Des sources pour approfondir la réflexion :
Camille Claudel. L’expression farouche de l’intime : https://amzn.to/47wx5MQ
Une femme : suivi de 1 – article de Mathias Morhardt paru dans le Mercure de France en mard 1898 : https://amzn.to/47vliyr
Camille Claudel (DVD, le film) : https://amzn.to/3KOwrBM
Camille Claudel : Génie de la Sculpture et Destin Brisé 💔🏛️
Camille Claudel (née à Fère-en-Tardenois le 8 décembre 1864 et morte à Montdevergues, Montfavet, le 19 octobre 1943) est une sculptrice française dont l’œuvre, à la fois réaliste et expressionniste, s’inscrit dans l’esthétique de l’Art nouveau par l’utilisation experte des courbes et des méandres .
Collaboratrice, élève, maîtresse et muse d’Auguste Rodin, sa carrière, initialement fulgurante et pleine de promesses, fut brutalement interrompue par un internement psychiatrique forcé en 1913, suivi d’une mort dans la quasi-anonymat trois décennies plus tard . Longtemps éclipsée par la figure écrasante de Rodin et l’oubli familial, elle est sortie de l’ombre pour le grand public grâce à la publication d’un livre en 1982 et d’un film en 1988, qui ont assuré sa réhabilitation posthume . Aujourd’hui, sa mémoire et son travail sont célébrés, notamment au Musée Camille-Claudel de Nogent-sur-Seine, qui détient la plus grande collection de ses créations .
I. Enfance, Formation et Premiers Pas d’Artiste (1864–1882) 🎨
👶 Une Enfance en Picardie et un Milieu de Notables
Camille Claudel est née à Fère-en-Tardenois, dans l’Aisne . Par son père, Louis Prosper Claudel, conservateur des hypothèques , elle descend d’une généalogie remontant au XVIe siècle . Par sa mère, Louise-Athanaïse Cerveaux, elle est issue d’une famille de vignerons qui prétendait descendre d’un bâtard de Philippe d’Orléans .
Après la disparition prématurée de leur premier-né, Camille devient l’aînée d’une fratrie qui compte également Louise (née en 1866) et le futur poète, écrivain et diplomate Paul Claudel (né en 1868) . La famille s’installe à Villeneuve-sur-Fère, puis à Nogent-sur-Seine (Aube) entre 1876 et 1879 .
🌟 La Révélation de la Sculpture
C’est à Nogent-sur-Seine que Camille Claudel fait ses premiers pas d’artiste, travaillant la glaise dès son adolescence . Ses dons sont rapidement reconnus par Alfred Boucher (1850-1934), un jeune sculpteur de la région vivant à Paris, qui lui reconnaît un talent exceptionnel .
Camille bénéficie du soutien constant de son père, Louis Prosper, qui prend conseil auprès d’Alfred Boucher. Cependant, elle doit faire face à l’opposition acharnée de sa mère, qui manifeste toujours une violente aversion pour l’art qui passionne sa fille aînée .
Afin de perfectionner son art auprès de maîtres, Camille persuade sa famille (à l’exception de son père, retenu par ses obligations) de s’installer à Paris . De 1882 à 1886, ils résident au 135 bis boulevard du Montparnasse . Camille suit les cours de l’Académie Colarossi et loue un atelier au 117 rue Notre-Dame-des-Champs dès 1882, qu’elle partage avec d’autres sculptrices, principalement anglaises, dont Jessie Lipscomb, avec qui elle noue une amitié profonde .
🤝 Le Rôle Pivot d’Alfred Boucher
En 1882, Camille Claudel étudie sous la direction d’Alfred Boucher à Paris. Lorsque Boucher est contraint de partir pour Rome pour honorer des commandes à la Villa Médicis, il demande à Auguste Rodin de le remplacer pour donner le cours de sculpture aux jeunes filles . C’est ainsi qu’après une première rencontre en 1882 , Camille Claudel intègre l’atelier parisien du maître en 1883 .
II. Les Années Rodin : Passion, Art et Rivalité (1883–1892) 🌹
🧑🎨 Collaboratrice et Praticienne Indispensable
Les premières œuvres de Camille Claudel, telles que Vieille Hélène et Paul à 13 ans, font une « forte impression » sur Rodin . Vers 1884, elle intègre son groupe de praticiens . Son génie, l’originalité de son talent et sa volonté farouche la rendent rapidement indispensable au maître .
Rodin la considère comme son « praticien le plus extraordinaire » et la consulte en toute chose . Bien qu’elle ait travaillé sur des œuvres majeures de Rodin, comme l’imposant groupe statuaire Les Bourgeois de Calais (où la légende lui attribue la création des mains) , Rodin a toujours reconnu son talent personnel, affirmant : « Je lui ai montré où trouver de l’or, mais l’or qu’elle trouve est bien à elle » .
Camille Claudel exerça également une influence certaine sur son maître, lui inspirant des œuvres telles que L’Éternelle idole et Le Baiser .
💔 L’Amour Impossible et la Rupture
Rodin et Claudel ont vécu une passion amoureuse intense pendant une dizaine d’années . Cependant, Rodin vivait déjà depuis plus de deux décennies avec sa compagne, son ancien modèle Rose Beuret, qu’il avait rencontrée en 1864, l’année même de la naissance de Camille Claudel .
Camille Claudel a souvent espéré le mariage, mais Rodin refusa toujours de quitter Rose Beuret, et finit par l’épouser à 76 ans, quelques mois avant sa mort en 1917 . Cette décennie de passion s’acheva par la séparation du couple en 1892, Camille étant déchirée entre son désir d’engagement et sa soif d’indépendance artistique .
Leur histoire d’amour et de rupture servit d’ailleurs d’inspiration à Henrik Ibsen pour sa pièce de théâtre Quand nous nous réveillerons d’entre les morts (1899), considérée comme le testament du dramaturge norvégien .
🤰 Hypothèses de Maternités Non Reconnues
L’intensité de leur relation a soulevé plusieurs hypothèses de maternités cachées et d’avortements, basées sur des témoignages et correspondances. Selon les mémoires de Jessie Lipscomb, Rodin et Camille auraient eu deux enfants non reconnus par Rodin, et Camille aurait subi plusieurs avortements . La petite-nièce de Claudel, Reine-Marie Paris, avance même le chiffre de quatre enfants, tandis qu’une secrétaire de Rodin a confirmé que ce dernier avait été chargé de régler la pension de deux enfants .
L’avortement clandestin de Camille Claudel en 1892, l’année de leur rupture, est évoqué par Paul Claudel dans une lettre de 1939 . Cet événement aurait, selon lui, contribué à la détérioration de la santé mentale de sa sœur, bien que cette hypothèse soit discutée par certains psychiatres .
III. Vers l’Expression Personnelle et la Tragédie de l’Âme 🎭
🕊️ L’Affranchissement Artistique
Après la rupture de 1892, Camille Claudel s’installe occasionnellement au 31 boulevard de Port-Royal , avant d’établir son nouvel atelier à l’hôtel de Jassaud, au 19 quai de Bourbon sur l’île Saint-Louis, où elle travaillera de 1899 jusqu’à son internement en 1913 .
Elle cherche à se libérer de l’influence de Rodin en explorant une voie profondément originale, qu’elle appelle ses « croquis d’après nature » . Cette nouvelle orientation vise à créer une statuaire de l’intimité en saisissant sur le vif le vécu d’un geste simple, en se concentrant sur l’intensité tragique de l’instant qui s’échappe . Ces œuvres sont souvent de petite taille, utilisent des matériaux différents et sont inspirées, entre autres, de l’art japonais .
Des chefs-d’œuvre de cette période témoignent de l’étendue de son talent :
- Sakountala (1888) : Sculpée en pleine passion avec Rodin, cette œuvre connaît un succès public et critique, recevant une mention honorable au Salon des artistes français . Une version en plâtre est donnée au musée de Châteauroux en 1895 .
- La Valse (1889-1893) : Cette œuvre complexe montre une science des attitudes maîtrisée, enveloppée de drapés très Art nouveau . Camille Claudel en offrira un exemplaire à Claude Debussy, qui le conservera toute sa vie dans son cabinet de travail .
- La Jeune Fille à la gerbe (vers 1886) : Déclarée Trésor national en 2003, cette œuvre influença Rodin lui-même .
⏳ L’Âge Mûr : Allégorie de l’Abandon
L’œuvre la plus poignante illustrant cette période est L’Âge mûr (1899). Il s’agit d’une double allégorie du temps et de la fin de sa liaison avec Rodin . La sculpture représente un homme mûr qui s’éloigne de la jeunesse implorante (L’Implorante) pour se tourner vers la vieillesse, symbolisant ainsi le choix de Rodin de rester auprès de Rose Beuret .
L’Âge mûr marque un moment-clé de sa carrière, celui de la parfaite maîtrise de ses moyens. Toutefois, bien qu’elle commence à obtenir une reconnaissance officielle (mention honorable au Salon, médaille de bronze à l’Exposition universelle de 1900 ), cette reconnaissance n’atteindra jamais l’ampleur que l’artiste était en droit d’espérer .
📉 La Solitude et la Montée de la Paranoïa
À partir de 1905, malgré le soutien de quelques figures influentes comme le critique Gustave Geoffroy ou l’écrivain Octave Mirbeau (qui admire son talent et proclame son génie à trois reprises dans la grande presse ), la sculptrice connaît des soucis financiers et de profonds troubles psychologiques .
Elle est persuadée que Rodin est la cause de son insuccès et l’appelle la « Fouine » . Ses idées deviennent obsessionnelles et paranoïaques .
Dans son journal de 1909, Paul Claudel décrit l’état de l’atelier de sa sœur : « À Paris, Camille folle. Le papier des murs arraché à longs lambeaux, un seul fauteuil cassé et déchiré, horrible saleté. Elle, énorme et la figure souillée, parlant incessamment d’une voix monotone et métallique » . En 1910, son atelier est endommagé par la grande crue de la Seine . En 1912, dans un geste de rage et de vengeance contre ses « ennemis », elle détruit la majorité de ses modèles en plâtre et brûle ce qu’elle peut .
IV. Trente Ans d’Internement et Mort dans l’Oubli (1913–1943) ⚰️
⛓️ L’Internement Forcé de 1913
Le protecteur et défenseur de Camille, son père, Louis Prosper Claudel, meurt le 2 mars 1913, alors qu’elle a quarante-huit ans . Sa mort supprime la seule protection qu’elle avait contre le reste de sa famille .
Immédiatement après le décès, son frère Paul, alors écrivain-diplomate, décide d’agir. Sa famille, menée par sa mère (qui avait une violente aversion pour sa fille et son art ), demande son internement. Sa mère, alors âgée de 73 ans, signe une « demande de placement volontaire » .
Le 7 mars 1913, le docteur Michaux délivre un certificat médical décrivant Camille Claudel comme atteinte de « troubles intellectuels très sérieux »; il note qu’elle est « absolument sale », privée d’air et de nourriture, et qu’elle vit dans la terreur de la « bande à Rodin » . Le diagnostic posé par les docteurs est celui de psychose paranoïaque ou de démence paranoïde .
Le 10 mars 1913, Camille est internée à l’asile de Ville-Évrard (Seine-Saint-Denis) . Sa famille demande que ses visites et sa correspondance soient restreintes . Elle restera internée sans interruption pendant trente ans .
🏥 La Vie à Montfavet et l’Indigence
En 1915, en raison de la réquisition des hôpitaux pendant la Première Guerre mondiale, Camille est transférée à l’asile d’aliénés de Montdevergues, à Montfavet, dans le Vaucluse, où elle passera le reste de sa vie .
Malgré le fait que son état ait semblé s’améliorer autour de 1919, sa mère s’oppose violemment à toute éventualité de sortie, écrivant au directeur de Montdevergues qu’elle ne veut plus revoir sa fille qu’elle accuse d’avoir « tous les vices » et d’être « remplie de mauvaises intentions » à leur égard .
Durant ces trois décennies d’internement, Camille Claudel ne sculpte plus . Sa mère et sa sœur ne lui rendront jamais visite. Seul son frère Paul, l’écrivain, viendra la voir à douze reprises .
Camille Claudel se plaint des conditions de son internement dans de nombreuses lettres, déplorant être « incarcérée depuis cinq ans et demi comme une criminelle, privée de liberté, privée de nourriture, de feu » .
⚰️ Décès par Malnutrition
Camille Claudel meurt à l’asile de Montfavet le 19 octobre 1943, à l’âge de 78 ans, d’un ictus apoplectique . Son décès est vraisemblablement la conséquence de la malnutrition sévissant à l’hôpital durant cette période . En août 1942, le directeur de l’hôpital écrivait à Paul Claudel que l’état général de Camille avait « marqué un fléchissement net depuis les restrictions », nécessitant d’être alitée pour œdème .
Deux mois avant la mort de Camille, le directeur signalait que « Mes fous meurent littéralement de faim : 800 sur 2 000 » . Entre 1940 et 1944, on estime que 40 000 malades mentaux sont morts de faim dans les hôpitaux psychiatriques en France .
Camille Claudel est inhumée au cimetière de Montfavet, dans le carré des aliénés, sans la présence de sa famille ou de son frère . Ses restes, non réclamés par les descendants, seront plus tard transférés à l’ossuaire .
V. Postérité et Réhabilitation Culturelle (Post-1943) 🎬
🖼️ La Redécouverte Tardive
Malgré l’internement et la destruction d’une partie de son fonds d’atelier par sa famille après 1913 , les œuvres de Camille Claudel ont continué d’être appréciées et exposées ponctuellement par ses collectionneurs .
Cependant, c’est à partir des années 1980, dans un contexte de redécouverte des artistes-femmes , que sa reconnaissance prend de l’ampleur. La biographie Une femme, Camille Claudel d’Anne Delbée, publiée en 1982, devient un best-seller et la fait connaître du grand public, bien que la famille Claudel ait contesté le portrait dépeint .
Le film Camille Claudel de Bruno Nuytten (1988), produit et interprété par Isabelle Adjani, marque une étape cruciale dans sa réhabilitation et son succès public . Le succès du film a eu des retombées importantes sur sa notoriété et a même inspiré de nombreux parents à donner son prénom à leurs filles .
🏛️ Le Musée et la Conservation des Œuvres
Aujourd’hui, les œuvres de Camille Claudel sont conservées dans de prestigieuses institutions :
- Le Musée Camille-Claudel (Nogent-sur-Seine) : Ouvert en 2017 , il présente la plus grande collection de ses travaux, permettant de suivre l’ensemble de sa carrière . Ce musée a intégré les collections du musée créé par Paul Dubois et Alfred Boucher .
- Le Musée Rodin (Paris) : Auguste Rodin avait lui-même légué ses œuvres à l’État et demandé en 1914, alors que Camille était déjà internée, qu’une salle lui soit réservée dans son futur musée. Cette volonté fut respectée en 1952, lorsque Paul Claudel fit don de quatre œuvres majeures de sa sœur .
- Autres Collections : Ses créations sont également visibles au Musée d’Orsay (L’Âge mûr, Torse de Clotho) , au Palais des Beaux-Arts de Lille, au Musée Sainte-Croix de Poitiers, et dans des institutions internationales comme le National Museum of Women in the Arts à Washington et le Musée Soumaya de Mexico .
Le catalogue raisonné de 1996 retient 99 œuvres (sculptures et dessins) de Camille Claudel, bien que différentes versions modifiées puissent porter ce nombre à 110 . Les œuvres de Camille Claudel sont entrées dans le domaine public le 1er janvier 2014 .
⚖️ Controverses Autour de l’Authenticité et du Droit Moral
La redécouverte de Camille Claudel a également soulevé d’importantes questions juridiques concernant le droit d’auteur et la contrefaçon, notamment en ce qui concerne les fontes posthumes réalisées après 1984 .
Sa petite-nièce, Reine-Marie Paris, qui a joué un rôle déterminant dans la réhabilitation de l’artiste , a fait l’acquisition de plusieurs sculptures et de leurs droits de reproduction, réalisant des tirages en bronze à partir de 1989 . Ces pratiques ont engendré quinze ans de procédures judiciaires (1999-2014) .
Bien que Reine-Marie Paris ait exercé son droit de reproduction, la Cour de cassation l’a finalement condamnée en 2016 pour « atteinte au droit moral de l’artiste » en ayant vendu des surmoulages (comme celui de La Vague) accompagnés d’un certificat les présentant comme des œuvres originales . Ce jugement a renforcé la définition du droit moral des artistes dans la jurisprudence française .
