Honoré de Balzac : Plongée dans la Vie et l’Œuvre d’un Géant Littéraire 📖✨
Honoré de Balzac, né le 20 mai 1799 à Tours et décédé le 18 août 1850 à Paris, est sans conteste l’une des figures les plus monumentales de la littérature française du XIXe siècle. Romancier, critique d’art, dramaturge, essayiste, journaliste et imprimeur, il a laissé derrière lui une œuvre romanesque imposante, avec plus de quatre-vingt-dix romans et nouvelles, principalement regroupés sous le titre évocateur de La Comédie humaine. Au-delà de cette œuvre magistrale, il a également produit les Cent Contes drolatiques, des romans de jeunesse sous pseudonymes et une vingtaine d’œuvres ébauchées.
Balzac était un maître du roman français, explorant divers genres, du philosophique avec Le Chef-d’œuvre inconnu au fantastique avec La Peau de chagrin, en passant par le poétique avec Le Lys dans la vallée. Mais c’est surtout dans la veine du réalisme qu’il a excellé, avec des chefs-d’œuvre tels que Le Père Goriot et Eugénie Grandet. Son projet littéraire, tel qu’il l’explique dans l’avant-propos de La Comédie humaine, était d’identifier les « espèces sociales » de son époque, à l’instar de Buffon et de ses espèces zoologiques. Inspiré par Walter Scott, qui lui révéla la « valeur philosophique » que pouvait atteindre le roman, il ambitionnait d’explorer les classes sociales et leurs membres, afin d’« écrire l’histoire oubliée par tant d’historiens, celle des mœurs » et de « faire concurrence à l’état civil ». Cet article vous propose un voyage approfondi dans la vie, les œuvres et les idées de cet écrivain hors norme.
Biographie : De Tours à Paris, une Vie d’Écriture et de Tumultes 👶✒️
La vie d’Honoré de Balzac fut aussi dense et complexe que son œuvre. Marquée par des ambitions démesurées, des défis financiers constants et de nombreuses liaisons, elle a profondément nourri son processus créatif.
Enfance et Jeunesse (1799-1819) 📚🏡
Honoré de Balzac est né en 1799 à Tours, fils de Bernard-François Balzac et d’Anne-Charlotte-Laure Sallambier. Son père, secrétaire au Conseil du roi et directeur des vivres aux Armées, avait changé le nom original de la famille, Balssa, en Balzac avant la Révolution. À 50 ans, il épousa Anne-Charlotte, âgée de seulement 18 ans. Si son père se disait athée et voltairien, sa mère était décrite comme « mondaine et amorale », attirée par les magnétiseurs et les illuministes.
Dès sa naissance, Honoré fut mis en nourrice et ne regagna le foyer familial qu’en 1803. Cet épisode marqua profondément l’écrivain, lui laissant le sentiment d’avoir été délaissé par sa mère, une thématique qu’il explorera à travers le personnage de Félix de Vandenesse dans Le Lys dans la vallée. L’aîné de quatre enfants, Honoré entretenait une relation privilégiée avec sa sœur cadette, Laure, qui lui apporta un soutien indéfectible et publiera sa biographie en 1858.
De 1807 à 1813, Balzac fut pensionnaire au collège des oratoriens de Vendôme, sans jamais rentrer chez lui. Là, il dévora une quantité impressionnante de livres, développant une « faim que rien ne pouvait assouvir ». Cependant, ces lectures intensives provoquèrent une « congestion d’idées », le conduisant à un état de coma et à un amaigrissement inquiétant, forçant les oratoriens à le renvoyer chez ses parents en 1813. Après un bref passage au collège de Tours, sa famille déménagea à Paris en 1814, où il continua ses études dans diverses pensions, fréquentant les cours du lycée Charlemagne.
En 1816, le jeune Balzac s’inscrivit en droit, tout en suivant des cours à la Sorbonne et s’intéressant aux théories de Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire au Muséum d’histoire naturelle. Poussé par son père à la pratique, il travailla comme clerc de notaire chez un ami de la famille, expérience qu’il utilisera pour dépeindre l’ambiance des études d’avoué dans Le Colonel Chabert et pour créer des personnages comme maître Derville. Bien qu’il réussisse son premier examen de baccalauréat en droit en 1819, il ne poursuivra pas ses études jusqu’à la licence.
Après la retraite de son père, la famille déménagea à Villeparisis. Balzac, déterminé à devenir écrivain, demeura à Paris, logé dans une mansarde avec un budget annuel modeste, une période qu’il rappellera dans Illusions perdues et Facino Cane, où il évoque son don de s’immerger dans la vie d’autrui, qu’il considérait comme une « seconde vue ».
Les Premiers Pas Littéraires et les Échecs Commerciaux (1820-1827) 📉🖋️
Les débuts littéraires de Balzac furent laborieux. Il travailla sur un Discours sur l’immortalité de l’âme et tenta de traduire Spinoza. Sa première pièce, la tragédie Cromwell (1820), fut mal accueillie et François Andrieux le découragea de persévérer dans cette voie.
Sous l’influence du succès de Walter Scott, il se tourna vers le roman historique, avec des ébauches comme Agathise et Falthurne, jamais publiées de son vivant. En 1821, pour des « petites opérations de littérature marchande », il commença à publier sous les pseudonymes de Lord R’hoone puis de Horace de Saint-Aubin, afin de ne pas « salir son nom ». Parmi ces œuvres, Le Vicaire des Ardennes fut un rare succès commercial malgré son interdiction et sa saisie. Il se vanta alors de pouvoir produire un roman par mois. Il rédigea également des ouvrages utilitaires comme le Code de la toilette et le Code des gens honnêtes, dans lequel il affirmait cyniquement que la société reposait sur le vol. Son essai anonyme sur Le Droit d’aînesse provoqua l’indignation de son propre père, qui l’ignorait.
Vers la fin de 1824, Balzac traversa une crise morale et intellectuelle, abandonnant la littérature commerciale. L’Excommunié, un roman de transition, marqua sa rupture avec la facilité et le début d’un cycle de romans historiques. Malgré leurs défauts, ces œuvres de jeunesse contenaient, selon André Maurois, les germes de ses futurs romans, prouvant qu’il serait « un génie malgré lui ». Cependant, Balzac les désavoua et les proscrivit de l’édition de ses œuvres complètes, bien qu’il les republie sous pseudonyme en 1837.
Désespéré de s’enrichir par la littérature alimentaire, il se lança dans les affaires. En 1825, il devint libraire-éditeur, publiant des éditions illustrées et acquérant une imprimerie. Ces entreprises furent des échecs retentissants, le laissant avec des dettes considérables, variant de 53 619 à 60 000 francs de l’époque.
L’Émergence d’un Maître du Roman : La Création de « La Comédie humaine » 🎭🌍
Malgré ses déboires financiers, Balzac trouva dans l’écriture sa véritable vocation, qui aboutira à son œuvre monumentale.
Vers une Nouvelle Forme de Roman (1828-1831) 🔄💡
Après sa faillite, Balzac revint à l’écriture. Passionné par les idées et les théories explicatives, il s’intéressait aux écrits de Swedenborg, au martinisme et aux sciences occultes, convaincu de la puissance de la volonté humaine. Il percevait les limites du modèle de Walter Scott, qu’il admirait pourtant, et cherchait à créer une « manière différente ».
Une influence majeure fut L’Art de connaître les hommes par la physionomie de Lavater (1822). Cette théorie, qui prétendait associer des traits de caractère à des caractéristiques physiques et recensait 6 000 types humains, devint pour lui une sorte de bible, esquissant « une étude de tous les groupes sociaux ». Balzac utilisa fréquemment cette théorie pour brosser les portraits de ses personnages, soulignant que les lois de la physionomie étaient exactes pour le caractère et la fatalité de l’existence, affirmant même l’existence de « physionomies prophétiques ».
Les Chouans, un roman politico-militaire publié en 1829 et signé pour la première fois « Honoré Balzac », marqua un tournant. La même année, parut Physiologie du mariage, qui révéla une « étonnante connaissance des femmes » et défendait l’égalité des sexes, rencontrant un grand succès auprès du public féminin.
Dès lors, Balzac devint un auteur connu, fréquentant les salons littéraires. Cependant, ses revenus ne suffisaient pas à couvrir son train de vie, le poussant à se lancer dans le journalisme. En 1830, il écrivit pour diverses revues comme la Revue de Paris et la Revue des deux Mondes, et ajouta la particule « de » à son nom en 1831. Ses articles journalistiques étaient variés, allant de la politique culturelle à des « Galeries physiologiques ».
Parallèlement, il travaillait à La Peau de chagrin, qu’il considérait comme une « niaiserie » mais où il tentait de transposer des situations de la vie. Ce conte, d’inspiration romantique, explorait l’opposition entre une vie consumée par le désir et une longévité terne, avec un héros, Raphaël de Valentin, qui exprime le désir de l’auteur pour la gloire, la richesse et les femmes. Balzac la désignera plus tard comme la « clé de voûte » reliant les études de mœurs aux études philosophiques. Sa préface à l’édition de 1831 exposait son esthétique réaliste, où l’écrivain doit être un « miroir concentrique » reflétant l’univers. Le livre fut un succès immédiat, faisant de Balzac « l’ambition des éditeurs, l’enfant chéri des libraires, l’auteur favori des femmes ».
Le Grand Projet de « La Comédie humaine » (1832-1847) 🏛️👨👩👧👦
La Peau de chagrin marqua le début d’une période de création intense, durant laquelle prirent forme les grandes lignes de La Comédie humaine. Les « études philosophiques », qu’il considérait comme la clé de son œuvre, commencèrent avec cet ouvrage, suivi par Louis Lambert (1832), Séraphîta (1835) et La Recherche de l’absolu (1834).
Les « études de mœurs » furent inaugurées par les Scènes de la vie privée (Gobseck, La Femme de trente ans), puis vinrent les Scènes de la vie parisienne (Le Colonel Chabert), les Scènes de la vie de province (Le Curé de Tours, Eugénie Grandet) et les Scènes de la vie de campagne (Le Médecin de campagne), dans lequel il exposait un système économique et social saint-simonien.
C’est ainsi que commença le « grand dessein » de Balzac, non pas une simple compilation, mais une œuvre qui se développa instinctivement, conçue comme une cathédrale embrassant toute son époque et les évolutions des destinées. Profondément influencé par Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire, il partait du principe qu’il existait des « Espèces Sociales » aussi variées, sinon plus, que les espèces zoologiques, les habitudes et les demeures d’un prince ou d’un ouvrier étant totalement dissemblables. Son œuvre devait alors prendre une « triple forme : les hommes, les femmes et les choses ».
Un moment clé dans la construction de La Comédie humaine fut l’idée du retour des personnages, développée à partir de 1834 avec Le Père Goriot. Cette innovation majeure permit de créer un cycle romanesque qui faisait « concurrence à l’état civil ». Un personnage central dans un roman pouvait réapparaître plus tard comme secondaire dans un autre, sous un jour nouveau, reflétant le mystère et la continuité de la vie. Balzac anticipait même les « préquelles » en présentant la jeunesse de personnages déjà rencontrés à un âge mûr.
Après ce plan élaboré, les publications s’accélérèrent : Le Lys dans la vallée (1835-1836), César Birotteau (1837), La Maison Nucingen (1838), Le Curé de village (1839), Ursule Mirouët (1841), La Rabouilleuse (1842), La Cousine Bette (1846) et Le Cousin Pons (1847). La rédaction d’Illusions perdues s’étala de 1837 à 1843, et Splendeurs et misères des courtisanes de 1838 à 1847. Le plan de l’ouvrage fut constamment remanié, prévoyant jusqu’à 145 titres en 1845, mais la diminution de ses forces le contraignit à réduire son projet à 90 titres publiés de son vivant.
La Passion du Détail Vrai : Réalisme et Vision 👁️🗨️💡
Balzac était doté d’un génie de l’observation et attachait une importance capitale à la documentation. Il décrivait avec une précision minutieuse les lieux de ses intrigues, se rendant sur place ou interrogeant des habitants, et avait un sens aigu du « détail vrai ». C’est pourquoi ses personnages occupent une place si centrale dans son œuvre. Il peignait rues, maisons, topographies, démarches, voix et regards avec un soin maniaque. Il était à la fois scénographe, costumier et régisseur, ce qui lui valut le surnom d’inventeur de l’« écriture cinématographique ». Ses descriptions détaillées des intérieurs, des collections d’antiquités et des costumes en sont la preuve. Il appliquait la même rigueur à décrire le fonctionnement des prisons, de l’administration, du système judiciaire, des spéculations boursières ou des soirées à l’Opéra.
Par cet ensemble romanesque, Balzac se voulait le témoin de son siècle, dressant un état des lieux pour les générations futures. Il mettait en lumière des réalités quotidiennes ignorées par les auteurs classiques. Grâce à la richesse de ses observations, La Comédie humaine est aujourd’hui une précieuse source socio-historique, documentant l’ascension de la bourgeoisie française de 1815 à 1848.
Cependant, le qualificatif de « réaliste » est souvent jugé réducteur pour Balzac. Baudelaire, par exemple, fut « maintes fois étonné que la grande gloire de Balzac fût de passer pour un observateur », lui qui y voyait plutôt un « visionnaire, et visionnaire passionné ». Ses personnages, selon Baudelaire, étaient animés de l’« ardeur vitale » de l’auteur, plus vifs et intenses que ceux du monde réel : « Chacun, chez Balzac, même les portières, a du génie ». Ce « goût prodigieux du détail » allait chez lui jusqu’à l’hyperbole, transformant le réalisme en vision. Certains de ses récits s’inscrivent d’ailleurs dans le fantastique ou le mystique. Au-delà de peindre la société, Balzac aspirait à influer sur son siècle et à rivaliser avec les grands écrivains européens comme Byron, Scott, Goethe ou Hoffmann.
Liens avec sa Propre Vie : L’Homme derrière l’Œuvre 🔗👤
L’œuvre de Balzac est intrinsèquement liée à sa vie, dont les péripéties ont constamment alimenté son « monde » fictionnel. L’homme fascinant ses contemporains par ses bagues, sa célèbre canne à pommeau d’or et sa loge à l’Opéra. Il vivait avec une « gourmandise insatiable », un appétit vorace « d’argent, de femmes, de gloire, de réputation, de titres, de vins et de fruits ».
Ses multiples déménagements, faillites, dettes, spéculations ruineuses, amours simultanées et ses stratagèmes pour fuir ses créanciers ont tous trouvé un écho dans ses romans. La quête d’aisance financière, qu’il comparait à la question shakespearienne « Avoir ou n’avoir pas de rentes », était le moteur de nombreux mariages dans son œuvre, comme elle le fut pour lui. Il dépeignit des auteurs poursuivis pour des manuscrits non livrés, des détectives privés traquant des débiteurs, ou des collectionneurs passionnés, autant de situations qui reflétaient sa propre existence.
Les Doubles Psychologiques 🎭👯
Plusieurs personnages de La Comédie humaine sont des doubles de Balzac, des reflets de sa personnalité. On retrouve des traits de lui dans Séraphîta, Louis Lambert, La Fille aux yeux d’or et les Mémoires de deux jeunes mariées. Mais c’est surtout Lucien de Rubempré, dont la trajectoire traverse Illusions perdues et Splendeurs et misères des courtisanes, qui partage le plus de points communs avec l’auteur : des débuts en poésie, une liaison avec une femme mariée, l’ambition littéraire, le désir de quitter la province pour percer à Paris. Tout comme Lucien s’inventa un titre de noblesse et des armoiries, Balzac ajouta la particule nobiliaire à son nom et fit peindre des armoiries sur la calèche qu’il loua pour rencontrer Mme Hańska à Vienne.
Style et Méthode de Travail : Le Forçat Littéraire ⚙️📈
Balzac était un travailleur acharné et d’une fécondité prodigieuse, capable d’écrire vite, beaucoup et inlassablement. Il jonglait presque toujours avec plusieurs ouvrages, puisant dans sa galerie de personnages pour les intégrer à de nouvelles intrigues. André Maurois imaginait des centaines de romans flottant dans ses pensées, comme des « truites dans un vivier », qu’il attrapait au gré de ses besoins. Il n’hésitait pas à refondre ses textes, changer les titres ou les noms des personnages, et à intégrer des nouvelles dans des cycles plus vastes, éliminant même les divisions en chapitres dans l’édition définitive.
Son don pour le pastiche lui permettait d’imiter des voix et des langages particuliers, allant jusqu’à la caricature, comme pour le parler de la concierge du Cousin Pons ou le jargon du banquier Nucingen. Son style, d’abord critiqué, s’éleva grâce à un travail acharné, et il corrigeait inlassablement ses épreuves, exigeant parfois jusqu’à quinze ou seize reprises, au désespoir des typographes. Parallèlement à ses romans, il rédigea les Contes drolatiques (1832-1837) dans un style rabelaisien, comme un antidote au « sérieux romantique ».
Balzac Journaliste 🗞️📢
Le journalisme attirait Balzac comme un moyen d’exercer un pouvoir sur la réalité, lui qui rêvait de dominer le monde littéraire et politique. Cependant, il était conscient des dangers de cette carrière pour l’écrivain, le journaliste étant « une pensée en marche comme le soldat en guerre », souvent contraint à des compromissions. Dans Illusions perdues, il met en garde contre la tombe que le journalisme peut représenter pour la beauté et la vertu, menant à une soif de pouvoir et à la banalisation du mal.
Dès 1830, Balzac s’engagea dans la défense des gens de lettres, arguant que l’artiste devait bénéficier d’un statut spécial en tant que force idéologique et contre-pouvoir. Il dénonça l’exploitation des écrivains débutants par les éditeurs, un combat qui aboutira à la fondation de la Société des gens de lettres. Il milita également pour la révision du procès de Sébastien-Benoît Peytel, ancien collègue journaliste, condamné à mort. Il participa aussi à la révolution du roman-feuilleton, publiant La Vieille Fille (1836) et Les Employés (1837). Cette formule entraîna une censure des allusions sexuelles dans les textes destinés aux journaux.
En 1835, Balzac acheta La Chronique de Paris, un journal politique et littéraire, avec des fonds qu’il ne possédait pas. Il rêvait d’en faire l’organe du « parti des intelligentiels » et s’entoura de plumes prestigieuses comme Victor Hugo, Théophile Gautier et Honoré Daumier. Malgré un succès initial, l’entreprise échoua en raison de ses engagements multiples et de ses problèmes financiers récurrents, le conduisant même à être arrêté par la Garde nationale pour refus de service. Cette expérience alimenta directement la deuxième partie d’Illusions perdues, qu’il qualifiera de « poème de ses luttes et de ses rêves déçus ».
En 1840, il tenta une nouvelle aventure avec la Revue parisienne, qu’il rédigea presque seul pendant trois mois. Il y publia Z. Marcas et s’illustra par ses critiques littéraires acerbes, attaquant Henri de Latouche et Sainte-Beuve, mais rendant un hommage vibrant à La Chartreuse de Parme de Stendhal, alors ignoré par la presse. Malgré quelques articles d’ouverture sociale comme « Sur les ouvriers », la revue s’éteignit après seulement trois numéros. Ses échecs dans la presse persistèrent. En 1843, il publia la Monographie de la presse parisienne, une satire humoristique où il inventa le terme « gendelettre », aujourd’hui passé dans le langage courant.
Un Forçat Littéraire 🏃♂️🔥
Balzac se considérait comme un « forçat littéraire », reprenant la phrase de Napoléon : « Ce qu’il a entrepris par l’épée, je l’accomplirai par la plume ». Il affirmait que la pensée devait ruisseler de sa tête « comme l’eau d’une fontaine ». Sa capacité à écrire rapidement était légendaire ; La Grenadière, par exemple, fut écrite en une seule nuit.
Malgré une constitution robuste, il malmena sa santé en travaillant de seize à vingt heures par jour. Dès 1831, il confiait vivre sous le « plus dur des despotismes : celui qu’on se fait à soi-même ». Il insistait sur l’importance de la volonté, qu’il jugeait supérieure au talent, pour bâtir une œuvre immense. La production de Balzac entre 1830 et 1831 est quasiment sans équivalent, avec une moyenne de seize pages imprimées par jour. Il travaillait principalement la nuit pour éviter les distractions, sa vie étant un cycle incessant d’écriture, de réflexion sur ses plans et de corrections d’épreuves.
Pour soutenir ce rythme effréné, Balzac consommait du café « concassé à la turque » à l’excès, le décrivant comme un stimulant puissant qui enflammait son estomac et activait sa « manufacture d’idées », transformant le papier en un champ de bataille pour ses pensées. Ce régime lui était nécessaire pour livrer les centaines de romans de La Comédie humaine, les articles et les Cent Contes drolatiques, tout en cherchant à éponger les dettes engendrées par son train de vie fastueux. Il maintenait également une correspondance abondante et fréquentait les salons où il puisait l’inspiration pour ses personnages.
Balzac avait une haute opinion du rôle de l’écrivain, qu’il voyait comme un sacerdoce. Pour lui, l’écrivain avait remplacé le prêtre, endossant la chlamyde des martyrs, répandant la lumière parmi les peuples, prophétisant, et dont la voix pouvait « tonner d’un bout du monde à l’autre ».
Liaisons Féminines : Amours et Inspirations 💖 muse
Profondément marqué par un sentiment d’avoir été mal aimé par sa mère, Balzac passa sa vie à rechercher l’« amour fou », une femme à la fois « ange et courtisane, maternelle et soumise, dominatrice et dominée ». Malgré sa petite taille et sa tendance à l’embonpoint, il exerçait une fascination sur les femmes grâce à son regard d’une force extraordinaire, qui impressionnait ses contemporains et que Théophile Gautier décrivait comme des « yeux à faire baisser la prunelle aux aigles, à lire à travers les murs et les poitrines ».
Son succès auprès des femmes venait aussi de la finesse psychologique avec laquelle il les décrivait dans ses romans. Sainte-Beuve confirmait que Balzac connaissait « beaucoup de choses des femmes, leurs secrets sensibles ou sensuels ». Balzac critiquait Walter Scott pour le manque de diversité dans ses portraits féminins, attribuant cela à l’éthique protestante, qui, selon lui, ne permettait qu’une seule femme après la faute, tandis que le catholicisme offrait une « femme nouvelle dans chaque nouvelle situation ».
Souvent, les femmes faisaient le premier pas, lui écrivant ou l’invitant. Ce fut le cas de Caroline Landrière des Bordes, Lady Jane Ellenborough (qui inspira Lady Arabelle Dudley), une mystérieuse Louise anonyme, et Hélène Marie-Félicité de Valette.
Laure de Berny (« la dilecta ») (1821-1836) 👑❤️
En 1821, Balzac rencontra Mme de Berny, alors âgée de 45 ans et mère de neuf enfants. Elle devint son amante en 1822, et lui tint lieu d’amante et de mère, le formant à la vie mondaine et littéraire. Elle l’encouragea, le conseilla et lui apporta une aide financière cruciale dans ses moments difficiles. Balzac lui garda une reconnaissance éternelle, écrivant à sa mort en 1836 : « Mme de Berny a été comme un Dieu pour moi. Elle a été une mère, une amie, une famille, un ami, un conseil ; elle a fait l’écrivain ». Elle inspira le personnage de Madame de Mortsauf dans Le Lys dans la vallée, ouvrage qu’il lui dédia, ainsi que des traits de Flavie Colleville et Madame Firmiani.
Zulma Carraud (dès 1818) 🤝🫂
Amie d’enfance de sa sœur Laure, Zulma Carraud était une « femme de haute valeur morale ». Leur amitié, profonde et constante, offrit à Balzac un refuge lorsqu’il était malade, découragé ou poursuivi par ses créanciers. Républicaine fervente, elle le rappelait à l’idéal républicain et à l’empathie pour les souffrances du peuple.
La Duchesse d’Abrantès (1825) ⚜️📚
En 1825, Balzac entama une liaison avec la duchesse d’Abrantès, de quinze ans son aînée, qui le fascinait par ses relations et son expérience du monde. Veuve du général Junot, elle avait connu les fastes de l’Empire et fréquenté les milieux royalistes. Balzac la conseilla et la corrigea pour ses mémoires. Elle servit de modèle à la vicomtesse de Beauséant dans La Femme abandonnée, ouvrage qu’il lui dédia, ainsi qu’à la duchesse de Carigliano et Félicité des Touches.
Aurore Dudevant / George Sand (1831) 💬🚬
Balzac fit la connaissance d’Aurore Dudevant, future George Sand, en 1831. Son enthousiasme pour La Peau de chagrin marqua le début de leur relation. En 1838, il la rejoignit à Nohant où ils passèrent des nuits à converser, partageant houka et lataki. Ils continuèrent à se rencontrer à Paris, échangeant sur la structure romanesque et la psychologie des personnages. Balzac lui dédia les Mémoires de deux jeunes mariées, et elle inspira Félicité des Touches dans Béatrix.
Olympe Pélissier (1831) 💃🎭
Balzac eut une brève liaison avec Olympe Pélissier, « belle courtisane intelligente », qui inspira les personnages de demi-mondaines comme Florine et Tullia. La scène de chambre de La Peau de chagrin aurait été jouée chez elle, mais Balzac précisait que Fœdora était inspirée de deux femmes qu’il n’avait pas fréquentées intimement.
La Duchesse de Castries (1832) 🏰💔
Au début de 1832, Balzac reçut une lettre de la duchesse de Castries, une belle rousse issue de la noblesse légitimiste. Elle fut le modèle physique et moral de La Femme de trente ans, et il se rendit à son château. Sa déception amoureuse, ses sentiments n’étant pas partagés, fut exprimée dans La Duchesse de Langeais. Elle inspira également Diane de Maufrigneuse et Lady Arabelle Dudley.
Marie du Fresnay (1833) 🤫🍼
En 1833, Balzac eut une liaison secrète avec Marie du Fresnay, âgée de 24 ans, qui lui donna une fille, Marie-Caroline. Il lui dédiera Eugénie Grandet en 1839, dont l’héroïne est inspirée de la jeune femme, et citera sa fille dans son testament.
La Comtesse Guidoboni-Visconti (1835) 🖼️💰
En 1835, Balzac eut le coup de foudre pour la comtesse Guidoboni-Visconti, qu’il décrivit comme une femme d’une « exquise bonté » et d’une « beauté fine ». Ils se virent très fréquemment pendant cinq ans, et certaines sources suggèrent qu’elle aurait eu un enfant de lui. D’une grande indépendance d’esprit, elle ne chercha pas à l’accaparer. Elle inspira le personnage de Lady Dudley dans Le Lys dans la vallée. Les Guidoboni-Visconti aidèrent Balzac financièrement à plusieurs reprises, lui évitant la prison pour dettes et lui offrant asile.
Mme Hańska (« l’étrangère », « étoile polaire ») (1832-1850) 🌟💍
La passion la plus durable de Balzac fut pour la comtesse Hańska, une admiratrice polonaise mariée résidant en Ukraine. Leur correspondance commença en 1832, et Balzac lui déclara un amour indéfectible avant même de l’avoir rencontrée. Leur première rencontre eut lieu en septembre 1833, et leur relation se concrétisa en janvier 1834 à la villa Diodati. Épouser cette « étoile polaire » devint son rêve ultime, symbolisant son intégration à la haute société. Il la courtisa pendant dix-sept ans par une correspondance abondante, la convainquant qu’il menait une vie monacale.
Devenue veuve en 1841, elle le repoussa initialement pour son absence et ses infidélités, mais Balzac, multipliant les lettres de dévotion, la reconquit. Ils se revirent en 1843 à Saint-Pétersbourg. En mai 1843, elle tomba enceinte, mais une fausse couche en novembre 1843 affecta profondément Balzac, qui ressentit cette perte comme un « échec symbolique de son activité de création ». Ils voyagèrent ensemble en Europe, et Mme Hańska vécut chez lui à Paris en 1847, stimulant sa puissance créatrice. Il la rejoignit ensuite dans son immense domaine en Ukraine, où il échafauda des projets d’exploitation forestière. Le mariage eut finalement lieu le 14 mars 1850 en Ukraine, comblant sa vanité.
Les Demeures : Refuges et Ateliers de Création 🏡✍️
Les demeures de Balzac, souvent des refuges face à ses créanciers, sont indissociables de son œuvre.
- Rue Visconti (1826) 🎨🏢 : Il s’installa chez son ami Henri de Latouche, où il put recevoir Mme de Berny. Le rez-de-chaussée abrita son imprimerie, qui échoua rapidement mais donna naissance à la célèbre fonderie Deberny et Peignot.
- Rue Cassini (1828) 🌟✨ : Pour fuir ses créanciers, il se réfugia dans un logement loué par son beau-frère, un quartier éloigné de Paris. Il s’y lança dans un aménagement fastueux, avec des murs en tissu bleu, du marbre, une bibliothèque remplie d’éditions précieuses et sa légendaire canne à pommeau d’or. C’est là que naquirent de nombreux romans fondateurs de La Comédie humaine, mais son train de vie luxueux le replongea dans l’endettement.
- Rue des Batailles (1835) 🤫🌃 : Pour échapper aux huissiers, il loua un second logement sous le nom de veuve Durand, une demeure secrète aux pièces vides menant à un cabinet de travail richement meublé, rappelant le logis de La Fille aux yeux d’or. Il y travailla jour et nuit à Le Lys dans la vallée et Séraphîta.
- Château de Saché (1825-1848) 🏰🌿 : Ce château en Touraine, propriété de son ami Jean de Margonne, fut un refuge constant contre la fatigue et les créanciers. Il y travailla sur Le Père Goriot, Illusions perdues et La Recherche de l’absolu, et y trouva l’inspiration pour Le Lys dans la vallée (le « château du Lys »). Aujourd’hui, c’est un musée dédié à l’écrivain.
- La Maison des Jardies (1837) 🏡🌳 : Achetée à Sèvres dans l’espoir d’y finir ses jours en paix, cette maison fut l’objet d’une « folie des grandeurs », Balzac voulant la transformer en palais et y planter des fruits tropicaux. Il y travailla sur L’École des ménages et Illusions perdues. Cependant, la propriété fut mise en vente en 1840 à cause de ses dettes.
- La Maison de Passy (1840) 🤫🌺 : Sous le nom de « Madame de Breugnol », Balzac s’installa dans cette maison à Passy, avec une entrée secrète et une gouvernante filtrant les visiteurs. Il y vécut sept ans dans un appartement avec jardin, appréciant le calme du lieu. C’est là qu’il produisit une grande partie de ses chefs-d’œuvre comme La Rabouilleuse, Splendeurs et misères des courtisanes, La Cousine Bette et Le Cousin Pons, et remania La Comédie humaine. Aujourd’hui, la Maison de Balzac est un musée. André Maurois y voyait alors deux Balzac : l’homme criblé de dettes et le créateur d’un monde fastueux.
- La Folie Beaujon ou rue Fortunée (1846) ⚜️💎 : Pour sa future épouse, Mme Hańska, Balzac acquit cette dépendance de la chartreuse Beaujon, la décorant avec une splendeur inouïe, accumulant meubles anciens, tapis précieux et tableaux de maître. Ce travail de collectionneur le détourna de l’écriture. C’est dans ce « palais » qu’il mourut, profondément endetté.
Un Engagement pour les Lettres : La Société des Gens de Lettres ⚖️🤝
Balzac fut un ardent défenseur du respect des écrivains. Dès 1834, dans une « Lettre adressée aux écrivains français du XIXe siècle », il les exhorta à régner par la pensée, dénonçant que leurs écrits, rapportant des sommes énormes, ne leur profitaient pas pleinement. Il milita pour la protection de l’œuvre de l’esprit, au même titre que la propriété matérielle.
Bien qu’absent à la séance de fondation de la Société des gens de lettres en 1838, il y adhéra et devint membre du Comité, puis président en 1839 et président honoraire en 1841. La Société avait pour mission de défendre les droits moraux, patrimoniaux et juridiques des auteurs. En tant que président, il plaida contre la contrefaçon. En 1840, il rédigea un « Code littéraire » de 62 articles encadrant les contrats de cession de droits, exigeant le respect de l’intégrité des œuvres et établissant le droit de paternité. Il soumit l’essentiel de ce code à la Chambre des députés en 1841, mais sans succès. Ses propositions ne furent reconnues que bien plus tard par le législateur.
Malgré les moqueries de Sainte-Beuve, l’action de Balzac contribua au rapprochement des écrivains autour d’une identité commune et améliora la condition littéraire, un combat que poursuivra Émile Zola.
Les Voyages : Inspirations et Déceptions ✈️🗺️
Balzac voyagea beaucoup en Europe : Ukraine, Russie, Prusse, Autriche, Italie. Cependant, peu de lieux, en dehors de Paris et de la province française, furent une source d’inspiration directe pour lui. Seule l’Italie éveilla en lui une passion qu’il exprima dans ses contes et nouvelles philosophiques.
- L’Italie 🇮🇹🎭 : En 1836, il se rendit en Italie pour une affaire de succession, accompagné de Caroline Marbouty déguisée. En 1837, une autre mission le mena à Milan, où il fut fêté par l’aristocratie, puis à Venise, qu’il décrira lumineusement dans Massimilla Doni, et à Florence. Il dépeindra alors la femme italienne comme un modèle de fidélité amoureuse. En 1838, un voyage en Sardaigne pour un projet minier échoua. Balzac aimait l’Italie pour sa beauté naturelle, la générosité de ses habitants, l’élégance de son aristocratie, ses opéras et sa peinture, et mit en scène Rome dans Sarrasine.
- La Russie 🇷🇺📖 : Son arrivée à Saint-Pétersbourg en 1843, pour aider Mme Hańska dans une affaire de succession, fut accueillie avec méfiance en raison de sa réputation d’endetté. Les autorités russes le soupçonnaient de chercher des subsides ou de vouloir réfuter un ouvrage critique sur la Russie, mais Balzac ne vint que pour Mme Hańska. Il était déjà très lu et aimé en Russie, considéré comme celui qui avait le « mieux compris les sentiments des femmes ». Il côtoya l’aristocratie russe et, à son retour, visita les champs de bataille napoléoniens pour un futur ouvrage.
Les Dernières Années et la Mort : Le Crépuscule du Géant 🌅⚰️
Dès 1845, le rythme de production de Balzac ralentit, ses forces créatrices déclinant, avec le pressentiment d’un effondrement prématuré, tel le héros de La Peau de chagrin. En 1849, il apprit que sa candidature à l’Académie française avait été écartée. Son mariage avec la comtesse Hańska fut compliqué par la loi russe, qui stipulait qu’une femme épousant un étranger perdait ses biens fonciers, un oukase spécial du tsar étant refusé.
Le séjour en Ukraine détériora sa santé, qui déclina rapidement. Le mariage eut finalement lieu le 14 mars 1850 en Ukraine, comblant sa vanité, mais sa santé continuait de se dégrader, souffrant du cœur et de crises d’étouffement. Le voyage de retour vers Paris fut éprouvant. À son arrivée le 21 mai 1850, il souffrait d’un œdème généralisé, et malgré les soins, il succomba à une péritonite et une gangrène le 18 août 1850. La légende veut qu’il ait appelé sur son lit de mort Horace Bianchon, le grand médecin de La Comédie humaine, tant la réalité et la fiction se confondaient pour lui.
Ses funérailles, le 21 août au cimetière du Père-Lachaise, attirèrent une foule imposante, incluant de nombreux ouvriers typographes. Victor Hugo prononça l’oraison funèbre, saluant La Comédie humaine comme un « livre vivant, lumineux, profond » et Balzac comme un « écrivain révolutionnaire ». Balzac laissa à sa veuve une dette de 100 000 francs, qu’elle accepta, et elle veilla à la publication de ses romans inachevés. La controverse entoura son décès, notamment le récit d’Octave Mirbeau sur le comportement d’Ewelina Hańska.
Opinions Politiques et Sociales : Un Œil Critique sur son Siècle 🧐🏛️
Synthétiser la pensée politique de Balzac est complexe, car ses idées, reflétant l’activité de son esprit, étaient marquées par des nuances et des contradictions. En 1840, il était un paria du monde politique, accusé d’ébranler la société et de saper les valeurs traditionnelles. Méprisé par Louis-Philippe, il fut tenu à l’écart de l’aristocratie et rejeté tant par la droite que par la gauche.
Régime Politique : De Libéral à Légitimiste 👑🔄
Les opinions politiques de Balzac furent fluctuantes. Critique des royalistes dans Les Chouans, il fut d’abord libéral sous la Restauration, tentant sans succès de se faire élire député. Influencé par la duchesse de Castries, il afficha ensuite des opinions légitimistes, développant une doctrine sociale basée sur l’autorité politique et religieuse, en contradiction avec les idées républicaines de son amie Zulma Carraud. Il affirmait vouloir un « pouvoir fort », la destruction de toute noblesse hors la Chambre des Pairs, la séparation du clergé d’avec Rome, l’égalité parfaite de la classe moyenne, et l’instruction pour tous.
Le Médecin de campagne (1833) exposa des opinions très conservatrices sur le suffrage électoral (réservé aux fortunés, puissants ou intelligents), le droit d’aînesse, les classes sociales, le régime patriarcal et la religion comme force d’ordre social. Cependant, le roman critiquait aussi les classes oisives et prônait la justice sociale, affirmant qu’une seule iniquité pouvait multiplier la haine du peuple envers les supériorités sociales, transformant le vol en « vengeance » pour les pauvres.
Pour Balzac, le meilleur régime politique était celui qui produisait la plus grande énergie en concentrant l’autorité de l’État. Il dénonçait l’instabilité de la démocratie représentative et la « tyrannie sans bornes » des masses. Grand admirateur de Napoléon, il ne croyait pas à l’égalité naturelle et s’opposait aux concours, affirmant que le hasard produisait les grands hommes.
Programme Économique : Saint-Simonisme et Critiques du Capitalisme 📈🏭
Sur le plan économique, Balzac ne remettait pas en question la propriété privée, mais en ébauchait les limites. Il défendait la liberté du travail, d’entreprendre et de la presse, rejoignant les théories de Saint-Simon qui associaient progrès social et économique. Il fustigeait les oisifs et dénonçait l’exploitation de l’homme par l’homme, insistant sur l’importance de l’économie et du commerce, prônant le libre-échange comme force motrice. Son attention à l’économie le rapprochait de Marx, pour qui Illusions perdues était l’« épopée tragi-comique de la capitalisation de l’esprit ». En 1840, il montra des sympathies pour les idées de Fourier, mais les critiqua vivement plus tard, rejetant l’égalitarisme total comme une reprise tragique de 1793.
Positions Sociales : La Bourgeoisie, les Masses et la Vertu 👥🏙️
Dans l’avant-propos de La Comédie humaine, Balzac affirmait que le pouvoir devait protéger les déshérités et que l’intérêt général devait l’emporter sur l’intérêt particulier. Il reconnaissait que « un État où les bons et sages ouvriers, en travaillant tant qu’ils veulent, tant qu’ils peuvent, ne trouvent pas l’aisance pour leur famille, cet État est mal ordonné ». Cependant, les ouvriers sont presque absents de son univers, et les paysans sont dépeints comme brutaux et cupides. Fasciné par la noblesse, il montra son inéluctable absorption par la bourgeoisie, qu’il critiquait également.
Ses romans incarnaient les forces sociales et les institutions dans des personnages complexes, montrant les tribunaux liés aux intérêts de classe. Bien que ses idées politiques diffèrent de celles de Hugo ou Flaubert, son message est complexe. Engels affirmait avoir plus appris sur la société du XIXe siècle dans La Comédie humaine que dans tous les livres d’historiens et économistes. Zola considérait que Balzac, le royaliste, avait finalement « travaillé pour la république ». Le constat de Balzac sur la société et le capitalisme était dévastateur, ce qui en faisait un formidable acte d’accusation contre la civilisation, invitant à l’anarchisme et à la révolte, bien que cet anarchisme puisse glisser vers l’autoritarisme.
Mariage et Condition Féminine : Désordre et Dévouement 👰♀️💔
Le mariage et la condition féminine sont des thèmes centraux chez Balzac. Il estimait que la femme apportait le « désordre dans la société par la passion » et explorait les configurations de ce désordre. La maternité était pour lui l’accomplissement ultime de la femme. Un mariage réussi devait reposer sur la raison et l’intérêt partagé, non sur la passion. Défenseur du mariage indissoluble, qu’il voyait comme un arrangement financier, il rejetait le féminisme saint-simonien, affirmant que la femme devait trouver sa liberté en « assumant son esclavage ». Il critiquait les lois napoléoniennes sur les successions pour avoir aboli le droit d’aînesse et ainsi « tué l’esprit de famille », préparant l’individualisme et la faiblesse des supériorités.
Malgré cela, Balzac maintenait sa foi en un idéal d’amour partagé, même s’il se heurtait à la réalité. À partir de 1836, un pessimisme croissant et un « féminisme tragique » marquèrent son œuvre, dépeignant de nombreuses femmes mal mariées, humiliées ou adultères, ce qui lui valut un lectorat féminin enthousiaste.
La Religion : Foi Mystique et Ordre Social ✨⛪
Dans ses premiers écrits, Balzac était très critique envers la religion et le clergé. Mais à partir de 1829, son attitude évolua vers le catholicisme, notamment après les émeutes de 1831 où il fut choqué par le sac de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois. Il en vint à considérer la religion comme un « instrument de force et de puissance », un « système complet de répression des tendances dépravées de l’homme » et le « plus grand élément d’Ordre Social ». Il distinguait sa conviction politique catholique de sa foi intime, fidèle à l’« Église mystique ».
Cependant, le catholicisme de Balzac était teinté d’occultisme et de magnétisme. Il expliquait les guérisons miraculeuses de Jésus par des phénomènes d’ordre magnétique et naturel, et se décrivait comme un disciple de Swedenborg et de Louis-Claude de Saint-Martin. Son dessein profond était de « parfaire l’œuvre napoléonienne en établissant par sa propre pensée une sorte de gouvernement intellectuel sur l’Europe ». L’Église catholique, toutefois, se méfiait de lui et mit son œuvre à l’Index en 1842 pour « immoralité ».
Héritage et Postérité : Un Géant de la Littérature 🏛️🌟
L’influence de Balzac fut considérable sur les écrivains de son temps et du siècle suivant. Le principe du retour des personnages, élément fondamental de La Comédie humaine, inspira Émile Zola, Guy de Maupassant, Marcel Proust et, à l’étranger, Anthony Trollope. Ses œuvres continuent d’être rééditées et ont fait l’objet de plus d’une centaine d’adaptations cinématographiques et télévisuelles à travers le monde. Honoré de Balzac demeure une figure incontournable, dont l’œuvre continue de nous éclairer sur la société et la nature humaine.
