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Louis IX : Le Monarque Justicier, Réformateur et Croisé d’un Royaume en Mutation
Louis IX, plus connu sous le nom de Saint Louis, demeure l’une des figures les plus emblématiques de l’histoire de France et de la chrétienté médiévale. Né le 25 avril 1214 à Poissy, ce neuvième roi de France de la dynastie des Capétiens directs a régné pendant plus de quarante-trois ans, de 1226 jusqu’à sa mort survenue le 25 août 1270 à Carthage. Son règne, inspiré par des valeurs chrétiennes profondes, a marqué une transition fondamentale, faisant passer la France d’une monarchie féodale à un État moderne reposant sur la notion de sujets plutôt que de simples vassaux. Canonisé par l’Église catholique en 1297, il est aujourd’hui célébré comme un monarque ayant offert à la France un renouveau économique, intellectuel et artistique.
Cet article propose un panorama détaillé de la vie, des réformes et des croisades de Louis IX, explorant les lumières et les ombres d’un règne complexe et fascinant.
Une Jeunesse sous l’Ombre Royale : La Régence de Blanche de Castille 👑
Louis IX est l’héritier du trône non par sa naissance, mais par la disparition précoce de son frère aîné Philippe. Cinquième enfant et deuxième fils connu de Louis VIII, dit « le Lion », et de la reine Blanche de Castille, sa naissance a lieu sous le règne de son grand-père Philippe Auguste.
Naissance et Éducation Pieuse 🌟
Dès sa naissance, Louis est baptisé en la collégiale Notre-Dame de Poissy, un lieu qui lui restera cher et dont il aimera signer ses lettres, considérant son baptême comme sa « vraie naissance ». Son éducation est très stricte et profondément pieuse, principalement sous l’influence de sa mère, Blanche de Castille, qui le forme religieusement et moralement à la fonction royale et à la protection de l’Église. Il grandit également aux côtés de son grand-père, Philippe Auguste, qui exerce une grande influence sur lui, renforçant ainsi la légitimité dynastique de l’enfant.
Le Jeune Roi et les Barons Rebelles ⚔️
À la mort de son père, Louis VIII, le 8 novembre 1226, Louis n’a que douze ans. Le royaume est alors saisi d’inquiétude à l’idée d’être gouverné par un enfant. Conformément au testament de Louis VIII, la régence du royaume est exercée par la reine mère, Blanche de Castille. Le sacre de Louis IX a lieu rapidement, le 29 novembre 1226, en la cathédrale Notre-Dame de Reims, une précipitation destinée à asseoir son autorité et à éviter toute pression.
Cependant, le début de son règne est marqué par de turbulences internes. De nombreux seigneurs, refusant d’être dirigés par une femme étrangère et un enfant, se coalisent. Des figures telles que Philippe Hurepel, oncle du roi, et Pierre Mauclerc, duc de Bretagne, sont à la tête de ces révoltes. En 1227, les barons tentent même d’enlever le jeune roi à Montlhéry, mais les Parisiens, fidèles à Blanche, volent à son secours. La coalition des barons se reforme en 1228, mais l’instabilité des rebelles et le soutien de certains alliés, comme Ferrand de Flandre et Thibaud IV de Champagne, permettent à la régence de tenir bon. En 1230, alors qu’il n’a pas encore seize ans, Louis IX prend la tête de l’ost royal pour mener campagne contre Pierre Mauclerc, allié au roi d’Angleterre Henri III, et pour protéger Thibaud de Champagne. Ces victoires militaires renforcent son image de roi guerrier et assoient son autorité.
Un Mariage Stratégique et Pieux 👰🤵
Louis IX est reconnu majeur en 1234, à l’âge de vingt ans. Son mariage, conseillé par sa mère et ses conseillers, est célébré le 27 mai 1234 en la cathédrale de Sens avec Marguerite de Provence, alors âgée de treize ans. Le couple est uni malgré un lointain lien de parenté, grâce à une dispense papale. Selon Guillaume de Saint-Pathus, confesseur de la reine Marguerite, Louis IX respecte les « trois nuits de Tobie » en se consacrant à la prière les trois premières nuits de son mariage, soulignant sa profonde piété.
Un Royaume en Transformation : Consolidation Territoriale et Réformes Profondes 🇫🇷
Le règne de Louis IX est une période charnière pour la France, marquée par la consolidation du domaine royal et l’instauration de réformes qui jettent les bases d’un État moderne.
Mettre Fin aux Conflits Héréditaires : Le Traité de Paris 🤝
Un des accomplissements majeurs de Louis IX est la résolution du long conflit entre les Capétiens et les Plantagenêts. Après une nouvelle rébellion menée par Hugues X de Lusignan, qui prend alliance avec Henri III d’Angleterre, la guerre de Saintonge éclate en 1242. Louis IX mène personnellement l’ost royal et remporte une victoire décisive à la bataille de Taillebourg en juillet 1242, repoussant Henri III.
Après des années de trêves et de négociations, et malgré les réticences initiales d’Henri III, les deux rois signent le Traité de Paris le 28 mai 1258. Par cet accord, Henri III renonce à ses revendications sur la Normandie, l’Anjou, la Touraine, le Maine et le Poitou, tandis que Louis IX lui cède des territoires dans le Limousin, le Quercy et la Saintonge, ainsi que la somme nécessaire pour entretenir 500 chevaliers pendant deux ans. Ce traité met fin à des siècles de conflits, consolidant les acquis territoriaux français et établissant une paix durable entre les deux monarchies. Une amitié sincère naît même entre les deux souverains, qui célèbrent ensemble Noël à Paris.
L’Extension du Domaine Royal et l’Apanage 👑
Louis IX respecte scrupuleusement le testament de son père, qui prévoyait le transfert d’environ un tiers du domaine royal à ses frères cadets sous forme d’apanages (Artois pour Robert, Poitou et Auvergne pour Alphonse, Anjou et Maine pour Charles). Cette politique, bien qu’amoindrissant le domaine royal, est une stratégie pour éviter les conflits familiaux et assurer la cohésion du royaume. Louis IX insiste sur la clause de réversion de l’apanage au domaine royal en cas d’absence d’héritier, ce qui se produit avec Alphonse en 1271, réintégrant ainsi le comté de Toulouse et l’Auvergne.
Le règne de Louis IX voit également l’intégration des sénéchaussées de Beaucaire et de Carcassonne au domaine royal, suite au Traité de Meaux-Paris de 1229 qui soumet Raymond VII de Toulouse après la croisade des Albigeois. Ce traité prévoit également le mariage de Jeanne de Toulouse avec Alphonse de Poitiers, assurant le rattachement définitif du comté de Toulouse à la Couronne en 1271. De plus, le Traité de Corbeil de 1258 fixe la frontière sud du royaume avec l’Aragon, Louis renonçant à la Catalogne en échange des prétentions aragonaises sur la Provence et le Languedoc.
Louis IX, le Justicier Suprême : Révolution Judiciaire ⚖️
Louis IX est un roi réformateur dont le règne est profondément inspiré par les valeurs du christianisme. Il s’attache à développer une justice royale forte et équitable, où le souverain est perçu comme le « justicier suprême ». Il veut léguer un royaume où les sujets sont soumis à un pouvoir juste.
Ses réformes judiciaires sont nombreuses et novatrices :
- La « quarantaine-le-roi » : Instituée par l’ordonnance de 1245, elle impose une trêve de quarante jours en cas de discorde pour limiter les guerres privées, désormais interdites, et apaiser les tensions.
- La présomption d’innocence et l’atténuation de l’usage de la torture.
- L’abolition de l’ordalie (jugement de Dieu par le feu ou l’eau) en 1261, au profit de preuves rationnelles ou testimoniales.
- L’interdiction de la vengeance privée.
- L’institution de la supplicatio : la possibilité de faire appel au roi pour amender un jugement.
- Les enquêteurs royaux : Dès 1247, il dépêche des enquêteurs pour instruire de l’état du pays et réprimer les abus des baillis et prévôts, des administrateurs royaux désormais nommés et payés. Ces officiers sont soumis à des règles strictes de gestion et doivent rendre justice sans distinction de personnes.
- La « Grande Ordonnance » de 1254 : Ce texte majeur regroupe plusieurs mesures visant à réformer en profondeur le gouvernement royal. Elle ordonne aux officiers royaux de refuser tout cadeau, interdit les amendes sans jugement, combat la famine en empêchant le transport des blés, et proscrit le blasphème, les jeux d’argent, les prêts à intérêt et la prostitution pour les officiers.
- La protection des femmes : L’ordonnance de 1256 souligne la nécessité de respecter les droits des femmes sur leurs héritages et leurs dots, la justice royale ayant le devoir de les protéger et refusant qu’une femme soit punie pour les fautes de son mari.
Ces réformes contribuent à faire passer la France d’une monarchie féodale à une monarchie moderne, où le roi est chef de l’État et souverain de ses « sujets ». La cour du roi commence à se diviser en sections précises, comme le Conseil pour les affaires politiques, la Curia in parliamento (ancêtre du Parlement) et la Curia in compotis (ancêtre de la Cour des comptes).
Des Réformes Sociétales et Morales : Ordre et Piété ✨
Au-delà de la justice, Louis IX met en place des mesures visant à renforcer la moralité chrétienne dans le royaume, notamment après son retour de la septième croisade où il attribue son échec à l’immoralité de son royaume. Il punit ainsi le blasphème, les jeux d’argent (interdisant même la fabrication de dés et la pratique des échecs), les prêts à intérêt et la prostitution.
L’Unification Monétaire 💰
Vers la fin de son règne (1262-1270), Louis IX opère d’importantes réformes monétaires. Il interdit la contrefaçon de la monnaie royale et établit son monopole de circulation dans le royaume, bien qu’il autorise la circulation des monnaies seigneuriales sur leurs propres terres. Il interdit l’usage des « esterlins » (monnaie anglaise) et, en 1266, crée le Gros Tournois, une pièce d’argent qui connaîtra un succès retentissant en France et sur le marché international jusqu’au XIVe siècle. Ces réformes témoignent d’une volonté d’unification économique et d’affirmation de la puissance royale.
La Foi en Action : Bâtisseur, Mécène et Protecteur de l’Église ⛪
La piété de Louis IX est au cœur de son règne, se manifestant par son rôle de bâtisseur, de mécène et de défenseur zélé de la foi.
Des Cathédrales aux Monastères : Un Roi Bâtisseur 🏗️
Louis IX finance et ordonne la construction de nombreux couvents, églises et abbayes. Sous son règne, l’architecture parisienne évolue vers un « art sophistiqué », le « style de cour », faisant de Paris une capitale artistique de premier plan. Parmi ses réalisations :
- L’Abbaye de Royaumont : Fondée entre 1229 et 1234, cette abbaye cistercienne est un projet personnel du roi, qui participe activement à la vie du chantier, allant jusqu’à porter des pierres et du mortier, incarnant ainsi son humilité et sa pénitence.
- L’Abbaye de Maubuisson : Fondée par Blanche de Castille en 1241.
- La Basilique Saint-Denis : Dès 1231, des travaux de grande ampleur y sont menés. En 1267, Louis IX inaugure un nouvel ensemble sépulcral, renforçant la continuité dynastique des rois francs.
- Fortifications : Il développe également l’architecture militaire, notamment avec les remparts d’Aigues-Mortes et de Jaffa, et domestique, comme le château de Tours. Aigues-Mortes est fortifiée en vue des croisades, devenant une base navale cruciale et l’une des réalisations urbaines les plus remarquables du Moyen Âge français.
La Sainte-Chapelle : Écrin des Reliques Sacrées 💎
Un des projets architecturaux les plus prestigieux de Louis IX est la construction de la Sainte-Chapelle à Paris. En 1237, il acquiert la Couronne d’Épines du Christ auprès de Baudouin II, empereur latin de Constantinople, une relique d’une immense valeur spirituelle et symbolique, considérée comme une preuve de grande dévotion et source de prestige. Par la suite, il acquiert d’autres reliques de la Passion, dont une partie de la Vraie Croix, la Sainte Éponge et le fer de la Sainte Lance.
Jugeant la chapelle palatine Saint-Nicolas trop modeste pour ces trésors, Louis IX décide de construire la Sainte-Chapelle pour servir de « reliquaire monumental » et de « sanctuaire royal ». Son implantation au sein du palais royal affirme le lien entre le roi et le sacré, et les serments dans les procédures entre seigneurs et vassaux y sont désormais prêtés sur les reliques. Construite en un temps record et inaugurée le 26 avril 1248, la Sainte-Chapelle, par son programme architectural et ses symboles, permet à la monarchie capétienne de se présenter comme l’héritière de l’idée impériale et de véhiculer l’image d’un roi marchant sur les pas du Christ.
L’Engagement pour l’Éducation et la Charité 🙏
Louis IX est également un fervent promoteur de l’éducation et de l’assistance aux plus démunis :
- La Sorbonne : En 1253, il cofonde le collège de Sorbonne pour les maîtres en théologie, à la demande de son chapelain et ami Robert de Sorbon. Ce collège accueille des étudiants pauvres et contribue au développement intellectuel de Paris.
- Les Hospices : Il fonde l’hospice des Quinze-Vingts près de la porte Saint-Honoré pour recueillir les aveugles miséreux de Paris, accordant une rente et des privilèges à cette institution. Cette initiative marque, pour la première fois dans l’histoire, la responsabilité de la monarchie envers les infirmes, posant les jalons de la prise en charge étatique des problèmes sociaux. Il restaure l’Hôtel-Dieu de Paris et participe à la fondation de l’hôtel des « Audriettes » pour les veuves, ainsi que des Hôtels-Dieu à Pontoise et Vernon.
Contre l’Hérésie Cathare 🕊️
Conformément à sa conception de la fonction royale comme bras séculier de l’Église et protecteur de la foi, Louis IX intervient contre les ennemis de cette foi. Bien que la croisade des Albigeois se soit achevée avant son règne, les cathares restent présents, notamment en Languedoc. La volonté de Louis est de purifier le royaume par la conversion et l’expulsion, bien qu’il accepte les condamnations au bûcher. Après l’assassinat d’inquisiteurs en 1242, il charge le sénéchal de Carcassonne d’assiéger le château de Montségur, dernier bastion cathare. Après une longue résistance, la forteresse se rend le 1er mars 1244, et 220 hommes et femmes refusant d’abjurer leur foi sont brûlés.
Un Roi Diplomate dans une Europe en Mutation 🗺️
Le prestige de Louis IX dépasse les frontières de son royaume, faisant de lui un arbitre sollicité et un pacificateur au sein de la chrétienté.
Arbitre des Rois : Le Dit d’Amiens 📜
En Angleterre, le conflit entre le roi Henri III et ses barons, qui cherchent à restreindre son pouvoir, atteint son paroxysme avec les Provisions d’Oxford (1258) et de Westminster (1259). En décembre 1263, Henri III et ses barons demandent l’arbitrage de Louis IX, promettant de respecter sa décision. Le 23 janvier 1264, Louis rend son verdict, le « Dit d’Amiens » : en fervent partisan de la prérogative royale, il ratifie la bulle pontificale annulant les Provisions d’Oxford et déclare qu’Henri Plantagenêt doit retrouver la plénitude de son pouvoir et de sa souveraineté. Son arbitrage est considéré comme un jugement rendu en tant que suzerain des barons anglais.
La Complexité des Flandres ⚔️
Louis IX est également appelé à intervenir dans le complexe conflit de succession de Flandre et du Hainaut entre les fils de Marguerite II de Flandre. En 1246, pour pacifier le royaume avant de partir en croisade, il ménage un accord, attribuant le Hainaut aux Avesnes et la Flandre aux Dampierre. Cependant, le conflit reprend, et en 1256, par le « Dit de Péronne », Louis IX doit réaffirmer et confirmer l’accord initial, tout en réprimandant son frère Charles d’Anjou qui s’était immiscé dans l’affaire.
Neutralité Papale et Impériale 🕊️
Alors que les deux plus grandes puissances d’Occident, l’empereur Frédéric II du Saint-Empire et le pape Innocent IV, sont en guerre, Louis IX maintient une stricte neutralité. Il rend à chacun ce qu’il estime leur être dû : un profond respect au pape et une reconnaissance formelle de la prééminence symbolique à l’empereur, tout en insistant sur son indépendance temporelle. Il refuse de laisser le pape intervenir dans ses affaires et, bien qu’il ait envoyé des troupes pour défendre le souverain pontife contre Frédéric II, il continue de rester neutre, maintenant des relations cordiales avec l’empereur.
Regards vers l’Orient : Missions auprès des Mongols 🐎
Dès 1245, Louis IX s’intéresse aux expéditions envoyées par le pape Innocent IV pour chercher le Grand Khan mongol, dans l’espoir de le convertir au christianisme ou de l’allier contre les musulmans. En 1248, des envoyés mongols l’approchent à Chypre, suggérant une alliance pour conquérir la Terre sainte. Louis dépêche alors des prêcheurs avec une tente luxueuse pour servir de chapelle, mais la mort du Grand Khan Güyük met fin à ces espoirs. Plus tard, bien que le Khan Sartaq se soit dit chrétien, l’ambassade de Guillaume de Rubrouck en 1255 ne donne aucun résultat concret. Face à des demandes de soumission de la Horde d’Or ou des offres d’aide de l’ilkhan Hülegü, Louis IX reste prudent, refusant de répondre directement aux requêtes qui ne reconnaissent pas son indépendance en tant que roi, et renvoyant les ambassadeurs à Rome.
Les Ombres d’un Règne : La Question Juive 🟡
Si Louis IX est célébré pour sa piété et sa justice, son règne est également marqué par une politique complexe et parfois dure envers la communauté juive. Il fait une distinction entre le judaïsme, qu’il considère comme une vraie religion, et l’hérésie ou l’islam. Cependant, les Juifs l’embarrassent car ils ne reconnaissent pas le Christ et ont des rites différents, tout en obéissant à l’Ancien Testament. Il se sent investi d’un devoir contradictoire : réprimer leurs conduites jugées « perverses » et « antichrétiennes », tout en les protégeant en tant que communauté minoritaire.
Lutte Contre l’Usure 💸
Louis IX cible particulièrement l’usure pratiquée par les Juifs, faisant d’eux l’objet d’une législation répressive. Dès 1230, l’ordonnance de Melun interdit aux Juifs d’emprunter et de percevoir des usures. En 1234, une nouvelle ordonnance remet le tiers des dettes chrétiennes envers les Juifs. La « Grande Ordonnance » de 1254 leur impose de cesser « leurs usures, sortilèges et caractères ». Fait notable, en 1247, Louis refuse de confisquer les usures des Juifs pour financer la septième croisade, considérant qu’il ne peut utiliser des biens « honteusement acquis » pour une action aussi sainte. Une ordonnance de 1268 étend la lutte contre l’usure à tous les usuriers, expulsant même les banquiers lombards et florentins.
Le Brûlement du Talmud 🔥
L’action la plus sombre de son règne est sans doute le brûlement du Talmud. Sur l’invitation de Nicolas Donin, un juif converti au catholicisme, le pape Grégoire IX demande la saisie de tous les exemplaires du Talmud en 1239. Louis IX obéit immédiatement, confisquant les livres en mars 1240. Soucieux d’objectivité, il organise un « procès du Talmud » en mars 1240 à Paris, où des ecclésiastiques débattent avec quatre rabbins érudits. Malgré quelques contestations, le Talmud est jugé infâme et condamné à être brûlé. Louis IX procède alors à la crémation publique de vingt-deux charrettes de manuscrits du Talmud sur la place de Grève à Paris, un spectacle inédit qui dure deux jours. Cette action est saluée par le pape Innocent IV, et d’autres crémations ont lieu les années suivantes.
La Rouelle : Un Signe de Distinction Douloureux 🟡
En 1269, sous l’influence du dominicain converti Pablo Christiani, Louis IX impose aux Juifs le port de la rouelle, un signe distinctif circulaire, cousu au milieu de la poitrine et dans le dos, afin qu’ils soient immédiatement reconnaissables. Il leur interdit également de sortir pendant les jours anniversaires de la Passion du Christ et d’exercer un emploi public. Dans l’espoir de leur conversion, il les oblige à assister aux sermons de Pablo Christiani, sans succès.
Un Antijudaïsme Complexe 💬
L’historiographie juive retient l’image d’un roi profondément antijuif. Cependant, certains historiens, comme Jacques Le Goff, qualifient sa politique d’antijudaïsme plutôt que d’antisémitisme, car il n’y a rien de racial dans son attitude. Selon Le Goff, Louis IX, ayant longtemps refusé d’appliquer certaines mesures antijuives romaines par souci d’intégration, finit par céder sous la pression des juifs convertis de son entourage. Malgré ces mesures répressives, Louis IX espère toujours la conversion des Juifs, leur rend justice lorsqu’ils sont injustement attaqués (leur restituant des synagogues et infligeant des amendes pour le seul pogrom de son règne), et est le parrain de nombreux Juifs convertis. Contrairement à son grand-père Philippe Auguste ou à son petit-fils Philippe le Bel, Saint Louis n’a jamais banni les Juifs de son royaume. Un certain équilibre, bien que fragile, subsiste, mais les conditions sont posées pour que les Juifs puissent devenir des boucs émissaires lors de dégradations des conditions de vie chrétiennes.
L’Appel de la Croisade : Un Destin Sacré 🛡️
Les croisades constituent une dimension centrale du règne de Louis IX, reflétant sa piété ardente et sa vision du rôle du roi chrétien.
Le Vœu de Pontoise : Un Serment Inébranlable 💖
En décembre 1244, Louis IX tombe gravement malade à Pontoise, probablement de dysenterie, et semble aux portes de la mort. Sa guérison, quelques semaines plus tard, est perçue comme un miracle. Selon Jean de Joinville, le roi retrouve miraculeusement la santé et la parole, qu’il utilise aussitôt pour faire le vœu de partir en croisade. Malgré les tentatives de sa mère, Blanche de Castille, et de son entourage pour le dissuader, Louis réitère son vœu, sain de corps et d’esprit, montrant ainsi sa détermination inébranlable.
La Septième Croisade : Entre Victoires Éphémères et Captivité ⚓
Le 12 juin 1248, Louis IX reçoit l’oriflamme à Saint-Denis, symbole de son engagement en tant que pèlerin et chef militaire. Il confie la régence du royaume à sa mère et s’embarque à Aigues-Mortes le 25 août 1248, accompagné de sa femme Marguerite de Provence, de ses frères (Robert d’Artois, Charles d’Anjou, Alphonse de Poitiers) et d’une armée considérable estimée à 25 000 hommes.
La croisade cible l’Égypte. Après avoir hiverné à Chypre, les croisés débarquent près de Damiette et prennent la ville le 5 juin 1249. L’armée avance ensuite vers Le Caire. La bataille de Mansourah a lieu le 9 février 1250, et malgré une victoire durement acquise, les croisés sortent très affaiblis. Robert Ier d’Artois meurt, et l’armée est décimée par des épidémies (dysenterie, typhus, scorbut). Louis IX lui-même est atteint de dysenterie, mais refuse de se retirer. Finalement, l’armée, affaiblie, est écrasée lors de la bataille de Fariskur le 6 avril 1250. Le roi est fait prisonnier avec une grande partie de son armée. La reine Marguerite de Provence lève une rançon colossale, et Louis est libéré le 6 mai 1250.
Après sa libération, Louis IX entreprend un pèlerinage en Terre sainte, où il renforce les fortifications de Césarée, Jaffa et Ascalon. Il y reste plusieurs années, mais la nouvelle de la mort de sa mère en novembre 1252 le décide à rentrer. Il débarque en France le 10 juillet 1254 et fait son entrée triomphale à Paris le 7 septembre 1254. La septième croisade est perçue comme un échec total, générant scepticisme et amertume envers le clergé.
La Huitième Croisade : Le Sacrifice Ultime en Terre Tunisienne 🌴
L’échec de la première croisade hante Louis IX, qui l’interprète comme une punition divine. À l’été 1266, il annonce secrètement au pape Clément IV sa décision de se croiser une seconde fois, officialisant sa décision en mars 1267 et fixant le départ en mai 1270. Cette décision apparaît déjà anachronique à certains de ses contemporains. L’objectif est de convertir l’émir hafside de l’Ifriqiya (Tunisie) et d’en faire une base pour attaquer l’Égypte mamelouk.
La préparation est minutieuse, financée par les villes et les décimes ecclésiastiques, mais le soutien diplomatique est moindre. Après plusieurs étapes, Louis et ses fils arrivent à Aigues-Mortes et s’embarquent le 1er juillet 1270. Après une brève escale en Sardaigne, les croisés débarquent à La Goulette, près de Tunis. Cependant, le sultan n’a aucune intention de se convertir et attaque les croisés. L’armée est rapidement touchée par des épidémies, qui emportent le prince Jean Tristan. Après plus de 43 années de règne, le roi Louis IX s’éteint le 25 août 1270 à Carthage, victime à son tour de l’épidémie, probablement du scorbut et de la bilharziose. Sa mort est mise en scène, achevant un programme d’identification messianique.
Postérité et Vénération : L’Héritage de Saint Louis 🕊️
La mort de Louis IX à Carthage ouvre une nouvelle ère, marquée par le rapatriement de sa dépouille, un long processus de canonisation et la perpétuation de son culte.
La Dépouille Royale et le Mos Teutonicus ⚰️
Après sa mort en terre infidèle, sa dépouille est l’objet d’un enjeu politique entre son fils, Philippe III, et son frère, Charles d’Anjou. Il est finalement décidé de procéder au mos Teutonicus : le corps est découpé et cuit dans un mélange d’eau et de vin pour séparer la chair des os. Les entrailles et les chairs sont remises à Charles d’Anjou pour être déposées à l’abbaye de Monreale, tandis que les ossements sont destinés à la nécropole royale de Saint-Denis. Le convoi funéraire, long et éprouvant, arrive à Paris le 21 mai 1271, et les funérailles ont lieu à Saint-Denis le lendemain, où Philippe III transporte lui-même les cendres de son père sur son dos.
Le Long Chemin vers la Canonisation 🌟
Considéré comme un saint de son vivant, Louis IX fait l’objet d’une vénération immédiate après sa mort, avec de nombreux miracles rapportés sur le passage de sa dépouille. Le procès de canonisation est lancé sous l’impulsion de son confesseur Geoffroy de Beaulieu, qui le considère comme un « véritable modèle pour tous les princes chrétiens ». Après plusieurs années d’enquêtes approfondies sur sa vie, ses mœurs et les miracles attribués à son intercession, et malgré les changements de papes, le processus aboutit. Sous l’impulsion de son petit-fils Philippe le Bel, et avec le soutien du pape Boniface VIII qui souhaite établir de bonnes relations avec le roi de France, Louis IX est canonisé le 11 août 1297 sous le nom de Saint Louis de France, sa fête liturgique étant fixée au 25 août, jour anniversaire de sa mort. Il est le seul roi de France à avoir été canonisé.
Un Culte Dispersé et un Saint Dynastique 🕊️
Après sa canonisation, les ossements de Saint Louis sont solennellement déposés dans une châsse en or à Saint-Denis. Cependant, les reliques du saint subissent un destin « curieux et dramatique », car Philippe IV le Bel souhaite les transférer à la Sainte-Chapelle. Le pape Clément V autorise le transfert de la tête, laissant le menton, les dents et la mâchoire inférieure aux moines de Saint-Denis. Les reliques sont ensuite dispersées à travers l’Europe et le royaume de France par les rois successifs, offertes à des églises, monastères et souverains, notamment des phalanges de doigts au roi de Norvège, et des fragments d’os à la cathédrale de Prague. La Révolution française voit la destruction de la châsse de 1298 et la dispersion de la plupart des ossements. Aujourd’hui, certaines de ses entrailles, après un long périple, reposent dans la cathédrale de Versailles.
La vénération de Saint Louis, bien que précoce, se répand véritablement à partir du XVIIe siècle, faisant de lui un saint dynastique d’ampleur nationale et le protecteur de la France et de la monarchie. Il devient le saint patron du diocèse aux armées françaises, de celui de Versailles et de Blois, ainsi que des coiffeurs et passementiers.
Représentations et Attributs 🖼️
Les représentations artistiques de Saint Louis le figurent presque toujours en roi et en saint, avec les attributs du monarque absolu : la couronne, parfois la main de justice ou le sceptre. Ses attributs religieux incluent les clous de la Passion. Les scènes de sa vie les plus souvent représentées sont celles où il visite les malades, apporte de la nourriture aux pauvres, lave les pieds des lépreux, accomplit des miracles, ou se donne la discipline. Le lys de France ou un vêtement fleurdelysé sont également des attributs royaux constants, bien que ce symbole de l’absolutisme ait conduit à la destruction de nombreuses représentations sous la Révolution.
Conclusion 🌟
Louis IX, Saint Louis, est indéniablement l’un des plus grands Capétiens, à l’égal de son grand-père Philippe II Auguste et de son petit-fils Philippe IV le Bel. Son règne marque un tournant majeur dans l’histoire de France, consolidant l’autorité royale, modernisant l’administration et la justice, et inscrivant profondément la foi chrétienne dans la gouvernance du royaume. Si son engagement dans les croisades et sa politique envers les Juifs révèlent les complexités et les ambiguïtés d’une époque, son œuvre réformatrice, sa quête de justice et sa dévotion exemplaire ont laissé une empreinte indélébile, faisant de lui une figure centrale de l’identité française et un modèle de la royauté chrétienne.
