la quantité de travail nécessaire à la fabrication de l’objet, quantité mesurable par sa durée.
Cependant, cela ne signifie pas qu’une marchandise a plus de valeur si sa production prend plus de temps. Une marchandise produite par un travailleur malhabile n’acquiert pas plus de valeur simplement parce qu’il a mis plus de temps à la réaliser. Pour déterminer la valeur d’une marchandise, il faut considérer une force moyenne de travail, c’est-à-dire le temps de travail socialement nécessaire pour la production de toutes les marchandises de la société. Cette moyenne permet d’actualiser la valeur des marchandises en permanence, en tenant compte des évolutions de la productivité du travail. Une valeur fixe du travail humain fausserait sa véritable valeur, car la valeur d’une marchandise évolue avec le temps.
De plus, augmenter la quantité de marchandises produites ne suffit pas à augmenter leur valeur. Souvent, une augmentation de la production d’une marchandise donnée diminue sa valeur. Ce paradoxe s’explique par le fait qu’une augmentation de la production s’accompagne fréquemment d’une hausse de la productivité du travail. Cette augmentation de la productivité réduit le temps de travail nécessaire à la production de chaque marchandise, et donc la quantité de travail humain qu’elle contient, ce qui diminue sa valeur.
La marchandise dispose donc d’une double valeur : l’une liée à son utilité (valeur d’usage) et l’autre à la quantité de travail qu’elle contient (valeur d’échange). Cette dualité découle d’une double face du travail. Le travail qui crée la valeur d’usage est spécial et concret, répondant à un but particulier. En revanche, le travail considéré comme une simple dépense de force productive, un « travail abstrait » opposé au « travail concret », consiste à donner une valeur à la marchandise. Le travail humain en tant que tel n’a pas de valeur intrinsèque ; il ne devient valeur qu’en transmettant sa force dans un objet : « La force de travail de l’homme à l’état fluide, ou le travail humain, forme bien de la valeur, mais n’est pas valeur. Il ne devient valeur qu’à l’état coagulé, sous la forme d’un objet ». Grâce à cette valeur transmise par le travail à la marchandise, cette dernière peut être échangée, car toutes les marchandises reposent sur une substance de même nature : le « travail humain abstrait ». En tant que valeurs, toutes les marchandises sont des expressions égales d’une même unité, le travail humain, et sont interchangeables. Ainsi, une marchandise ne peut définir sa propre valeur qu’en se comparant à d’autres marchandises, en se posant comme valeur d’échange.
2. La Monnaie : L’Équivalent Universel 🪙
La monnaie est une marchandise spéciale, un équivalent universel qui permet d’exprimer la forme valeur générale. Toutes les marchandises tendent à trouver leur équivalence dans une seule et même marchandise. En remplaçant cette marchandise par la monnaie, on obtient la forme monnaie, où chaque marchandise a la même valeur qu’une certaine quantité de monnaie. Cependant, cette transformation masque la véritable origine de la valeur, un phénomène que Marx nomme le « fétichisme de la marchandise« . Le rapport social entre les producteurs, inhérent à la valeur, est dissimulé par la valeur monétaire, donnant l’impression que la valeur est une propriété matérielle intrinsèque de la marchandise.
3. Le Procès d’Échanges et la Circulation des Marchandises 🔄
Les marchandises échangées par l’homme sont celles auxquelles il ne trouve pas d’utilité directe. Elles deviennent alors des « porte-valeurs », des instruments d’échange permettant d’acquérir des biens utiles. La répétition constante de l’échange en fait une affaire sociale régulière, et au fil du temps, une partie des objets utiles est intentionnellement produite en vue de l’échange. C’est à ce moment que se séparent clairement l’utilité des choses pour les besoins immédiats (valeur d’usage) et leur utilité pour l’échange (valeur d’échange).
La monnaie ne rend pas les marchandises commensurables entre elles. C’est le travail abstrait présent dans la marchandise qui permet leur comparaison. La monnaie sert uniquement d’outil de mesure de la valeur produite par une quantité donnée de travail cristallisé dans la marchandise, mesurable par la durée du travail. Si l’or est considéré comme la marchandise remplissant la fonction de monnaie, il est à la fois la mesure des valeurs (monnaie idéale) et l’étalon des prix (instrument de circulation), le prix reflétant la quantité idéale d’or contenue dans une marchandise en fonction du travail qu’elle incorpore.
La monnaie permet la métamorphose de la marchandise : l’échange de la marchandise contre de l’argent. L’argent remplace la marchandise temporairement et élimine les problèmes de temps et d’espace inhérents au troc direct. « L’argent est sans limite parce qu’il est immédiatement transformable en toute sorte de marchandise ». L’argent est donc à la fois un moyen de paiement (lorsqu’il est reçu contre de la marchandise) et un moyen de circulation (lorsqu’il sert à acheter d’autres marchandises). Comme le résument Touati et Barot, « l’argent est l’universel concret, la forme abstraite réalisée ».
B. La Transformation de l’Argent en Capital : L’Émergence de la Plus-Value ✨
Après avoir analysé la transformation de la marchandise en argent, Marx explore dans cette section la transformation de l’argent en capital par l’intermédiaire de la plus-value. Il considère cette découverte de l’origine de la plus-value comme l’une de ses plus grandes conquêtes théoriques.
1. Du Commerce Simple au Cycle Capitaliste 🔄
« La circulation des marchandises est le point de départ du capital ». Le capital n’apparaît qu’au XVIe siècle, lorsque le commerce et la production marchande sont suffisamment développés, notamment avec l’ouverture du marché vers l’Amérique. Tout capital entre sur le marché sous forme d’argent.
Le processus qui transforme l’argent en capital est particulier. Alors que l’échange simple est un cycle Marchandise – Argent – Marchandise (M – A – M), où l’argent est un simple intermédiaire facilitant l’échange de marchandises de valeurs identiques, le capital naît d’un échange Argent – Marchandise – Argent’ (A – M – A’). Dans ce dernier cycle, A’ représente A (la quantité d’argent de départ) augmentée d’une plus-value. C’est par ce mouvement circulaire que l’argent se transforme en capital. Ici, la marchandise sert d’intermédiaire : le capitaliste achète une marchandise avec de l’argent, puis la revend contre une quantité d’argent supérieure.
L’échange simple (M – A – M) repose sur l’échange de marchandises, et son but est la consommation, la satisfaction d’un besoin. L’échange capitaliste, en revanche, repose sur l’échange d’argent, et son objectif est la création de plus-value. Pour le capitaliste, « La valeur d’usage ne doit donc jamais être considérée comme le but immédiat du capitaliste, pas plus que le gain isolé; mais bien le mouvement incessant du gain toujours renouvelé. ». Le capitaliste est un thésauriseur rationnel qui gagne la « vie éternelle de la valeur » en lançant sans cesse l’argent dans la circulation.
2. La Contradiction de la Formule du Capital ❓
La plus-value ne peut pas simplement naître de l’échange des marchandises. Sur le marché, chaque individu est à la fois acheteur et vendeur. Si un vendeur vend une marchandise à 10% au-dessus de sa valeur, il doit ensuite acheter une autre marchandise qui sera elle aussi 10% plus chère. Le gain réalisé lors de la vente est automatiquement transféré lors de l’achat d’une autre marchandise. L’origine de la plus-value ne se trouve donc pas dans l’échange, ni dans la vente d’une marchandise à un coût supérieur à sa valeur marchande. Le mystère est le suivant : la plus-value est réalisée alors que toutes les marchandises sont vendues à leur valeur !
3. L’Achat et la Vente de la Force de Travail 🤝
Le changement de valeur de l’argent dans l’échange capitaliste (A – M – A’) ne peut venir de l’argent lui-même, mais doit provenir de la marchandise. C’est la marchandise qui permet à l’argent de passer de la forme A à A’. La seule manière de créer de la plus-value est de trouver une marchandise ayant la particularité de créer elle-même de la valeur, « de sorte que la consommer, serait réaliser du travail et par conséquent, créer de la valeur ». Cette marchandise unique est la force de travail. Seule la force de travail a la faculté, une fois consommée, de créer de la valeur. La « force de travail » se définit comme « l’ensemble des facultés physiques et intellectuelles qui existent dans le corps d’un homme dans sa personnalité vivante, et qu’il doit mettre en mouvement pour produire des choses utiles ».
Pour que la force de travail puisse créer de la plus-value, elle doit être vendue volontairement à un possesseur d’argent qui l’emploiera pour produire une marchandise. Le possesseur de la force de travail et le possesseur d’argent sont des échangistes juridiquement égaux. Le propriétaire de la force de travail ne la vend que pour une durée déterminée, car s’il la vendait en bloc, il se vendrait lui-même et deviendrait esclave, transformant sa propre personne en marchandise. Pour maintenir sa personnalité, il doit seulement mettre sa force de travail temporairement à la disposition de l’acheteur.
De plus, pour que cet échange ait lieu, le propriétaire de la force de travail ne doit avoir d’autre choix que de la vendre pour pouvoir subvenir à ses propres besoins et la reproduire. Il ne doit posséder aucune autre marchandise, ni aucun moyen de production (outils, matières premières) lui permettant d’employer sa propre force de travail pour créer de la valeur (contrairement à l’artisanat médiéval). Pour produire et subvenir à ses besoins, il doit donc produire pour autrui en vendant sa force de travail.
« La transformation de l’argent en capital exige donc que le possesseur d’argent trouve sur le marché le travailleur libre, et libre à un double point de vue. Premièrement le travailleur doit être une personne libre, disposant à son gré de sa force de travail comme de sa marchandise à lui ; secondement, il doit n’avoir pas d’autre marchandise à vendre ; être, pour ainsi dire, libre de tout, complètement dépourvu des choses nécessaires à la réalisation de sa puissance travailleuse ». Le capital naît avec l’apparition du travailleur libre, qui vend sa force de travail sur le marché à des acheteurs possédant les moyens de production.
Comme toute autre marchandise, la force de travail a une valeur, déterminée par le temps de travail nécessaire à sa production. Ainsi, la valeur de la force de travail est mesurée par les biens nécessaires à sa reproduction. « Le temps de travail nécessaire à la production de la force de travail se résout donc dans le temps de travail nécessaire à la production de ces moyens de subsistance ». La valeur d’échange de la force de travail est donc mesurée par la quantité de travail nécessaire à la production des denrées alimentaires et autres besoins qui permettent à l’individu de restaurer sa force de travail et d’en créer de nouvelles. Ceci est crucial, car la force de travail est une marchandise mortelle et doit être reproduite pour que l’argent continue à se transformer en capital. Les forces de travail usées ou perdues doivent être constamment remplacées par un nombre au moins égal, ce qui inclut les moyens de subsistance des enfants des travailleurs pour perpétuer cette « singulière race d’échangistes » sur le marché. À ces frais de reproduction s’ajoutent les coûts liés à l’éducation et à la formation, augmentant la valeur d’une force de travail qualifiée en fonction du temps de travail de cette éducation.
C. La Production de la Plus-Value Absolue : Le Surtravail ⏳
Après avoir établi que le capital découle de la plus-value, Marx démontre dans cette section que la plus-value est générée par un excédent de travail, le surtravail, qui permet au capital de croître.
1. Le Procès de Travail et la Consommation Productive 🔧
Pour produire, le producteur a besoin de produits ayant déjà nécessité un travail antérieur, comme les matières premières. Par exemple, un tisseur a besoin de coton qui a été préalablement extrait. Les moyens de travail sont ce qui sépare le travailleur de son objet de travail. « Ce qui distingue une époque économique d’une autre, c’est moins ce que l’on fabrique, que la manière de fabriquer, les moyens de travail par lesquels on fabrique ». Ces moyens de travail modifient l’objet de travail, ce qui constitue le procès de travail. Ce procès s’achève avec la réalisation d’un objet utile, ayant une valeur d’usage.
Une valeur d’usage est le produit d’un procès de travail qui combine moyens de production et travail productif. Elle peut aussi être une condition du procès de travail, car tout moyen de production nécessite des valeurs d’usage. Ainsi, une valeur d’usage peut être à la fois le produit d’un travail et le moyen de production d’un autre.
Le travail, en usant les éléments matériels nécessaires à sa réalisation, les consomme. Cette consommation est dite productive, se distinguant de la consommation individuelle (pour jouissance personnelle). La consommation productive implique l’utilisation des moyens de fonctionnement du travail. « Le produit de la consommation individuelle est, par conséquent, le consommateur lui-même; le résultat de la consommation productive est un produit distinct du consommateur ».
En consommant la force de travail pour produire des valeurs d’usage, le capitaliste agit comme un producteur normal. Il s’assure que ses moyens de production, y compris la force de travail, effectuent un travail défini sans gaspiller les matières premières ni détériorer les outils au-delà de l’exigence. Le produit de ce travail appartient au capitaliste, et non au producteur. Le capitaliste loue la force de travail comme n’importe quel autre moyen de production, et en l’achetant, il acquiert indirectement ses produits. Le travailleur, quant à lui, ne donne que la valeur d’usage de sa force. Une fois sur son lieu de travail, sa force de travail ne lui appartient plus ; le capitaliste en dispose et peut en faire usage à sa guise.
2. Le Secret de la Plus-Value : Le Travail Non Payé 🤫
Pour fonctionner, la force de travail nécessite des frais d’entretien pour satisfaire ses besoins et se renouveler (nourriture, logement, vêtements, etc.), ce qui constitue sa valeur d’échange. L’individu vend sa force de travail pour subvenir à ses besoins. Le capitaliste calcule cette valeur au plus juste, c’est-à-dire le salaire de l’ouvrier : ce qu’il reçoit est strictement nécessaire à sa subsistance.
Mais le secret de l’origine de la plus-value réside dans la différence entre la quantité de valeur que le travailleur reçoit (sous forme de salaire) et la quantité de valeur qu’il peut produire. Si, par exemple, l’ouvrier produit en une demi-journée la valeur nécessaire à ses besoins journaliers, il peut néanmoins continuer à produire pendant une journée entière. « La valeur que la force de travail possède et la valeur qu’elle peut créer, diffèrent donc de grandeur ». Dans cet exemple, la valeur totale produite en une journée se répartit en deux parts égales : l’une pour le salaire, l’autre pour la plus-value empochée par le capitaliste. Cette opération est masquée par la confusion que le salaire est la paye pour « une journée de travail » entière!
Le capitaliste doit produire un objet utile, échangeable, c’est-à-dire une marchandise destinée à la vente. Mais cette production n’a d’intérêt pour lui que si la valeur de la marchandise produite dépasse la valeur des marchandises nécessaires à sa production (moyens de production et force de travail). « Il veut produire non seulement une chose utile, mais une valeur, et non seulement une valeur, mais encore une plus value ». En vendant des marchandises à une valeur d’échange qui équivaut à davantage de travail humain que ce qu’elles lui ont coûté, le capitaliste réalise sa plus-value. « Dès qu’elle se présente non plus simplement comme unité du travail utile et du travail créateur de valeur, mais encore comme unité du travail utile et du travail créateur de plus value, la production marchande devient production capitaliste, c’est-à-dire production marchande sous la forme capitaliste. ».
3. Capital Constant et Capital Variable : Les Composantes de la Valeur 📊
Le travail nécessaire pour produire les moyens de production est transféré au nouveau produit lors de sa fabrication. Par exemple, le travail pour extraire des matières premières ou fabriquer des machines est incorporé au produit final. Ainsi, chaque produit fini contient tout le travail nécessaire à sa réalisation. En plus de ce travail inclus dans les moyens de production et les matières premières, chaque produit contient également le travail propre au travailleur. La force employée par le travailleur transmet une valeur au produit.
La valeur des moyens de production transférée au produit est proportionnelle à leur utilité. Les moyens de production n’ont de valeur que s’ils sont suffisamment utiles pour créer des produits utiles. Leur valeur dépend de leur capacité à produire des objets utiles. Des moyens de production qui ne peuvent plus produire perdent leur valeur. Moins ils ont de valeur, moins ils en transmettent aux produits. Cela signifie que la valeur transmise par les moyens de production aux produits diminue à mesure que le moyen de production perd de son utilité. C’est visible avec les machines : la valeur qu’elles transmettent aux produits correspond à leur usure. Une machine transmettra l’ensemble de sa valeur, déterminée par le travail de sa fabrication, jusqu’à son usure complète, sans rien ajouter de plus.
« Les moyens de production ne transmettent de valeur au nouveau produit qu’autant qu’ils en perdent sous leurs anciennes formes d’utilité. Le maximum de valeur qu’ils peuvent perdre dans le cours du travail a pour limite la grandeur de valeur originaire qu’ils possédaient en entrant dans l’opération, ou le temps de travail que leur production a exigé. Les moyens de production ne peuvent donc jamais ajouter au produit plus de valeur qu’ils n’en possèdent eux-mêmes ».
Durant la production, la valeur d’échange des matières premières, des moyens de production, etc., est transférée à la valeur d’échange de la marchandise produite. Cette partie du capital, existant avant le processus de production, est appelée capital constant.
Avec l’emploi du seul capital constant, un produit ne ferait ressortir aucune valeur supplémentaire que celle de ses moyens de production. Pour qu’un produit obtienne une valeur supplémentaire, il est nécessaire d’employer un capital sous forme de force de travail. La partie du capital transformée par la force de travail change au cours de la production, car elle reproduit son équivalent et un excédent : la plus-value. C’est ce qu’on appelle le capital variable.
Le capital est donc composé d’une somme d’argent investie en capital constant (moyens de production) et d’une somme d’argent investie en capital variable (force de travail). À la fin du processus de production, la marchandise obtenue a une valeur déterminée par le capital constant et variable, à laquelle s’ajoute une plus-value. Le capital initial s’est ainsi transformé en un nouveau capital surévalué grâce à la plus-value. Sans plus-value, le capital initial ne se différencie pas du nouveau capital, et aucune valeur n’a été créée.
Le surtravail est le travail qui dépasse ce qui est nécessaire au travailleur pour satisfaire ses propres besoins. Cet excédent de travail est toujours effectué pour le capitaliste, et le produit de ce travail lui revient, et non au travailleur. L’excédent de valeur créé par ce surtravail est la plus-value.
4. Le Taux de la Plus-Value : Mesure de l’Exploitation ⚖️
Pour calculer le taux de la plus-value, le surtravail n’est pas rapporté à l’ensemble du capital constant, mais uniquement à la part du travail nécessaire à la subsistance du travailleur. « Le taux de la plus value est donc l’expression exacte du degré d’exploitation de la force de travail par le capital ou du travailleur par le capitaliste ».
Ce taux de plus-value est indépendant du capital constant, qui doit être considéré comme nul pour ce calcul. Un taux de plus-value peut être de 100%, par exemple, si sur une journée de douze heures, le travail nécessaire et le surtravail durent tous deux six heures. Dans ce cas, « L’ouvrier a donc travaillé une moitié du jour pour lui-même et l’autre moitié pour le capitaliste ».
Pour reproduire la force de travail (c’est-à-dire les subsistances dont le travailleur a besoin pour travailler le lendemain), le capitaliste avance un capital pour acheter cette force de travail. Le taux de plus-value indique ce que cette avance rapportera au capitaliste en termes de plus-value. Un taux de plus-value de 100% signifie que le capital alloué à la reproduction de la force de travail est égal à la plus-value appropriée par le capitaliste. Autrement dit, le travailleur emploie la moitié de son temps et de sa force pour ses propres besoins, et l’autre moitié en surtravail pour créer de la plus-value pour le capitaliste. Plus le taux de plus-value est élevé, plus le temps de travail du salarié est consacré à produire de la plus-value pour le capitaliste, et moins pour ses propres besoins. « Le taux de la plus-value détermine donc la somme de plus-value produite par un ouvrier individuel, la valeur de sa force étant donnée ».
À l’échelle d’une entreprise, la plus-value correspond à celle réalisée par le capital variable (le capital employé pour acheter la force de travail). La plus-value réalisée par un capital variable dépend du nombre de travailleurs employés et de la plus-value que chaque travailleur individuel rapporte, laquelle dépend du taux de plus-value (temps alloué à la production de plus-value).
Marx formule cette loi : « la somme de la plus-value produite par un capital variable, est égale à la valeur de ce capital avancé, multipliée par le taux de la plus-value, ou bien, elle est égale à la valeur d’une force de travail, multipliée par le degré de son exploitation, multipliée par le nombre des forces employées conjointement ».
Pour obtenir une même masse de plus-value, le capitaliste peut soit appliquer un taux élevé sur un nombre réduit d’ouvriers, soit un taux moindre sur un plus grand nombre d’ouvriers. Ainsi, « une diminution du capital variable peut donc être compensée par une élévation proportionnelle du taux de la plus-value ou bien une diminution des ouvriers employés, par une prolongation proportionnelle de leur journée de travail ». Inversement, « une diminution du taux de la plus-value n’en affecte pas la masse produite, si le capital variable ou le nombre des ouvriers employés croissent proportionnellement ».
Cependant, le capitaliste doit employer un nombre minimal d’ouvriers pour obtenir sa plus-value. La journée de travail étant limitée à 24 heures, même un taux de plus-value très important ne permettra jamais à quelques ouvriers de produire autant de plus-value en une journée que de nombreux ouvriers, même avec un taux réduit. La valeur rapportée par un capital variable dépend donc principalement du nombre d’ouvriers.
5. La Journée de Travail : Un Champ de Bataille ⚔️
La limite minimum de la journée de travail correspond à la partie travaillée pour le renouvellement de la force de travail, c’est-à-dire pour les besoins vitaux du travailleur. La limite maximum, bien que dépendant des bornes physiques et morales de la force de travail, est beaucoup plus élastique. Elle n’est déterminée que par le rapport de force entre le capitaliste et le travailleur. La force de travail, en tant que marchandise spéciale, ne peut être consommée indéfiniment sans périr. Le travailleur use donc de son droit de vendeur en exigeant une diminution de la journée de travail.
Il y a un conflit d’intérêts fondamental entre l’acheteur (capitaliste) qui veut utiliser sa marchandise (force de travail) au maximum, et le vendeur (travailleur) qui veut préserver l’emploi de sa force. La loi est incapable de les départager car elle ne fait que réguler les modalités de l’échange. Finalement, seule la force (le rapport de pouvoir) permet de déterminer qui des deux peut profiter de son droit. « Voilà pourquoi la réglementation de la journée de travail se présente dans l’histoire de la production capitaliste comme une lutte séculaire pour les limites de la journée de travail, lutte entre le capitaliste, c’est-à-dire la classe capitaliste, et le travailleur, c’est-à-dire la classe ouvrière ».
En l’absence de lois pour limiter leur droit d’user librement de la force de travail, les capitalistes n’hésitent pas à faire travailler les ouvriers (hommes, femmes, enfants) jour et nuit, jusqu’à l’épuisement, la maladie ou la mort. « La prolongation de la journée de travail au-delà des bornes du jour naturel, c’est-à-dire jusque dans la nuit, n’agit que comme palliatif, n’apaise qu’approximativement la soif de vampire du capital pour le sang vivant du travail ». Le capitaliste instaure donc le travail continu par roulements de la force de travail.
Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, les entrepreneurs ont même réussi à prolonger la journée de travail par la loi, comme avec la création des Workhouses. La lutte pour une journée de travail « normale » n’a véritablement commencé en Angleterre qu’à partir de 1833 avec le Factory Act, qui régulait le travail des enfants. Cependant, cette loi était souvent contournée et n’a permis de timides améliorations qu’après plusieurs révisions dans les années 1850. La législation anglaise inspira ensuite des réglementations dans d’autres pays, comme la loi française des douze heures lors de la révolution de février 1848.
D. La Production de la Plus-Value Relative : L’Intensification du Travail 📈
Au-delà de la simple prolongation de la journée de travail, Marx montre que la plus-value permettant la croissance du capital est également générée par d’autres moyens, notamment l’augmentation de la productivité du travail. C’est la plus-value relative.
1. Plus-Value Absolue vs. Plus-Value Relative 📉
La plus-value absolue est celle produite par la simple prolongation de la journée de travail. La plus-value relative, en revanche, est obtenue par la diminution du temps de travail nécessaire pour produire un même produit. Elle modifie la proportion entre le temps de travail nécessaire et le surtravail au sein d’une journée, sans augmenter la durée totale de cette journée. Seule une hausse de la productivité des travailleurs permet cette augmentation de la plus-value relative. Cette hausse de productivité permet de produire plus en un temps donné, ou de produire le même produit en moins de temps. La force de travail nécessaire par produit est réduite, entraînant une baisse des prix puisque chaque produit contient moins de travail.
En augmentant la productivité du travail, la valeur de la force de travail diminue indirectement. Le capitaliste, cherchant constamment la plus-value, cherche à diminuer les prix de ses marchandises, ce qu’il ne peut faire qu’en augmentant la productivité. Cette réduction des prix impacte la valeur de la force de travail, car le prix des moyens de subsistance (nécessaires à la reproduction de la force de travail) diminue également. Par conséquent, la valeur de la force de travail diminue parallèlement à la baisse des prix de ses moyens de subsistance, car sa valeur est déterminée par son renouvellement. Si le coût d’entretien (nourriture, logement, vêtements) d’un ouvrier diminue, son salaire baisse également.
De plus, l’augmentation de la productivité du travail réduit le temps nécessaire pour reproduire la force de travail. Le travailleur a besoin de moins de travail pour produire les biens nécessaires à ses propres besoins, ce qui accroît la part du surtravail. « Le développement de la force productive du travail, dans la production capitaliste, a pour but de diminuer la partie de la journée où l’ouvrier doit travailler pour lui-même, afin de prolonger ainsi l’autre partie de la journée où il peut travailler gratis pour le capitaliste ».
2. La Coopération : La Force du Collectif 🤝
L’origine de la production capitaliste est marquée par la réunion d’un grand nombre de travailleurs pour produire un même objet. « La production capitaliste ne commence en fait à s’établir que là où un seul maître exploite beaucoup de salariés à la fois, où le procès de travail, exécuté sur une grande échelle, demande pour l’écoulement de ses produits un marché étendu. Une multitude d’ouvriers fonctionnant en même temps sous le commandement du même capital, dans le même espace (ou si l’on veut sur le même champ de travail), en vue de produire le même genre de marchandises, voilà le point de départ historique de la production capitaliste ».
Pour que cette coopération se développe, un seul capitaliste doit disposer de suffisamment de capital pour subvenir aux besoins de ses salariés et concentrer des moyens de production importants. Le travailleur est ainsi contraint de travailler pour le capitaliste à double titre : d’abord parce qu’il a été dépossédé des moyens de production, ensuite parce qu’il doit s’intégrer à la nouvelle organisation sociale de la production.
Les hommes travaillant ensemble produisent davantage que s’ils travaillaient séparément. « Cela vient de ce que l’homme est par nature, sinon un animal politique, suivant l’opinion d’Aristote, mais dans tous les cas un animal social ». Cette augmentation proportionnelle du travail due à la coopération est d’autant plus profitable au capitaliste qu’il ne paie l’ouvrier que pour son travail individuel, et non pour le travail collectif supplémentaire découlant de la coopération.
3. Division du Travail et Manufacture : Spécialisation et Déshumanisation ⚙️
La période manufacturière, selon Marx, s’étend du milieu du XVIe siècle au dernier tiers du XVIIIe siècle, une époque où la manufacture prédomine. Elle se caractérise par l’introduction de la division du travail dans l’organisation de la production. La manufacture réunit dans un même lieu divers métiers, les faisant travailler de concert sous la dépendance d’un capitaliste.
Une manufacture peut être composée d’artisans aux métiers divers et indépendants dont les tâches sont désagrégées et simplifiées, ou d’artisans d’un même métier dont la tâche est décomposée en opérations diverses, chaque opération étant isolée. L’artisan voit sa fonction réduite à une action spécialisée, l’éloignant de ses compétences polyvalentes antérieures. « De produit individuel d’un ouvrier indépendant faisant une foule de choses, la marchandise devient le produit social d’une réunion d’ouvriers dont chacun n’exécute constamment que la même opération de détail ».
La tâche d’un travailleur est décomposée et simplifiée à l’extrême, répétée toute la journée. En disposant du matériel adapté, le travailleur parcellaire réduit les temps morts et gagne en habileté, devenant plus productif. Parallèlement à ces gains de productivité pour le capitaliste, la force de travail perd de sa valeur, car sa fonction est limitée et simple, nécessitant peu d’apprentissage. Le temps alloué à la reproduction de la force de travail (son éducation) est réduit, ce qui permet d’allouer plus de temps au surtravail et d’accroître la plus-value.
La particularité de la division manufacturière du travail est que le produit du travail du travailleur parcellaire n’est pas une marchandise en soi. Il le devient par la coopération de l’ensemble des travailleurs sur le produit. Pour employer suffisamment de force de travail capable de coopérer, le capitaliste doit concentrer d’importants moyens de production, qui étaient auparavant disséminés entre les travailleurs indépendants.
Le régime de la manufacture se caractérise donc non seulement par la nécessité pour le travailleur de se vendre au capitaliste (n’ayant plus les outils de production), mais aussi par l’obligation de faire partie d’une organisation du travail spécifique à la manufacture. Par la division du travail, le capitaliste s’approprie un nombre croissant de travailleurs, accentuant la domination du capital sur le travail. « Dans la manufacture l’enrichissement du travailleur collectif, et par suite du capital, en forces productives sociales a pour condition l’appauvrissement du travailleur en forces productives individuelles ».
Les manufactures hétérogènes (où des marchandises formées de plusieurs pièces sont assemblées) sont imparfaites et génèrent peu de gains de productivité. En revanche, les manufactures sérielles (où les marchandises parcourent des phases de développement connexes, comme la fabrique d’épingles) sont parfaites, car elles maximisent l’utilisation du travailleur parcellaire et sa productivité.
« La division du travail suppose l’autorité absolue du capitaliste sur des hommes transformés en simples membres d’un mécanisme qui lui appartient ». La manufacture exige le maintien de l’ordre face aux risques d’indiscipline des travailleurs. C’est l’intervention des machines qui finira par « supprima la main-d’œuvre comme principe régulateur de la production sociale ».
4. Machinisme et Grande Industrie : L’Ère de la Machine 🤖
Comme tout le capital constant (matières premières, bâtiments), la machine ne produit pas de valeur ; elle ne fait que transférer une partie de sa propre valeur au produit. La valeur de la machine est progressivement disséminée dans tous les produits qu’elle a créés, sans pour autant avoir créé la moindre valeur nouvelle. Cette valeur transmise est calculée à partir des frais d’entretien (usure, matières premières) et de la quantité de travail humain contenue dans la machine pour sa fabrication. Moins la machine dure longtemps, plus la valeur transmise par produit est faible. En effet, la machine ayant une valeur fixe, plus elle fonctionne longtemps, plus elle transfère sa valeur à un grand nombre de produits, et plus la valeur qu’elle transfère dans chaque produit est réduite. Ce processus n’abaisse pas la valeur du produit, mais y ajoute une valeur supplémentaire. « Au lieu de le rendre meilleur marché, elle (la machine) l’enchérit (le produit) en proportion de ce qu’elle vaut ».
Si les machines sont employées, c’est avant tout pour leur plus grande capacité productive. Le machinisme conduit à remplacer le capital variable (travailleur vivant) par du capital fixe (machines, bâtiments, matières premières), poussant un grand nombre de travailleurs au chômage. Paradoxalement, l’emploi de la machine ne génère aucune plus-value, car seul le travail humain en est créateur. Par conséquent, le machinisme tend à réduire la plus-value que le capitaliste peut s’approprier. Pour résoudre cette contradiction, le capitaliste doit, avec un nombre réduit d’ouvriers, s’approprier davantage de plus-value en allongeant la part de surtravail (le travail non payé) dans le travail total. Pour augmenter la part de surtravail non payé, le capitaliste a deux moyens : allonger la journée de travail ou augmenter l’intensité du travail. L’objectif est de produire davantage en étant payé moins cher pour le travail effectué. C’est ainsi que le prix des marchandises peut baisser.
« Comme tout autre développement de la force productive du travail, l’emploi capitaliste des machines ne tend qu’à diminuer le prix des marchandises, à raccourcir la partie de la journée où l’ouvrier travaille pour lui-même, afin d’allonger l’autre où il ne travaille que pour le capitaliste. C’est une méthode particulière pour fabriquer de la plus-value relative ».
Pour maximiser le profit de la machine, le capitaliste doit l’utiliser le plus intensivement possible : pour éviter son usure naturelle, pour réduire l’impact des nouvelles machines qui pourraient déprécier la sienne, et pour absorber une plus grande quantité de surtravail. Tous ces facteurs poussent le capitaliste à exiger un allongement de la journée de travail. Cet allongement ne nécessite pas de frais supplémentaires en capital fixe. « Non seulement donc la plus-value augmente, mais les dépenses nécessaires pour l’obtenir diminuent ». L’allongement de la journée de travail permet de faire fructifier plus rapidement le capital en absorbant toujours plus de plus-value, et plus le capital fixe (machines) est important, plus l’allongement de la journée permet de renouveler ce capital rapidement.
Avec l’avènement de la machine, dont la force productive est bien supérieure à celle de l’homme, la valeur de la force de travail est dépréciée sur le marché. Le travail des femmes et des enfants s’est normalisé avec la baisse des salaires due à la concurrence des machines. Alors que le salaire d’un homme suffisait auparavant pour faire vivre une famille et générer de la plus-value, l’extension du machinisme a poussé des familles entières au salariat et au surtravail. « C’est ainsi que la machine, en augmentant la matière humaine exploitable, élève en même temps le degré d’exploitation ». Le machinisme, à la suite de la division du travail, réduit la force de travail à une aptitude partielle et facile à employer, ce qui amoindrit sa valeur d’échange.
« L’emploi capitaliste du machinisme altère foncièrement le contrat, dont la première condition était que capitaliste et ouvrier devaient se présenter en face l’un de l’autre comme personnes libres, marchands tous deux, l’un possesseur d’argent ou de moyens de production, l’autre possesseur de force de travail. Tout cela est renversé dès que le capital achète des mineurs. Jadis, l’ouvrier vendait sa propre force de travail dont il pouvait librement disposer, maintenant il vend femme et enfants; il devient marchand d’esclaves ».
Le travail des femmes et des enfants est particulièrement adapté à ce nouveau mode de production car ils sont moins payés que les hommes adultes, ce qui permet d’extraire davantage de plus-value, et s’adaptent rapidement aux machines faciles à utiliser. Le développement du machinisme voit ainsi augmenter le nombre de femmes et d’enfants travailleurs dans de nombreuses industries, tandis que l’emploi d’hommes adultes diminue.
Ces transformations de l’organisation sociale de la production ont également des répercussions sur l’économie mondiale. Le machinisme pousse à accroître la production de matières premières (les machines étant de grandes consommatrices), réduit les prix des marchandises fabriquées, et développe les moyens de communication pour vendre toujours plus de produits sur des marchés élargis. Ces facteurs incitent les capitalistes à conquérir de nouveaux marchés dans des pays éloignés, souvent dotés d’une faible productivité du travail. Cependant, l’introduction du machinisme dans ces pays déprécie la force de travail indigène, qui devient incapable de rivaliser avec l’industrie des pays plus développés. La production de ces pays se tourne alors vers les matières premières qu’ils vendent aux pays industrialisés, créant une nouvelle division internationale du travail : une partie se limite à la production agricole et minière, tandis que l’autre se concentre sur la production industrielle.
Cette nouvelle division internationale du travail, combinée à une production croissante, rend le marché instable et sujet à des crises fréquentes. Une période d’activité normale est suivie d’une période de prospérité (forte production due aux débouchés), puis d’une période de surproduction (produits invendus), menant à des crises de faillites et de chômage, avant une nouvelle stagnation. Les crises sont de plus en plus fréquentes avec le développement du machinisme et de la concurrence capitaliste. L’instabilité de ce mode de production anarchique affecte également l’ouvrier, dépendant des variations du cycle industriel. La source de ces crises réside dans la lutte acharnée des capitalistes pour maximiser leurs profits en baissant les prix, les poussant à utiliser des machines toujours plus performantes pour supplanter les ouvriers.
Alors que certains économistes défendent une « loi de compensation » selon laquelle les ouvriers déplacés par les machines retrouveraient forcément de l’emploi ailleurs, Marx observe que s’ils parviennent à éviter le chômage, c’est souvent pour occuper des emplois « d’esclaves domestiques modernes ». Avec le machinisme, l’ouvrier devient esclave de la machine et n’intervient plus directement sur le produit. « Dans la manufacture et le métier, l’ouvrier se sert de son outil ; dans la fabrique, il sert la machine ». La machine impose le rythme de travail, et l’ouvrier est contraint de le suivre sous peine de retenues sur salaire. L’environnement de travail est insalubre (particules, bruit, accidents fréquents).
La lutte des ouvriers contre la machine, initialement dirigée contre le moyen matériel de production, s’est ensuite orientée vers le mode social de production. Il a fallu une période d’attaques directes contre les fabriques avant que les ouvriers ne revendiquent des augmentations de salaire. L’ouvrier a finalement distingué la machine comme source d’augmentation de la production de son emploi capitaliste comme source d’appauvrissement et de chômage.
Le développement de la grande industrie supprime la coopération fondée sur la division du travail. La manufacture et le travail à domicile sont mis à l’épreuve et doivent s’adapter. Les conditions de travail dans les manufactures s’aggravent en raison de la concurrence accrue, tandis que le travail à domicile dépend des commandes des fabriques et de leurs fluctuations. Les ouvriers de ce mode de production sont tour à tour submergés de travail ou contraints au chômage. « Là, il [le capitaliste] peut donc recruter d’une manière systématique une armée industrielle de réserve, toujours disponible, que décime l’exagération du travail forcé pendant une partie de l’année et que, pendant l’autre, le chômage forcé réduit à la misère ».
L’ensemble des conséquences du machinisme sur la vie sociale pousse la société à se protéger de sa propre dégradation. Des lois sur les fabriques sont mises en place, limitant la journée de travail, encadrant le travail des enfants et encourageant leur éducation. Cependant, cette législation est souvent tardive, imparfaite et inefficace en raison du faible nombre d’agents de contrôle, ce qui rend son respect rare. Pire, ces lois, visant initialement à limiter les effets négatifs du machinisme, peuvent paradoxalement aggraver le problème. En limitant le travail des enfants, les capitalistes sont incités à remplacer l’homme par la machine pour maintenir leurs profits. Cette législation pousse les industriels à investir davantage en capital pour compenser les pertes liées à la limitation de l’emploi des enfants. Seules les grandes entreprises peuvent investir autant, condamnant de nombreux artisans et PME à la surexploitation ou à la faillite, et accentuant la concentration des capitaux entre les mains des grandes entreprises.
Dans l’agriculture également, l’emploi capitaliste de la machine se développe et détruit des emplois. « Dans l’agriculture moderne, de même que dans l’industrie des villes, l’accroissement de productivité et le rendement supérieur du travail s’achètent au prix de la destruction et du tarissement de la force de travail ».
E. Recherches Ultérieures sur la Production de la Plus-Value 🔍
Au sein du système capitaliste, le travail est considéré comme productif s’il génère une plus-value, et non plus seulement s’il est utile. Cette plus-value n’apparaît que lorsque le travailleur a produit suffisamment pour subvenir à ses propres besoins. Ce n’est qu’à partir de ce moment que le travailleur peut produire pour autrui, effectuant un surtravail qui engendre la plus-value. Le fondement du système capitaliste est la prolongation de la journée de travail de manière à ce que le travailleur produise plus que ce qu’il lui faut pour subsister. Ce surplus de travail, le surtravail, est approprié par le capitaliste. La journée est ainsi divisée en deux parties : le travail nécessaire et le surtravail.
Lorsque la journée de travail ne peut plus être allongée pour générer de la plus-value absolue, le capitaliste cherche d’autres moyens de s’approprier de la plus-value. Il développe des méthodes permettant au travailleur de produire plus dans le même temps et pour le même salaire. Cette méthode génère de la plus-value relative. Le travailleur n’a plus besoin d’allonger son temps de travail pour produire suffisamment de plus-value ; il doit accroître la capacité productive de sa force de travail. Dans les deux cas, le résultat est le même : le surplus de production du travailleur ne lui revient pas, il est approprié par le capitaliste.
« La production de la plus-value absolue n’affecte que la durée du travail, la production de la plus-value relative en transforme entièrement les procédés techniques et les combinaisons sociales. Elle se développe donc avec le mode de production capitaliste proprement dit ».
L’existence même de la plus-value est subordonnée à un accroissement des forces productives, c’est-à-dire à une augmentation de la productivité du travail par des progrès technologiques ou une meilleure organisation du travail. Sans une force productive suffisante pour subvenir à ses propres besoins, le travailleur ne pourrait pas effectuer de surtravail pour autrui. Ce n’est qu’avec un degré de productivité suffisamment élevé que peuvent apparaître les premières classes possédantes de la force de travail, comme les esclavagistes, les seigneurs féodaux ou les capitalistes. Une classe de propriétaires n’existe que si les forces productives sont suffisamment développées pour libérer une partie de la population du travail, une fois que le travail est socialisé et non plus seulement individuel.
Cependant, cela ne signifie pas qu’un travail productif génère automatiquement du surtravail. Certaines sociétés n’ont pas eu besoin de surtravail pour subvenir à leurs besoins. De même, un travail très productif peut ne générer aucune plus-value si aucun surtravail n’est nécessaire aux besoins de la société. Ce n’est donc pas la productivité du travail qui est la source de la plus-value, mais le surtravail. Ce n’est qu’avec le surtravail que le travail génère une plus-value pour autrui.
Le rapport entre la plus-value et la force de travail est déterminé par trois facteurs :
- La durée du travail
- Le degré d’intensité du travail
- Son degré de productivité
Les variations de ces facteurs augmentent ou diminuent la part de surtravail dans la journée.
La formule du taux de la plus-value est : P / V = Plus-value / Capital Variable = Plus-value / Valeur de la force de travail = Surtravail / Travail Nécessaire.
F. Le Salaire : Illusion de l’Équivalence 💸
Le salaire est versé à l’ouvrier en contrepartie de son travail effectué, mais il ne rétribue en réalité que le travail nécessaire, et non le surtravail. Il donne cependant l’impression à l’ouvrier que l’intégralité de son travail est rémunérée. « Le rapport monétaire dissimule le travail gratuit du salarié pour son capitaliste ».
Le salaire au temps est le rapport entre la valeur journalière de la force de travail et la durée de la journée de travail. Si le salaire au temps est bas, l’ouvrier doit travailler plus pour s’assurer un salaire à peine convenable.
Le salaire aux pièces découle du salaire au temps. Il est payé si les pièces produites sont en bon état, et l’ouvrier est congédié si le nombre de pièces est insuffisant. Le salaire aux pièces garantit au capitaliste la qualité et l’intensité du travail, rendant la surveillance superflue et favorisant le travail à domicile. Il encourage également l’augmentation de la productivité, ce qui, paradoxalement, fait baisser la valeur du produit et, par conséquent, le salaire de l’ouvrier.
Plus la production capitaliste est développée dans un pays, plus la valeur relative de l’argent est faible. Le prix du travail peut sembler bon marché, mais il est en fait supérieur à celui des autres pays.
III. L’Accumulation du Capital et ses Lois 🔄
A. Reproduction Simple et Accumulation 💰
Pour produire de manière continue, le capitaliste doit constamment retransformer une partie de ses produits en moyens de production. Par ce processus, le capitaliste produit et reproduit la force de travail. Son objectif est de « limiter la consommation individuelle des ouvriers au strict minimum », afin que l’ouvrier puisse reproduire sa force de travail. Si la plus-value est entièrement dépensée par le capitaliste, on parle de reproduction simple : le processus de production se reproduit à l’identique, et la plus-value reste constante.
En revanche, si le capitaliste ne dépense pas l’intégralité de la plus-value qu’il a appropriée, il la capitalise, c’est-à-dire qu’il la réinvestit dans le processus de production. Cela lui permettra d’en retirer une quantité croissante de plus-value. C’est grâce à cette capitalisation de la plus-value que se produit l’accumulation du capital. Certains considèrent que le capitaliste doit pratiquer l’abstinence, c’est-à-dire s’efforcer de consommer le moins possible de la plus-value pour la capitaliser, résistant à la tentation de la consommation ostentatoire. « Si le prolétaire n’est qu’une machine à produire de la plus-value, le capitaliste n’est qu’une machine à capitaliser cette plus-value ». Plus le degré d’exploitation de la force ouvrière est élevé, plus le capital provenant de la plus-value est capitalisé, et plus le capital avancé est grand, plus l’accumulation sera importante.
B. La Loi Générale de l’Accumulation Capitaliste : Armée de Réserve Industrielle et Paupérisation 📉
Face à l’accélération de l’accumulation, l’excès de capital peut entraîner une insuffisance de travail offert, ce qui devrait provoquer une hausse des salaires et une baisse proportionnelle du travail gratuit. Cependant, plus le capital s’accumule et se concentre, plus la part attribuée au capital variable diminue au profit du capital constant. Il se constitue alors une surpopulation relative, une « armée de réserve industrielle« . Cette armée appartient « au capital d’une manière aussi absolue que s’il l’avait élevée et disciplinée à ses propres frais ». Elle fournit une « matière humaine toujours exploitable et toujours disponible ». Le capitaliste a donc intérêt à l’apparition de cette surpopulation.
Il en résulte la loi générale suivante : l’armée de réserve industrielle est d’autant plus nombreuse que la richesse produite, l’accumulation du capital, le nombre absolu de la classe ouvrière et la productivité de son travail sont considérables. Plus cette réserve grossit, plus le paupérisme officiel s’accroît.
Le cas de l’Angleterre illustre bien cette loi. Alors que la classe ouvrière y était en surnombre et que sa productivité s’est accrue, le nombre de personnes imposées a augmenté de 20% entre 1853 et 1861, témoignant du mouvement d’accumulation du capital et de l’augmentation de la richesse produite. Parallèlement, le nombre de personnes inscrites sur la liste officielle des pauvres a augmenté de 14% entre 1855 et 1865.
Pour les classes ouvrières et les mineurs, les conditions de travail sont insoutenables, et leurs conditions de vie sont effroyables. Les quantités de nourriture absorbées sont inférieures aux seuils de maladies d’inanition. Quant aux logements, « plus l’accumulation du capital est rapide, plus les habitations ouvrières deviennent misérables ». Les ouvriers et mineurs sont entassés dans des baraques insalubres, qu’ils louent à des prix élevés, et qui sont des foyers de maladies (vérole, fièvre scarlatine, choléra). En cas de crise, même les ouvriers les mieux payés doivent se rendre dans les « workhouses » pour obtenir de la nourriture qu’ils ne peuvent plus se procurer.
Avec l’abolition des Corn Laws, le capital et le machinisme ont massivement investi les campagnes. Les salaires des ouvriers agricoles se sont effondrés, et leurs conditions de vie sont devenues telles que les hommes sont mieux nourris dans les prisons anglaises. Expropriés, la destruction de leur habitat leur pose autant de problèmes de logement que pour les ouvriers.
IV. L’Accumulation Primitive : Les Origines Sanglantes du Capital 🩸
Le processus de production capitaliste suppose l’avance d’un capital par le capitaliste, ce qui implique nécessairement une accumulation primitive. « Cette accumulation primitive joue dans l’économie politique à peu près le même rôle que le péché originel dans la théologie. Adam mordit la pomme, et voilà le péché qui fait son entrée dans le monde ».
A. L’Expropriation de la Population Campagnarde 🏞️➡️🏙️
Les capitalistes ont spolié l’Église de ses biens, aliéné les domaines de l’État, et pillé et enclos les terrains communaux pour se les approprier. Ce processus a conduit à l’expropriation de la population rurale, la poussant vers l’industrie des villes.
B. Législation Sanguinaire et Lois sur les Salaires ⚖️
En Angleterre, une succession de lois condamne le vagabondage. Ces lois soumettent les hommes errants à la torture, à l’emprisonnement, à l’esclavage, et parfois même à la mort, alors que leur vagabondage résulte de leur propre expropriation. Ironiquement, cette expropriation est le fait des capitalistes, qui sont par ailleurs les juges qui les condamnent.
De même, des lois fixent les salaires des ouvriers, avec des plafonds à ne pas dépasser sous peine d’emprisonnement pour l’ouvrier et même le patron ; aucune loi ne fixe de salaires minima.
C. Genèse des Fermiers Capitalistes 👨🌾➡️💰
En Angleterre, après la chute du système féodal, le fermier est d’abord un bailli (un serf), puis il devient un métayer, c’est-à-dire un fermier qui avance le capital et le fait fructifier. Avec l’usurpation des parties communales, il accroît son bétail et en tire des profits. Au XIXe siècle, la dépréciation de la monnaie due à celle des métaux précieux entraîne une baisse des salaires (y compris ceux des ouvriers) tandis que les prix des produits agricoles augmentent. Le fermier capitaliste s’enrichit donc rapidement.
D. Contrecoup de la Révolution Agricole sur l’Industrie 🏭
Suite à leur expropriation des terres, les cultivateurs sont transformés en salariés par la révolution agricole. Devenus des marchandises, ils sont attirés dans les villes, formant ainsi le marché intérieur pour le capital industriel.
E. Genèse du Capitaliste Industriel 🤑
La propriété privée est traditionnellement fondée sur le travail personnel. En revanche, la propriété des capitalistes est fondée sur le travail d’autrui. C’est par l’expropriation des travailleurs, le pillage des richesses et des hommes des colonies, et la perception de l’usure que le capital industriel se développe progressivement et prend le contrôle de la production capitaliste. Le capital arrive au monde « suant le sang et la boue par tous les pores ».
F. Tendance Historique de l’Accumulation Capitaliste 📈➡️💥
L’accumulation capitaliste procède par l’expropriation du peuple travailleur. La « propriété privée capitaliste » est « fondée sur l’exploitation du travail d’autrui, sur le salariat ». L’évolution du capital tend vers sa concentration et sa mondialisation, entraînant « l’entrelacement de tous les peuples dans le réseau du marché universel ». Cette dynamique s’accompagne d’un accroissement de « la misère, l’oppression, l’esclavage, la dégradation, l’exploitation », mais aussi d’une « résistance de la classe ouvrière sans cesse grossissante ».
Au terme du développement du capitalisme, « le monopole du capital devient une entrave ». Le mode de production doit alors changer, et la propriété capitaliste doit devenir propriété sociale. Le capitalisme s’est constitué par « l’expropriation de la masse par quelques usurpateurs » ; sa chute sera « l’expropriation de quelques usurpateurs par la masse ».
G. La Théorie Moderne de la Colonisation 🌍
« La richesse coloniale n’a qu’un seul fondement naturel : l’esclavage ». L’étude de l’émergence du capitalisme dans les colonies démontre pour Marx que « le mode de production et d’accumulation capitaliste, et partant la propriété privée capitaliste, présuppose l’anéantissement de la propriété privée fondée sur le travail personnel ; sa base, c’est l’expropriation du travailleur ».
V. Au-Delà du Livre Premier : La Circulation et la Critique 🌀
A. Livre Deuxième : La Circulation du Capital 🔄
Le Livre II du Capital aborde la circulation du capital dans une économie capitaliste, expliquant comment il se reproduit et s’élargit. Le résumé disponible dans les sources s’appuie sur la version française des Éditions sociales (tome 1 traduit par Erna Cogniot en 1953, tome 2 par C. Cohen-Solal et Gilbert Badia en 1954). Il existe une autre traduction par Maximilien Rubel chez Gallimard, qui classe différemment les manuscrits de Marx.
Le Livre I a déjà présenté la circulation du capital sous la forme A — M — A’, c’est-à-dire l’achat de marchandises et la revente. Le cycle du capital-argent se décompose en trois stades :
- Premier stade : Le capitaliste intervient sur le marché des marchandises et du travail en tant qu’acheteur ; son argent se transforme en marchandise, réalisant l’acte de circulation A-M.
- Deuxième stade : Le capitaliste consomme de manière productive les marchandises achetées. Il agit en tant que producteur de marchandises capitaliste ; son capital accomplit le processus de production. Le résultat est une marchandise dont la valeur est supérieure à celle de ses éléments producteurs.
- Troisième stade : Le capitaliste retourne sur le marché en tant que vendeur ; sa marchandise se transforme en argent, réalisant l’acte de circulation M-A.
La classe capitaliste se présente sur le marché et achète de la force de travail (T) auprès des ouvriers, ainsi que les moyens de production nécessaires (Mp) auprès d’autres capitalistes. Après cette série d’achats, où l’argent est converti en marchandise (comme dans la circulation simple), le capital-argent, désormais sous forme de capital productif (en nature), quitte la sphère de la circulation. « Par la transformation du capital-argent en capital productif, la valeur-capital a pris une forme en nature, sous laquelle elle ne peut continuer à circuler, mais doit entrer en consommation, nous voulons dire en consommation productive. L’emploi de la force de travail, le travail, ne peut se réaliser que dans le procès de travail ».
VI. Idées Maîtresses et Débats Autour du « Capital » 🤔
Les conclusions de Marx dans « Le Capital » sont retentissantes : le capitalisme est un système instable, qui aliène les êtres humains, et dont la base est « l’expropriation des travailleurs » sous la forme du système de salaire. Marx prédit que le capitalisme devra être remplacé par un mode de production fondé sur la propriété commune, substituant le travail salarié par le travail libre et coopératif.
Les relations entre la théorie du fétichisme de la marchandise et la théorie de la valeur ont suscité des débats intenses. Selon Isaak Roubine, dans ses « Essais sur la théorie de la valeur de Marx » (1928), « La théorie du fétichisme est, per se, la base de tout le système économique de Marx, et en particulier de sa théorie de la valeur. ».
A. Critique : Le Problème de la Transformation ❓
Le troisième volume du Capital est particulièrement controversé. Son dixième chapitre, en particulier, est critiqué par certains économistes (qu’ils soient partisans ou détracteurs de Marx) qui estiment que Marx contredit sa propre théorie fondamentale de la valeur en tentant de résoudre le problème de la transformation, formulé par Conrad Schmidt et mentionné dans le premier volume du Capital. Ce « problème de la transformation » fait référence à la difficulté de concilier la théorie de la valeur-travail (où la valeur est déterminée par le temps de travail) avec les prix de production réels observés dans le capitalisme.
VII. La Vie et l’Influence d’une Œuvre Phare 🌍
A. Publications, Censure et Traductions 🌐
La première publication du Capital eut lieu en 1867 à Hambourg, en Allemagne, avec un tirage de 1000 exemplaires qui mit cinq ans à être écoulé. La première publication du Capital hors d’Allemagne eut lieu en 1872 en Russie. Curieusement, cela s’est produit malgré la censure russe qui interdisait toute publication propageant les « doctrines pernicieuses du socialisme et du communisme » et celles excitant « l’hostilité entre une classe et une autre ». Les deux censeurs qui ont lu le livre l’ont jugé inoffensif : l’un pensait qu’il ne serait pas lu ni compris, l’autre qu’il critiquait le capitalisme au Royaume-Uni et n’était pas pertinent en Russie où le capitalisme n’était pas encore implanté. Ils le jugèrent strictement scientifique. Le succès fut pourtant immédiat : Poliakov écoula ses 3000 exemplaires du premier tirage en moins d’un an.
Comme mentionné précédemment, Marx a lui-même révisé la traduction française du Livre 1, publiée en 1872, ce qui en fait la seule traduction qu’il ait supervisée. Les traductions ultérieures incluent le polonais (1884-1890), le danois (1885), l’espagnol (1886), l’italien (1886) et l’anglais (1887).
B. Adaptations : Une Œuvre qui Traverse les Médiums 🎭
L’influence du « Capital » ne se limite pas aux cercles académiques ou militants. L’œuvre a été adaptée dans des formats inattendus, témoignant de sa résonance continue :
- Au Japon, « Le Capital » a été adapté en bande dessinée sous la forme d’un manga en deux tomes, intitulé « Le Capital », dessiné par le collectif Variety Artworks et publié par East Press en 2008. Il a été traduit en français chez Soleil en 2011.
- En Suisse, « Le Capital » a été transformé en une comédie musicale pop, « KARL MARX. Das Kapital als Musical ». Le spectacle, mis en scène par Michel Schröder et accompagné par l’ensemble musical Freies Musiktheater de Zurich, a tourné dans de grandes salles de théâtre suisses telles que la Fabriktheater Rote Fabrik, le Theater Tojo de Berne, le Théâtre de Vidy, le Südpol Luzern et le Theater Chur.
Ces adaptations modernes illustrent la persistance des thèmes et des interrogations soulevées par Marx, qui continuent de trouver un écho dans la culture populaire et artistique. 🌟