Bienvenue dans cet article détaillé consacré à Henry Ford, figure emblématique de l’industrie du XXe siècle. Nous explorerons la vie, l’œuvre et l’héritage contrasté de cet homme dont le nom est indissociablement lié à la révolution de l’automobile et aux profondes transformations sociales et économiques qu’il a initiées. Préparez-vous à plonger dans l’histoire de celui qui a mis l’Amérique sur roues, mais dont les idéologies ont également soulevé de vives controverses. 🚗🏭
🌟 Henry Ford : L’Architecte de l’Ère Automobile
Henry Ford, né le 30 juillet 1863 à Dearborn, Michigan, et décédé dans la même ville le 7 avril 1947, fut un industriel américain majeur de la première moitié du XXe siècle et le fondateur du constructeur automobile Ford. Son impact sur l’industrie fut si profond que son nom est aujourd’hui attaché au fordisme, une méthode de production révolutionnaire. Ce système combinait une production en série basée sur le principe de la ligne d’assemblage avec un modèle économique qui s’appuyait sur des salaires élevés. L’implémentation de cette méthode au début des années 1910 a non seulement bouleversé l’industrie américaine en favorisant une consommation de masse, mais a également permis la production de plus de 16 millions d’exemplaires de la célèbre Ford T. Grâce à ces succès, Henry Ford est devenu l’une des personnes les plus riches et les plus connues au monde.
👶 Les Premières Années et les Origines Familiales
Les racines d’Henry Ford sont ancrées en Irlande. Son père, William Ford (1826-1905), était originaire de Kilmalooda, dans le comté de Cork. En 1847, à l’âge de 21 ans, William immigra aux États-Unis avec sa famille. Un an plus tard, son père, John Ford, acquit une ferme dans le comté de Wayne, près de Détroit, auprès d’un autre immigré de Cork. C’est dans cette ferme que William rencontra Mary Litogot (1839-1876), dont il tomba amoureux. Mary, née dans le Michigan, était la fille adoptive de Patrick Ahern, un employé de la ferme, et ses parents biologiques étaient des immigrés belges. William et Mary se marièrent le 21 avril 1861 et s’installèrent à Fair Lane, la résidence des parents de Mary, à Dearborn. Le 30 juillet 1863, Henry Ford, l’aîné d’une fratrie de six enfants, y vit le jour.
Henry Ford a fréquenté l’école jusqu’à l’âge de 15 ans, mais il n’y montrait que peu d’intérêt, se révélant être un piètre élève. Il n’apprit jamais à bien orthographier ni à lire correctement et s’exprimait toujours de la manière la plus simple. Cependant, son intérêt pour la mécanique se manifesta très tôt. À seulement 12 ans, son père lui offrit une montre de poche, qu’il démonta et remonta à de nombreuses reprises, ce qui lui valut une réputation de réparateur de montres auprès de ses amis et voisins. Selon Ford lui-même, une « immense quantité de savoir peut être acquise simplement en bricolant des choses » et « la manière dont tout est fabriqué ne peut pas uniquement s’apprendre des livres ». Par la suite, il passa la majeure partie de son temps dans un atelier qu’il avait lui-même équipé, et où il construisit sa première machine à vapeur à l’âge de 15 ans.
🛠️ Jeunesse et Débuts Professionnels à Détroit
Malgré les besoins de l’exploitation agricole familiale, Henry Ford fut autorisé par ses parents à partir travailler à Détroit à l’âge de 16 ans. Il y fut notamment employé comme apprenti dans un atelier d’usinage métallique. Son salaire hebdomadaire de 2,50 $ ne lui permettait pas de couvrir ses dépenses, l’obligeant à travailler également de nuit dans un atelier de réparation de montres et d’horloges. Après trois années passées à Détroit, Ford retourna à la ferme. C’est à cette période qu’il fabriqua, pour Westinghouse (une entreprise de location et de réparation de moteurs), une petite machine agricole à vapeur dont le châssis et une partie du moteur provenaient d’une vieille tondeuse à gazon. Plusieurs années après le décès de sa mère en 1876, Henry rencontra Clara Bryant, fille d’un fermier du comté de Wayne. Ils se marièrent le 13 avril 1888 et eurent un fils, Edsel Ford, né le 6 novembre 1893.
En 1891, Ford retourna à Détroit avec sa famille pour travailler comme ingénieur mécanicien chez Edison Illuminating Company. Promu ingénieur en chef en 1893, il disposait alors de suffisamment de temps et d’argent pour se consacrer à ses expériences personnelles sur les moteurs à essence. Ces recherches aboutirent en 1896 à l’achèvement de son propre véhicule automobile, le « Ford Quadricycle », un véhicule de 4 chevaux à 4 roues, refroidi par eau. La même année, lors d’une convention à Manhattan Beach, New York, Ford fut présenté à Thomas Edison, qui déclara : « Young man, that’s the thing! You have it! Your car is self contained and carries its own power plant ». Cette approbation fut un encouragement décisif pour Ford.
💼 Les Premières Entreprises Automobiles
Encouragé par le soutien de Thomas Edison, Ford démissionna de la société Edison et fonda la Detroit Automobile Company le 5 août 1899, avec l’appui de l’industriel William H. Murphy. Cependant, cette première entreprise ne rencontra pas le succès escompté et fut dissoute en janvier 1901. Malgré cet échec initial, Ford et Murphy ne se découragèrent pas et créèrent une nouvelle entité : la Henry Ford Company.
Pour se faire connaître et asseoir sa réputation, Ford fit preuve d’imagination. En octobre 1901, avec l’aide de son associé Childe Harold Wills, il participa à une course de 10 miles sur le circuit de Grosse-Pointe au volant d’une automobile de compétition qu’il avait lui-même conçue, la célèbre 999. Ford remporta la course devant Alexander Winton, un coureur réputé. Cette victoire, largement diffusée dans la presse, lui permit d’acquérir une notoriété à travers tous les États-Unis.
Cependant, en 1902, Henry Ford entra en profond désaccord avec plusieurs actionnaires de l’entreprise. Alors que ces derniers souhaitaient commercialiser immédiatement une voiture de tourisme, Ford insistait pour poursuivre l’amélioration du véhicule sur lequel il travaillait. Face à ce désaccord, Ford décida de quitter la Henry Ford Company. L’entreprise fut alors reprise par Henry M. Leland, qui la renomma Cadillac Automobile Company.
Peu de temps après son départ, Henry Ford proposa à Alexander Malcomson, une connaissance rencontrée lorsqu’il était employé chez Edison, de s’associer pour créer une nouvelle entreprise de fabrication d’automobiles. Malcomson accepta, et ils fondèrent ensemble un partenariat nommé Ford & Malcomson, Ltd.. Leur premier modèle fut la Ford A (T33), une petite berline conçue pour être bon marché, destinée à être vendue aux alentours de 750 $. En 1903, Ford et Malcomson acceptèrent de vendre une partie de leurs parts de l’entreprise, notamment aux frères John et Horace Dodge.
Malgré ces efforts, les commandes ne furent pas suffisantes, et l’entreprise se retrouva rapidement en difficulté, incapable de payer les frères Dodge. Malcomson se tourna alors vers John S. Gray, le président de la banque germano-américaine de Détroit, qui investit 10 500 $ dans leur entreprise. Malcomson réussit également à convaincre quelques-uns de ses jeunes employés d’investir, récoltant au total 28 000 $. C’est ainsi que le 16 juin 1903, Ford & Malcomson, Ltd devint la Ford Motor Company. Initialement dirigée par John S. Gray, Ford en devint le vice-président, détenant 25,5 % des parts, tout comme Malcomson. Il accéda à la présidence le 22 octobre 1906.
🏆 Records et Succès Initiaux de la Ford Motor Company
Entre-temps, Henry Ford continua à démontrer son génie en matière de vitesse. En janvier 1904, il battit le record du monde de vitesse terrestre sur un modèle Arrow sur le Lac Sainte-Claire gelé, près de New Baltimore, Michigan. Il disputa également quelques courses en 1905, remportant notamment une victoire à Ventnor Beach, New Jersey, en septembre sur le mile, lors d’un défi contre une Darracq. Au total, Ford établit personnellement trois records mondiaux automobiles avec sa 999 en plein hiver sur son lac de prédilection : deux sur le mile lancé (en 1903 et 1904) et un sur le kilomètre lancé (en 1904), malgré plusieurs tentatives infructueuses sur des ovales en terre battue à cette période de sa vie. En 1906, il prit la mer en compagnie de Vincenzo Lancia et de Victor Demogeot pour assister à la seconde Course cubaine à La Havane.
La nouvelle entreprise, Ford Motor Company, fut cette fois-ci un succès retentissant. Elle réalisa 100 000 $ de profits au cours des six premiers mois et 250 000 $ sur la première année. Pour augmenter davantage leurs profits, Malcomson souhaita investir le marché des automobiles de luxe, qu’il considérait comme le segment le plus porteur. Ford, initialement récalcitrant, finit par accepter. C’est ainsi que les Ford Modèle B et Modèle K virent le jour. Ces modèles rencontrèrent un franc succès auprès des clients, si bien qu’en 1907, les profits de l’entreprise dépassèrent le million de dollars.
🌍 La Révolution du Fordisme et l’Ère de la Ford T
Henry Ford a prononcé ces mots emblématiques : « Je construirai une voiture automobile pour le plus grand nombre ». C’est cette vision qui a guidé la naissance de la Ford T, également surnommée « Tin Lizzie » (« la bonne à tout faire de fer blanc »), introduite le 1er octobre 1908. Cette voiture était conçue pour être extrêmement simple à conduire et peu coûteuse à réparer. De surcroît, elle était si bon marché qu’à partir des années 1920, une majorité de conducteurs américains apprirent à conduire dessus. La Ford T connut un succès sans précédent dans l’histoire de l’automobile ; au lendemain de la Première Guerre mondiale, elle équipait près d’un ménage américain sur deux parmi ceux qui possédaient une voiture.
⚙️ Le Fordisme : Une Méthode de Production Révolutionnaire
Le succès colossal de la Ford T est intrinsèquement lié au fordisme, un mode de développement inspiré du taylorisme, fondé sur la rationalisation et la standardisation.
- La rationalisation impliquait la décomposition de l’activité de l’ouvrier en tâches élémentaires. Cela permettait à l’ouvrier de travailler sur des machines-outils spécialisées, ce qui conduisait à une simplification et une normalisation des gestes, et surtout, à une augmentation conséquente de la productivité.
- La standardisation, une méthode déjà utilisée dans l’industrie de l’armement (dont certains ingénieurs de la Ford Motor Company étaient issus), permettait « l’utilisation de pièces standards parfaitement interchangeables dans la construction et la maintenance du véhicule ». Dans les usines Ford, la standardisation était poussée à l’extrême : seule la Ford T était produite, et uniquement en noir. Cette couleur était privilégiée non seulement pour son temps de séchage rapide, mais plus probablement pour son coût moindre. Cette méthode favorisait non seulement l’augmentation massive de la production, mais aussi l’expansion géographique de la Ford T, car des pièces détachées standards pouvaient être aisément envoyées pour réparation n’importe où.
En 1913, Ford introduisit le déplacement des pièces sur des convoyeurs, ce qui fut une innovation majeure. Grâce à cette ligne ou chaîne d’assemblage, le temps de montage du châssis de la Ford T passa de 728 minutes à seulement 93 minutes. Cette organisation du travail se caractérisait par une spécialisation poussée : « L’homme qui place une pièce ne la fixe pas, l’homme qui place un boulon ne met pas l’écrou et l’homme qui place l’écrou ne le visse pas ». Bien que Ford soit souvent crédité de l’idée de la chaîne d’assemblage, les sources indiquent que le concept et son développement sont en réalité dus à quatre de ses employés : Clarence Avery, Peter E. Martin, Charles E. Sorensen, et C. Harold Wills. Ford lui-même affirmait dans ses mémoires que l’idée lui était venue lors d’une visite dans un abattoir de Chicago lorsqu’il était adolescent.
Ces transformations radicales du mode de production, qui s’inscriront durablement dans la plupart des industries du début du XXe siècle, permirent une forte diminution du coût de revient.
- Au lancement, une Ford T valait 825 $. Bien que cela représentât plus d’un an de salaire pour un enseignant à l’époque, c’était nettement inférieur au prix moyen d’une automobile qui avoisinait alors près de 2 000 $.
- Le prix ne cessa de diminuer à mesure que la production augmentait : il passa à 690 $ en 1911, 490 $ en 1914, 360 $ en 1916, et finalement 290 $ en 1927.
- Les ventes de Ford T furent également décuplées, passant de 250 000 véhicules en 1914 à 472 000 en 1916, puis un million au début des années 1920.
📢 Marketing et Réseau de Distribution
Le succès de la Ford T ne se limita pas à la production et au prix ; le marketing joua également un rôle crucial. Ford mit en place une machine de publicité massive à Détroit, veillant à ce que tous les journaux retransmettent les annonces de ses produits. Il établit également un important réseau de distributeurs, introduisant l’automobile dans pratiquement toutes les villes d’Amérique du Nord. Cette stratégie permit aux ventes de monter en flèche. Finalement, lorsque la production de la Ford T cessa le 27 mai 1927, un total de 15 007 034 unités avaient été vendues en 19 ans, un record qui resta inégalé pendant 45 ans.
📉 Du Déclin de la Ford T à la Naissance du Modèle A
En décembre 1918, Henry Ford, alors âgé de 55 ans, céda la présidence de la Ford Motor Company à son fils, Edsel Ford. Cependant, Henry conserva un pouvoir discrétionnaire considérable. Interrogé sur l’avenir de l’entreprise, il déclara que s’il n’était pas le maître de sa propre entreprise, il en construirait une autre. C’est ainsi qu’en juillet 1919, il racheta l’ensemble des parts pour un montant de près de 106 millions de dollars, qu’il partagea avec les membres de sa famille, réaffirmant son contrôle total.
Au milieu des années 1920, les ventes du modèle T commencèrent à décliner en raison de l’augmentation de la concurrence. D’autres marques automobiles offraient à leurs clients la possibilité d’acquérir une automobile à crédit, ce que Ford avait toujours refusé. De plus, ces concurrents proposaient de meilleures prestations et un style plus moderne que le modèle T. Malgré les demandes pressantes d’Edsel, Henry refusa obstinément d’intégrer de nouvelles fonctionnalités au modèle T ou toute forme de plan de crédit client.
Ce déclin s’expliquait également par des raisons sociales et commerciales plus profondes :
- D’une part, les ouvriers commençaient à se lasser d’un travail jugé peu valorisant en raison de sa monotonie.
- D’autre part, l’élévation générale du niveau de vie permettait aux autres constructeurs de miser sur la segmentation du marché. Les clients étaient de plus en plus soucieux de se distinguer socialement par leur automobile et de disposer d’une voiture confortable. Posséder une Ford T n’était plus aussi valorisant et incitait les clients à renouveler leur voiture en se tournant vers des marques plus prestigieuses.
Ce n’est qu’en 1926 que Henry fut finalement convaincu de la nécessité de développer un nouveau modèle. Il suivit le projet avec un grand intérêt pour la conception du moteur, du châssis, de la mécanique et d’autres aspects, tout en laissant l’essentiel de la conception à son fils Edsel. La Ford Modèle A (deuxième du nom) vit le jour en 1927 et connaîtra en 1931 une production totale de plus de quatre millions d’unités.
🌐 L’Expansion Mondiale et la Vision de Ford
Le leitmotiv d’Henry Ford était l’indépendance économique, voire l’autarcie, des États-Unis. Son complexe industriel de Red River était l’un des sites industriels les plus importants de l’époque, capable de produire l’acier nécessaire à sa propre production. Son objectif premier était de produire un véhicule à partir de zéro, sans avoir recours au commerce extérieur. Cependant, paradoxalement, il croyait fermement en l’expansion mondiale de son entreprise et estimait que le commerce et la coopération internationale menaient à la paix ; il utilisait d’ailleurs la ligne d’assemblage de traitement et de production du modèle T pour le démontrer.
Ford ouvrit des usines de montage au Royaume-Uni et au Canada en 1911, et devint rapidement le plus grand producteur automobile de ces pays. En 1912, Ford coopéra avec Giovanni Agnelli, dirigeant de Fiat, afin de lancer la première chaîne de montage automobile italienne. La première des usines en Allemagne fut construite dans les années 1920 avec le soutien d’Herbert Hoover et du Département du commerce, qui partageaient la théorie de Ford selon laquelle le commerce international était essentiel pour la paix dans le monde. Dans les années 1920, Ford ouvrit également des usines en Australie, en Inde et en France. En 1929, Ford disposait de concessionnaires sur les cinq continents.
Ford expérimenta même une plantation de caoutchouc dans la jungle amazonienne, appelée Fordlândia, d’une superficie de 10 000 km² dans l’État brésilien du Pará. Ce projet visait à mettre fin à la dépendance de Ford envers le caoutchouc provenant de la Malaisie britannique. Cependant, Fordlândia fut l’un de ses rares échecs.
En 1932, Ford produisait le tiers des automobiles construites dans le monde. L’image de l’entreprise suscitait différentes réactions chez les Européens, en particulier les Allemands : « la crainte pour certains, l’engouement pour d’autres, et la fascination pour tous ». Partisans et détracteurs insistaient sur le fait que le fordisme américain incarnait le développement capitaliste, et que l’industrie automobile était la clé pour comprendre les relations économiques et sociales aux États-Unis. Comme le déclara un Allemand à cette époque, « l’automobile a à ce point révolutionné le mode de vie américain qu’il est à peine croyable qu’on puisse vivre sans voiture. Il est difficile de se souvenir comment on faisait avant que M. Ford vienne prêcher son nouvel évangile ». Pour beaucoup d’Allemands, la réussite de l’américanisme était essentiellement attribuée à Henry Ford.
💰 Le Capitalisme du Bien-Être (Welfare Capitalism) : Une Stratégie Controversée
Henry Ford est reconnu comme l’un des pionniers du welfare capitalism (le « capitalisme du bien-être »), une pratique industrielle paternaliste destinée à améliorer le niveau de vie des travailleurs. Le 5 janvier 1914, Ford fit une annonce qui fit sensation : l’augmentation des salaires journaliers minimum de 2,34 $ à 5 $ pour les ouvriers en apprentissage (« The Five Dollar Day ») ainsi qu’une nouvelle réduction du temps de travail journalier de 9 heures à 8 heures.
Qualifié de « grand humaniste » ou de « socialiste fou », Ford n’a pas mis en place cette initiative pour établir une solide classe moyenne capable d’acheter ses produits, comme on l’a parfois avancé. Ce n’était pas non plus un simple acte de charité. Comme il l’expliqua lui-même dans ses mémoires, il s’agissait de l’« un des meilleurs moyens de réduction des coûts jamais mis en place ».
En effet, Henry Ford agissait uniquement dans l’intérêt de son entreprise. Ses usines étaient confrontées à un important turnover, ce qui obligeait de nombreux départements à embaucher annuellement 300 personnes pour pourvoir seulement 100 postes de travail. L’absentéisme était également excessif. De plus, presque tous les emplois étaient monotones, et le travail sur les chaînes d’assemblage était extrêmement pénible à force de répéter la même procédure toute la journée. Embaucher et former des travailleurs de remplacement était très coûteux pour l’entreprise. L’augmentation des salaires fut donc une solution pragmatique pour lutter contre ces difficultés, en réduisant le turnover et l’absentéisme, et en fidélisant la main-d’œuvre. Cette philosophie du travail permit d’augmenter rapidement la productivité, bien que les salaires soient restés quasiment inchangés pendant 30 ans par la suite : 6 $ en 1919 et 7 $ en 1927.
🕵️♀️ Le Contrôle de la Vie Privée des Employés
Le « Département social Ford » utilisait des enquêteurs pour s’assurer que ceux qui bénéficiaient d’une participation aux bénéfices soient « irréprochables ». Des comportements spécifiques étaient fortement déconseillés aux ouvriers, non seulement à l’usine, mais également à la maison. Fumer était proscrit, Henry Ford expliquant que « si vous étudiez l’histoire de la plupart des criminels, vous constaterez qu’ils étaient des fumeurs invétérés ». L’alcool, les jeux d’argent et le billard étaient également strictement interdits.
Henry Ford se préoccupait même des loisirs de ses employés, créant notamment à leur intention le Old-time Dance Orchestra avec salle de bal, orchestre et cours de danse pour les enfants. Cette intrusion excessive de Ford dans la vie privée de ses employés fut longtemps une source de controverses. Pourtant, dans ses mémoires de 1922, Ford affirmait que « le paternalisme n’avait pas sa place dans l’industrie ».
✊ L’Opposition Féroce aux Syndicats
La position d’Henry Ford vis-à-vis des syndicats fut l’une des facettes les plus controversées et violentes de sa carrière. Il a toujours farouchement refusé la présence des syndicats dans ses entreprises. Il estimait qu’ils étaient fortement influencés par certains dirigeants et que, malgré leur apparente bonne volonté, leurs actions étaient contre-productives pour le bien-être des travailleurs. Alors que la restriction de la productivité était pour la plupart un moyen de favoriser l’emploi, Ford considérait à l’inverse qu’elle était nécessaire pour accroître la prospérité économique et ainsi stimuler l’économie, ce qui par conséquent permettait de créer de nouveaux emplois. Ford se méfiait également des dirigeants syndicaux – plus particulièrement les léninistes – qu’il accusait de fomenter de perpétuelles crises socio-économiques afin de maintenir leur propre pouvoir. En bon gestionnaire, il se considérait néanmoins capable de repousser les attaques de politiques malavisées et de créer un système socio-économique dans lequel ni la mauvaise gestion ni les syndicats ne pourraient trouver le soutien leur permettant de se maintenir.
🗡️ La « Troupe Militaire Privée » et la Violence Anti-Syndicale
Dès les années 1930, Ford se constitua, selon l’expression du New York Times, « la plus importante troupe militaire privée du monde ». L’entreprise s’associa à la pègre de Détroit afin de recruter des mercenaires capables d’intimider les syndicalistes et de mener des actions punitives contre les ouvriers grévistes. Dès 1927, la direction de Ford passa un accord avec le « Al Capone de Détroit », Chester LaMare, puis s’associa à Joe Adonis, l’un des chefs de la mafia new-yorkaise. Après un accident de la route survenu à Henry Ford en 1927, Harry Bennett, le « directeur du personnel » et véritable numéro 2 de l’entreprise, déclara être en mesure de rassurer le public quant à l’hypothèse que son patron aurait été victime d’un attentat : « Nos liens avec la pègre de Détroit sont tels que moins de vingt-quatre heures après qu’un tel projet ait été tramé, nous en serions informés ».
Au début des années 1930, malgré la Grande Dépression, Henry Ford accéléra la production à un rythme jugé insupportable. Il régnait sur ses usines par la crainte ; alors que leurs conditions de vie se dégradaient, ouvriers et cadres se méfiaient des mouchards. Ford utilisait près de 3 500 hommes de main pour empêcher les syndicats d’entrer dans l’usine. Le maire de Détroit observa d’ailleurs qu’« Henry Ford emploie certains des pires bandits de notre ville ». Harry Bennett, un ancien Marine nommé à la tête du service de sécurité interne, employa différentes tactiques d’intimidation pour écraser la syndicalisation.
L’affrontement le plus violent entre des recrues de la milice patronale et des syndicalistes eut lieu le 26 mai 1937, devant l’usine de River Rouge. Des dizaines d’ouvriers syndiqués à la United Auto Workers (UAW) s’apprêtant à distribuer des tracts furent attaqués. D’après les témoignages réunis par la Commission nationale des relations industrielles en juillet 1937, cinq miliciens étaient affectés pour chaque syndicaliste. Cet événement sanglant fut connu sous le nom de « Bataille de l’Overpass ». La même année, Walter Reuther, futur président de l’United Auto Workers, fut brutalisé à Red River pour avoir distribué des tracts syndicaux. En raison de la violence de ses pratiques anti-syndicales, le New York Times décrivait Ford comme étant « un fasciste de l’industrie — le Mussolini de Detroit ».
🤝 L’Inévitable Compromis avec les Syndicats
Après l’entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale, le plein emploi mit un terme au recours à la terreur. Cependant, les salaires stagnaient depuis des années et finirent par devenir très inférieurs à ceux des usines concurrentes. Les syndicats n’obtenaient toujours aucun droit dans les usines Ford, contrairement à celles de General Motors et de Chrysler. En avril 1941, huit ouvriers décidèrent d’entamer une marche de protestation dans l’usine de Red River en chantant « Solidarity Forever ». Finalement, toute l’usine fut paralysée et en partie contrôlée par l’UAW. Ford n’eut d’autre issue que de négocier avec le syndicat. Edsel, qui était alors président de la société, estimait qu’il était nécessaire pour l’entreprise de parvenir à une sorte de convention collective avec les syndicats, les violences, les interruptions de travail et les impasses ne pouvant continuer. Mais Henry refusa pendant plusieurs années de coopérer, et il est connu qu’il confia à Bennett la tâche de faire en sorte que le dialogue avec les syndicats n’aboutisse à aucun accord.
✈️ Diversification dans l’Aviation et l’Effort de Guerre
Bien que plus connu pour ses automobiles, Henry Ford s’est investi relativement tôt dans l’aéronautique. En 1923, Edsel Ford acquit la Stout Metal Airplane Company et développa le Stout 2-AT Pullman. En 1925, il fonda la Stout Metal Airplane Division, marquant le lancement de l’étude du premier avion expérimental Ford. Dénommé Ford Trimotor, sa mise sur le marché intervint en 1926. Ce premier avion constitua un progrès technologique majeur et permit à Ford de devenir le premier fabricant d’avions commerciaux au monde. Les compagnies aériennes abandonnèrent progressivement leurs anciens appareils et les remplacèrent par des avions Ford, dont la capacité de transport de passagers était nettement supérieure à la concurrence. Ils furent ainsi rapidement utilisés pour créer le premier service aérien transcontinental.
La participation de Ford dans l’aviation joua également un rôle important dans la victoire des Alliés pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale.
- Pendant la Première Guerre mondiale, la Ford Motor Company produisit en masse des moteurs V8 Liberty destinés à équiper l’aviation américaine et développa le Kettering Bug, le premier missile guidé américain.
- Au cours de la Seconde Guerre mondiale, Henry Ford soutint la construction de milliers de Pratt & Whitney « Double Wasp » ainsi que des moteurs de bombardiers Consolidated B-24 Liberator. Le président américain Franklin D. Roosevelt fit d’ailleurs référence à Détroit comme faisant partie de l’« Arsenal des démocraties ».
🌅 Fin de Vie et Héritage Complexe
Les dernières années de Henry Ford furent particulièrement frustrantes. Il n’acceptait pas les changements induits par la Grande Dépression et s’opposa au New Deal, le plan mis en œuvre par le président Roosevelt pour redresser la situation économique et sociale des États-Unis. Il refusait toujours de reconnaître le syndicat des travailleurs de l’automobile et utilisait des policiers armés pour faire face aux mobilisations syndicales. Pour diverses raisons, Ford, seul dans son industrie, refusa de coopérer avec l’administration du redressement national, un organisme gouvernemental des années 1930 qui préparait et supervisait les codes de concurrence loyale pour les entreprises et les industries.
Lorsque son fils Edsel, alors président de Ford Motor Company, mourut d’un cancer en mai 1943, Henry Ford décida d’assumer la présidence. Cependant, à ce stade de sa vie, il avait déjà subi plusieurs accidents cardiovasculaires (crise cardiaque et accident vasculaire cérébral) et n’était mentalement plus apte à occuper un tel poste. La plupart des administrateurs ne souhaitaient pas le voir président, mais au cours des vingt dernières années, bien qu’il ne fût pas administrateur de plein exercice, le conseil d’administration et la direction ne le défièrent jamais ouvertement. Durant cette période, la société commença à péricliter, perdant plus de 10 millions de dollars par mois. L’administration du président Franklin Roosevelt envisagea d’ailleurs une reprise de l’entreprise pour assurer la continuité de la production pendant la guerre, mais le projet ne se concrétisa pas.
En mai 1946, Henry Ford reçut le Jubilé d’or de l’industrie automobile américaine pour ses contributions décisives au développement de cette industrie. La première médaille d’or de l’Institut américain du pétrole lui fut également attribuée en reconnaissance de sa contribution exceptionnelle au bien-être de l’humanité. Ford possédait par ailleurs une résidence de vacances, la Ford Plantation, à Richmond Hill en Géorgie, un domaine s’étendant sur 1 800 hectares. Il contribua de manière significative à la vie de la communauté locale, notamment en faisant construire une chapelle et une école, et en y employant de nombreux résidents locaux.
Sa femme, Clara, souhaitait qu’Henry quitte la présidence de Ford, d’autant plus que le gouvernement voyait d’un très mauvais œil qu’un homme de 80 ans s’occupe de la gestion de la société. Le 21 septembre 1945, Henry Ford, en mauvaise santé, laissa les pleins pouvoirs à son petit-fils, Henry Ford II, et prit sa retraite. Il mourut le 7 avril 1947 à 23h40 d’une hémorragie cérébrale à l’âge de 83 ans, à Fair Lane, sa résidence à Dearborn. Le service funéraire eut lieu dans la cathédrale anglicane Saint-Paul à Détroit, et Henry Ford fut inhumé dans le cimetière de la famille Ford à l’église anglicane Sainte Martha.
💔 Idéologies Controversées et Antisémitisme
L’héritage de Henry Ford est malheureusement terni par des aspects idéologiques profondément troublants. Il fut en effet foncièrement antisémite.
🤝 Controverses autour de ses Affaires avec le Régime Nazi
En 1938, Henry Ford reçut la « Grand-Croix de l’ordre de l’Aigle allemand », la plus haute décoration nazie pour les étrangers. Cette distinction provoqua une importante controverse aux États-Unis et aboutit à un échange de notes diplomatiques entre le gouvernement allemand et le Département d’État. Ford s’exprima sur cette polémique en clamant que « [son] acceptation d’une médaille du peuple allemand ne [le faisait] pas, comme certains semblent le penser, entraîner aucune sympathie de [sa] part avec le nazisme ». Cependant, cette décoration n’aurait pas suscité une telle polémique, comme ce fut le cas pour Thomas J. Watson, président d’IBM, décoré l’année précédente, si Ford n’avait pas été également l’auteur d’écrits antisémites et un soutien financier pour Adolf Hitler et le parti nazi. Hitler lui-même était fasciné par les automobiles et accrochait une photo de Ford sur son mur. Steven Watts mentionne qu’Hitler « vénérait » Ford, proclamant qu’il ferait de son mieux pour mettre ses théories en pratique en Allemagne, en modélisant la Volkswagen, la voiture du peuple, sur le modèle T.
Il est important de noter que Ford eut également des relations économiques avec l’Union soviétique, jusqu’à ce que son ami Serguei Dyakanov, accusé de « dérive droitière », soit « purgé », jugé et exécuté en janvier 1938. En avril 1943, le secrétaire américain au Trésor Henry Morgenthau aurait estimé que la production de la filiale française de Ford était « au seul profit de l’Allemagne ». Selon la série Apocalypse, Hitler, dont les sources sont à confirmer, Henry Ford aurait financé le parti nazi dès le début des années 1930 en laissant des bénéfices provenant d’Allemagne à ce parti et en versant 50 000 dollars chaque année à l’occasion de l’anniversaire d’Hitler.
Alors que Ford clamait publiquement qu’il n’aimait pas les gouvernements militaristes, il tira profit de la Seconde Guerre mondiale en alimentant l’industrie de guerre des deux camps. Via ses filiales allemandes, il produisait des véhicules pour la Wehrmacht, mais aussi des véhicules pour l’armée américaine et des véhicules de route pour l’Union soviétique. Il participa à l’effort de guerre allemand, à l’instar d’Opel, filiale de General Motors. En 1942, lorsque l’aviation britannique bombarda l’usine Ford de Poissy, Ford demanda au gouvernement français de protester auprès de l’ambassade américaine à Vichy.
📜 « The International Jew » et le Dearborn Independent
L’antisémitisme de Henry Ford s’exprima notamment à travers la propagation de « Les Protocoles des Sages de Sion », un texte inventé de toutes pièces, probablement par la police du tsar au début du XXe siècle. Ford s’appuya sur ce document pour affirmer que les Juifs avaient planifié de longue date que la guerre qui se profilait à l’horizon serait une « world war » (guerre mondiale), s’interrogeant : « How did they know it was to be a world war? » (Comment savaient-ils que ce serait une guerre mondiale ?). Henry Ford utilisa sa fortune et son influence pour distribuer des millions d’exemplaires de ce document. De nombreux mouvements américains reprirent ses théories complotistes antisémites pour raviver une haine latente.
Son antisémitisme transparaît également dans ses mémoires : « Notre travail n’a pas la prétention d’avoir le dernier mot sur les juifs en Amérique. […] Si les juifs sont si sages qu’ils le disent, ils feraient mieux de travailler à devenir des juifs américains, plutôt que travailler à construire une Amérique juive ». Le thème de la conspiration juive se mêle aussi à l’anticommunisme dans ses écrits : pour Henry Ford, la révolution soviétique aurait été « la couverture externe d’un coup longuement planifié pour établir la domination d’une race ».
Pour se justifier, il expliqua dans son livre « The International Jew » (Le Juif International) que l’antisémitisme n’était selon lui que le pendant de l’antigoyisme de la communauté juive. Cet ouvrage en quatre volumes, publié sous le nom d’Henry Ford, rassemblait des articles parus dans le journal The Dearborn Independent. Une phrase dans un texte consacré à la salutaire « réaction de l’Allemagne contre le Juif » illustre l’esprit prétendument scientifique de l’ouvrage, dont le langage était chargé de métaphores médicales : il s’agissait d’une question d’« hygiène politique », parce que « la principale source de la maladie du corps national allemand […], c’est l’influence des Juifs ». Dans plusieurs autres passages, les Juifs étaient présentés comme un « germe » qui devait faire l’objet d’un « nettoyage ». Adolf Hitler et ses collaborateurs reprendront cette terminologie pour justifier leurs crimes. Le Juif n’était plus défini par sa religion mais par sa « race », « une race dont la persistance a vaincu tous les efforts faits en vue de son extermination ». Il fallait donc réveiller chez les jeunes la « fierté de la race ». Ford s’inspira des Protocoles des Sages de Sion, un ouvrage qui serait « trop terriblement vrai pour être une fiction, trop profond dans sa connaissance des rouages secrets de la vie pour être un faux », cité et commenté abondamment comme preuve ultime et irréfutable de la conspiration juive pour s’emparer du pouvoir à l’échelle mondiale. Cet ouvrage fut d’ailleurs vivement critiqué par le Times. Il y était souvent fait référence à l’Allemagne, décrite comme dominée par les Juifs, malgré le fait qu’il « n’y a pas dans le monde de contraste plus fort que celui entre la pure race germanique et la pure race sémite ».
Le thème de la complicité entre le judéo-bolchevisme et la finance capitaliste juive, dans une conspiration pour imposer à la planète un gouvernement mondial juif, fut abondamment repris par le nazisme. Trois volumes de l’ouvrage étaient consacrés à la place des Juifs aux États-Unis. Selon Ford, leur émigration massive d’Europe de l’Est vers l’Amérique du Nord n’avait rien à voir avec de prétendues persécutions (les pogroms n’étant que de la propagande) ; il s’agissait bel et bien d’une véritable invasion : le « Juif international » pouvait déplacer un million de personnes de la Pologne vers l’Amérique « comme un général déplace son armée ». Les Juifs étaient également tenus pour responsables de l’introduction dans les arts de la scène aux États-Unis d’une « sensualité orientale » sale et indécente, « instillant un poison moral insidieux ».
La contribution de Ford à la propagation de l’antisémitisme allait au-delà de l’imprimé. Il travailla activement à former une communauté. Au départ réunis autour du Dearborn Independent, ces hommes constituèrent une force importante dans l’évolution américaine de l’antisémitisme, et incluaient un grand nombre de pro-fascistes.
📰 Le Dearborn Independent
En 1918, Ernest G. Liebold, secrétaire privé et ami proche de Ford, acquit un obscur hebdomadaire, le Dearborn Independent, pour Ford. Le journal fut édité par Liebold pendant huit ans, de 1920 à 1927, atteignant au maximum environ 700 000 lecteurs. L’auteur anglais Vincent Curcio écrivit que ces publications furent « largement distribuées et eurent une grande influence, en particulier en Allemagne, où pas moins qu’un personnage comme Adolf Hitler devenait très lu et admiré ».
Dénoncés par l’Anti-Defamation League, les articles du Dearborn Independent furent explicitement condamnés pour leur violence contre les Juifs. Cependant, selon les témoignages du procès, Ford n’écrivit presque rien dans ces articles. Des amis et des associés d’affaires déclarèrent avoir mis Ford en garde sur le contenu du journal, mais que Ford ne lisait probablement jamais les articles, ne portant son attention que sur les gros titres. Un procès en diffamation intenté par un avocat de San Francisco et par une coopérative agricole juive en réponse à des articles antisémites conduisit Ford à fermer le journal en décembre 1927. Des reportages de l’époque le montraient choqué par le contenu et ignorant de sa nature. Pendant le procès, le rédacteur en chef de Ford, William Cameron, témoigna en faveur de Ford, indiquant qu’il n’avait rien à voir avec les éditoriaux, même s’ils étaient publiés sous son nom. Cameron déclara lors du procès en diffamation qu’il ne discuta jamais avec Ford du contenu des pages et qu’il ne les envoya jamais à Ford pour approbation.
En 1927, les excuses de Ford, faisant suite à la pression conjuguée des consommateurs juifs américains et même d’Hollywood (qui menaça d’employer des voitures Ford pour les scènes de crash), furent bien accueillies. Quatre cinquièmes des centaines de lettres adressées à Ford en juillet 1927 provenaient de Juifs et saluaient l’industriel. En janvier 1937, une déclaration de Ford dans le Détroit Jewish Chronicle désavoua « quelconque lien avec la publication en Allemagne d’un ouvrage connu sous le nom de The International Jew« .
Cependant, lors du procès de Nuremberg, Baldur von Schirach, le chef des Jeunesses hitlériennes, déclara avoir été influencé par la lecture de Ford. Après ses excuses en 1927, Ford refusa de faire d’autres déclarations publiques au sujet des Juifs. Pourtant, il continua, en sous-main, de soutenir des publications antisémites. Sur ce point, l’historien Pierre Abramovici, dans l’article « Comment les firmes US ont travaillé pour le Reich », porte un jugement sévère sur les positions d’Henry Ford :
« Henry Ford accuse les Juifs d’avoir déclenché la Grande Guerre. En 1920, il achète un hebdomadaire, le Dearborn Independant, qui lui fournit une tribune. Il entretient des relations privilégiées avec l’Allemagne nazie. Henry Ford est décoré, à Détroit le 30 juillet 1938, de l’ordre allemand de l’Aigle. Cette distinction, réservée aux étrangers, lui est remise par le consul allemand à Détroit, Karl Capp, et par son homologue à Cleveland, Fritz Heiler. Il participe le 26 juin 1940 à un dîner de gala au Waldorf-Astoria de New York, destiné à célébrer la victoire allemande sur la France, après que cette dernière lui eut déclaré la guerre. »
💡 Divers et Impact Culturel
La fortune personnelle d’Henry Ford était colossale. D’après le blog financier Celebrity Networth, il serait le neuvième homme le plus riche de tous les temps.
Son influence dépassa largement le domaine industriel pour s’inscrire dans la culture populaire et la littérature :
- Dans le roman de Giovanni Papinni, « Gog » (publié en 1931), le personnage principal rend visite à Henry Ford dans son usine de voitures, où ce dernier lui révèle le secret de sa réussite dans les affaires ainsi que sa vision de la place des puissances dans le Monde.
- Dans le très célèbre roman dystopique d’Aldous Huxley, « Le Meilleur des Mondes » (publié en 1932), Henry Ford (sanctifié en Notre Ford) est l’objet d’un culte religieux obligatoire, imposé par un État mondial totalitaire. Ce culte, au contenu assez creux et consensuel, a remplacé toutes les religions préexistantes, désormais interdites. L’auteur précise que le calendrier grégorien a été remplacé par un calendrier dont l’année zéro est celle du lancement en série de la Ford T. Huxley précise aussi que les croix latines des églises ont été coupées pour les transformer en T majuscules. Les personnages du roman emploient l’interjection : « Ford du tacot ! » (« Ford’s in his Flivver ! » en anglais) en lieu et place de « Dieu du ciel ! ». Ce roman illustre la vision d’une société où les procédés d’ingénierie biologique et de conditionnement mental permettent de produire des êtres humains identiques à la chaîne pour en faire des ouvriers dociles, une métaphore des méthodes de production fordistes appliquées à l’humain.
- Dans le roman uchronique « Le Complot contre l’Amérique » de Philip Roth (2004), Henry Ford est le secrétaire à l’Intérieur des États-Unis du président Charles Lindbergh. Dans l’adaptation en mini-série The Plot Against America (2020), son rôle est joué par Ed Moran.
- Dans la série de jeux vidéo Assassin’s Creed, Henry Ford était membre de la branche américaine de l’ordre du Temple et fut l’un des principaux fondateurs d’Abstergo Industries avec Ransom Eli Olds.
🏁 Conclusion : Un Héritage à Double Tranchant
Henry Ford demeure une figure d’une complexité rare dans l’histoire moderne. Innovateur génial, il a non seulement démocratisé l’automobile avec la Ford T et révolutionné les méthodes de production avec le fordisme, mais il a aussi profondément marqué son époque par des idéologies et des pratiques sociales controversées. Son approche du « welfare capitalism », ses méthodes anti-syndicales violentes et son antisémitisme virulent contrastent fortement avec son génie industriel et sa vision de l’expansion économique mondiale.
Son histoire est un rappel puissant de la manière dont une même personne peut incarner à la fois le progrès technique et des dérives idéologiques, laissant derrière elle un héritage fascinant, mais aussi matière à réflexion et à vigilance. Son influence, perceptible dans la structure de nos industries modernes et même dans la culture populaire, continue de susciter débats et analyses, témoignant de l’ampleur de son impact sur le XXe siècle et au-delà.