Des ressources pour approfondir la réflexion :
Vermeer. L’œuvre complet. 40th Ed : https://amzn.to/4qrVSZY
Vermeer. Nouvelle édition 2024 : https://amzn.to/4nozgXw
🔎 Johannes Vermeer : Le Sphinx de Delft et la Redécouverte d’un Maître Oublié du Siècle d’Or Néerlandais
🌟 Introduction : Le Peintre aux Intérieurs Parfaits
Johannes ou Jan Van der Meer, plus couramment désigné sous le nom de Vermeer ou Vermeer de Delft, est un peintre néerlandais emblématique du mouvement de la peinture de genre. Baptisé à Delft le 31 octobre 1632, il meurt dans cette même ville le 15 décembre 1675.
Malgré une réputation d’artiste novateur et la protection de riches commanditaires de son vivant, sa renommée fut essentiellement cantonnée aux limites de son territoire provincial. Sa production fut de faible ampleur, évaluée à quarante-cinq tableaux maximum produits sur une période de vingt ans. Ces facteurs, combinés à une biographie longtemps restée obscure, expliquent pourquoi le peintre tomba dans l’oubli après sa mort. Ce mystère durable lui valut d’ailleurs le surnom de « Sphinx de Delft ».
La véritable mise en lumière de Vermeer n’a eu lieu que dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Aujourd’hui, avec seulement 34 œuvres qui lui sont attribuées avec certitude (trois autres étant encore discutées), il est placé au rang des maîtres du Siècle d’or néerlandais, aux côtés de Rembrandt et Frans Hals. Ses toiles les plus célèbres, comme La Jeune Fille à la perle et La Laitière, sont désormais mondialement reconnues.
📜 I. Biographie : Du Tisseur de Soie au Marchand d’Art Endetté
L’essentiel des informations concernant la vie de Johannes Vermeer provient de registres, de documents officiels et de commentaires d’autres artistes. L’économiste John Michael Montias a cependant redonné du relief à la personne du peintre en publiant, en 1989, une biographie basée sur un patient travail de recherche d’archives et d’études socio-économiques du marché de l’art à Delft au XVIIe siècle.
1.1. 🦊 Origines Familiales et Changement de Patronyme
Johannes (ou « Joannis » selon l’acte de baptême dressé le 31 octobre 1632) est né dans un milieu réformé protestant. Sa mère était Dymphna Balthasars (ou Dyna Baltens) et son père, Reynier Janszoon. Johannes préféra systématiquement la version latine plus raffinée de son prénom.
Son père, Reynier Janszoon, fut d’abord connu à Delft sous le nom de « Vos » (« le renard »). Tisserand en étoffes de soie et tapissier, il fut également « caffawerker », maître tisserand d’une étoffe riche appelée caffa. Le jeune Johannes a pu être marqué par cette enfance passée au milieu des pièces d’étoffe et des rouleaux de soie, ce qui se reflète dans les rideaux et tapis abondants dans ses intérieurs peints.
Reynier Janszoon exerça plusieurs activités de front. À partir de 1625, il devint aubergiste, tenant d’abord l’auberge De Vliegende Vos (« Le Renard volant »), avant d’acheter, en 1641, le Mechelen sur le Markt (le « Marché ») de Delft. C’est dans cette dernière auberge que Johannes passa le reste de son enfance. Son père était également « konstverkoper » (« marchand d’art »), activité qui s’accordait avec celle d’aubergiste, facilitant le négoce entre artistes et amateurs. Il rejoint la guilde de Saint-Luc de Delft à ce titre en 1631.
La famille paternelle n’était pas exempte de troubles : en 1625, Reynier Janszoon fut arrêté pour avoir donné un coup de couteau à un soldat au cours d’une rixe ; la victime succomba à ses blessures cinq mois plus tard. De plus, le grand-père maternel de Johannes fut mêlé à une affaire de fausse monnaie en 1619.
Le patronyme « Vermeer » est adopté par la famille à partir de 1640, Reynier prenant le nom de « van der Meer » (« Du Lac »).
1.2. 💍 Mariage et Conversion au Catholicisme
Le père de Vermeer mourut en octobre 1652, laissant une situation financière très précaire et de lourdes dettes à son fils.
Le 5 avril 1653, Johannes, issu d’une famille calviniste protestante, fit enregistrer son intention d’épouser Catharina Bolnes, issue d’une riche famille de marchands et catholique. La future belle-mère, Maria Thins, s’opposa initialement au mariage pour des raisons financières (la situation de Vermeer était alors plus que précaire) et religieuses. Les réticences furent levées après l’intervention du peintre catholique Leonard Bramer.
Le mariage fut célébré le 20 avril 1653. Bien qu’il n’y ait pas de preuve formelle, on suppose que Johannes se convertit au catholicisme pour obtenir l’accord de Maria Thins. Il s’intégra rapidement au milieu catholique de sa belle-famille, à une époque où le catholicisme était une minorité marginalisée dans les Provinces-Unies. Deux de ses premières œuvres (Le Christ chez Marthe et Marie et Sainte Praxède) ainsi que l’une de ses dernières (L’Allégorie de la Foi) témoignent de cette inspiration proprement catholique, cette dernière toile étant vraisemblablement une commande d’un mécène catholique ou d’une église clandestine (schuilkerk).
1.3. 👨👩👧👦 La Vie de Famille et la Dissonance
Après leur mariage, le couple emménagea chez Maria Thins à Delft, dans le « Coin des papistes » (le quartier catholique). Grâce à l’aide financière de Maria Thins, ils connurent une période de relative prospérité. Le couple eut, semble-t-il, onze enfants, un nombre jugé exceptionnel dans la Hollande du XVIIe siècle, et qui dut constituer une charge financière considérable.
Le monde figuré dans les tableaux de Vermeer présente un écart radical avec la réalité de son quotidien. La maison familiale était encombrée de berceaux, mais ses scènes de genre ne représentent presque jamais d’enfants.
L’atmosphère paisible de ses intérieurs contraste fortement avec son environnement familial que l’on imagine bruyant et troublé par des incidents violents. Par exemple, ses toiles représentant une femme enceinte (La Femme en bleu lisant une lettre et La Femme à la balance) sont contemporaines des actes de violence commis par le frère de Catharina, Willem Bolnes, qui maltraitait et battait l’épouse de Vermeer « en dépit du fait qu’elle était enceinte au dernier degré ». L’art serein de Vermeer est ainsi perçu comme une forme d’échappatoire à son quotidien.
🎨 II. Formation et Influences Artistiques
Aucun document n’atteste de l’apprentissage de Vermeer. Cependant, étant admis comme maître à la guilde de Saint-Luc en 1653, il devait avoir suivi une formation de quatre à six ans.
2.1. ❓ Les Hypothèses du Maître
Plusieurs hypothèses concernant son maître ont été avancées, mais aucune n’est pleinement satisfaisante.
- Leonard Bramer (1596-1674) : Ce peintre influent de Delft faisait partie des connaissances familiales et joua un rôle clé dans la conclusion de son mariage.
- Les Amsteldamois : Le style de ses premières œuvres (peintures d’Histoire de grands formats) évoque les peintres d’Amsterdam, comme Jacob van Loo (dont Diane et ses compagnes semble être un emprunt direct) ou Érasme Quellin.
- Carel Fabritius (1622-1654) : Élève de Rembrandt, Fabritius est arrivé à Delft en 1650. Malgré la parenté stylistique entre certaines œuvres de jeunesse de Vermeer et les siennes, Fabritius ne fut enregistré à la guilde qu’en octobre 1652, ce qui rend difficile l’idée qu’il ait pu avoir Vermeer comme élève. Néanmoins, un imprimeur local fit de Vermeer son « seul digne successeur » après la mort de Fabritius en 1654.
- L’École caravagesque d’Utrecht : L’influence de l’École caravagesque d’Utrecht, et notamment Abraham Bloemaert, est aussi évoquée. Bloemaert faisait partie de la future belle-famille de Johannes et était catholique, ce qui aurait pu faciliter leur rencontre.
La prudence reste de mise sur la question de sa formation, car Vermeer a fait preuve d’une grande capacité de synthèse, assimilant rapidement les influences pour développer sa propre « manière ».
🏛️ III. Carrière et Déclin Financier
3.1. 🏆 La Reconnaissance des Pairs : La Guilde de Saint-Luc
Le 29 décembre 1653, Vermeer entre dans la guilde de Saint-Luc de Delft. Il n’acquitta ses droits d’admission que plus tard, en 1656, sans doute en raison de sa situation financière précaire. Ce statut lui permit d’exercer librement son art, de poursuivre le négoce de tableaux hérité de son père, et de prendre des élèves (bien qu’il semble n’en avoir eu aucun).
Signe de sa reconnaissance, il fut élu à la tête de la guilde (syndic) en 1662, à seulement 30 ans. Il fut le plus jeune syndic depuis 1613, et fut reconduit en 1663 et une nouvelle fois en 1672.
En 1672, il fut également sollicité en tant qu’expert pour authentifier une collection de douze toiles à La Haye. Contre l’avis de certains confrères, Vermeer conclut à l’inauthenticité de neuf œuvres attribuées à des maîtres vénitiens.
3.2. 💰 Une Production Lente et des Mécènes Privés
Vermeer est connu pour avoir travaillé lentement. Il ne réalisait, semble-t-il, pas plus de trois tableaux par an, pour un total estimé entre 45 et 60 œuvres sur l’ensemble de sa carrière. Ni sa notoriété locale ni ses soucis financiers n’accélérèrent cette cadence.
Il peignait majoritairement pour des particuliers et non pour le marché public. L’existence de commanditaires attitrés est avérée.
- Hendrick van Buyten : Un boulanger largement enrichi. En 1663, le diplomate français Balthasar de Monconys dut se rendre chez ce boulanger pour voir un tableau de Vermeer, payé six cents livres, un prix fort élevé pour l’époque.
- Pieter Claesz. van Ruijven : Ce percepteur patricien fortuné de Delft fut vraisemblablement son principal mécène. Van Ruijven entretenait des liens étroits avec Vermeer, lui ayant notamment consenti un prêt de 200 florins en 1657. Le fait que van Ruijven ait acquis la majeure partie de la production de Vermeer (au moins 21 toiles mises aux enchères en 1696 par son héritier) expliquerait pourquoi la réputation de l’artiste ne s’est pas propagée au-delà de Delft de son vivant.
3.3. 📉 La Ruine et la Mort
En 1672, la Rampjaar (« l’année désastreuse ») frappa les Provinces-Unies avec l’invasion des armées françaises. Le marché de l’art subit un arrêt brutal. Maria Thins perdit les revenus de ses fermes, aggravant la situation financière de la famille.
Contraint de nourrir sa nombreuse famille, Vermeer dut emprunter 1 000 florins en 1675 . Cette succession de revers financiers, peut-être accentuée par la mort de son mécène van Ruijven en 1674, précipita son décès.
Son épouse raconta plus tard que son mari, ne pouvant plus vendre ni ses toiles ni celles qu’il marchandait, fut « si affligé et s’affaiblit tellement qu’il en perdit la santé et mourut en l’espace d’un jour ou un jour et demi ». Il fut enterré le 15 décembre 1675, laissant sa femme et ses onze enfants criblés de dettes.
Catharina Bolnes fut contrainte de gager deux toiles (dont Une femme jouant de la guitare) auprès du boulanger van Buyten pour garantir une dette astronomique de 726 florins (l’équivalent de deux à trois ans de pain). Elle vendit également L’Art de la peinture à sa mère en remboursement d’une dette de 1 000 florins. Catharina déclara faillite en avril 1676. Le microscopiste Antoni van Leeuwenhoek fut désigné comme curateur de ses biens.
🖼️ IV. Le Style et les Genres : Un Monde d’Intimité et de Mystère
Vermeer est essentiellement connu pour ses scènes de genre. Ces œuvres, caractérisées par un style conjuguant mystère, familiarité et perfection formelle, figurent un monde serein et « plus parfait » que la réalité vécue par l’artiste.
4.1. 🎭 Diversité des Sujets
Vermeer a exploré plusieurs genres au début de sa carrière :
- Peinture d’Histoire et Allégories : Après son admission à la guilde en 1653, il commença par des toiles à sujets religieux et mythologiques (Diane et ses compagnes, Le Christ dans la maison de Marthe et Marie), utilisant de grands formats. Il produisit également deux allégories marquantes : L’Art de la peinture (considéré comme un manifeste personnel, qu’il conserva chez lui jusqu’à sa mort) et L’Allégorie de la Foi (probablement une commande catholique).
- Paysages : Son œuvre compte deux extérieurs célèbres : La Ruelle et la Vue de Delft. Cette dernière fut une source d’admiration pour l’écrivain Marcel Proust.
- Scènes de Genre : L’essentiel de sa production sont de petits formats représentant des intérieurs intimes. Les personnages sont souvent saisis dans des activités quotidiennes (lecture, musique, travail domestique), semblant être surpris par le peintre.
Le thème de l’amour est récurrent, souvent exprimé par allusion, notamment à travers le motif de la lettre, de la musique ou du vin. D’autres toiles valorisent la vertu domestique, comme La Laitière ou La Dentellière.
Les deux seules toiles représentant un homme sans compagnie féminine sont L’Astronome et Le Géographe.
4.2. 🧍♀️ Les Portraits et les Têtes
Hormis quelques exceptions, les bustes de femmes seules, comme La Jeune Fille à la perle (surnommée « La Joconde du Nord ») ou La Fille au chapeau rouge, ne sont pas de véritables portraits de commanditaires. Elles s’attachent davantage à une attitude, une coiffe exotique (turban ou chapeau rouge) ou l’effet de la lumière sur des bijoux.
L’autoportrait de Vermeer est perdu, bien que le catalogue de la vente Dissius de 1696 mentionne un « portrait de Vermeer dans une chambre ». Un autoportrait présumé est souvent identifié dans le personnage de gauche de L’Entremetteuse.
4.3. 🛋️ La Cohérence des Intérieurs
Les scènes d’intérieur de Vermeer sont immédiatement reconnaissables, non seulement par sa manière, mais aussi par la récurrence des éléments :
- Mobilier : On retrouve des fauteuils aux montants à têtes de lions dans neuf toiles, ainsi qu’un pichet de faïence à couvercle d’étain.
- Vêtements : Une courte veste jaune aux bordures herminées est portée dans plusieurs tableaux (La Dame au collier de perles, La Femme au luth, etc.).
- Espace et Lumière : Le motif du pavement noir et blanc est récurrent (parfois inversé, comme dans L’Allégorie de la foi). Les espaces sont presque toujours éclairés de la gauche vers la droite. L’artiste matérialise la séparation entre l’espace du spectateur et la scène peinte en utilisant des objets en premier plan (rideaux, tables, instruments de musique).
- Tableaux et Cartes : Les intérieurs comportent souvent des « tableaux-dans-le-tableau » (18 répertoriés), tels que des paysages, des scènes religieuses ou L’Entremetteuse de Dirck van Baburen. Ces éléments devaient fournir une clavus interpretandi (clé d’interprétation), bien que le lien entre le tableau et la scène d’intérieur soit souvent incertain ou ambivalent. Des cartes géographiques coûteuses ornent également les murs, signalant l’engouement pour cette science et caractérisant socialement les personnages.
🔬 V. Technique et Magie Optique
La cohérence des œuvres de maturité de Vermeer repose notamment sur des associations de couleurs inimitables, une grande maîtrise du traitement de la lumière et de l’espace.
5.1. 💎 L’Éclat des Couleurs et de la Matière
Vermeer travaillait avec soin, appliquant des couches de pigments et de vernis qui confèrent à sa peinture une fraîcheur et un éclat caractéristiques.
- Le Duo Bleu et Jaune : Il est célèbre pour son association du bleu et du jaune, visible par exemple sur le turban de La Jeune Fille à la perle.
- L’Outremer Naturel : Aucun autre artiste du XVIIe siècle n’utilisa autant l’outremer naturel. Ce pigment, extrêmement onéreux car fait de lapis-lazuli broyé, n’était pas seulement réservé aux zones bleues. Dans La Jeune Fille au verre de vin, il est utilisé en sous-couche pour les ombres de la robe de satin rouge, donnant au mélange final un aspect légèrement pourpre et une très grande force. Cette méthode de travail fut peut-être inspirée par Léonard de Vinci, qui avait observé que la surface de chaque objet participe à la couleur de l’objet voisin.
- Coût et Mécénat : Étrangement, Vermeer continua d’utiliser ce coûteux pigment sans retenue même après la faillite consécutive à la crise de 1672. Cela conforte la théorie selon laquelle Pieter van Ruijven, son mécène, lui fournissait son matériel et ses couleurs.
5.2. 📸 L’Hypothèse de la Camera Obscura
Vermeer est réputé pour ses perspectives sans défaut. L’absence de dessins préparatoires connus a conduit à l’hypothèse, formulée dès 1891 , qu’il utilisait un dispositif optique à lentilles : la camera obscura.
Plusieurs arguments techniques soutiennent cette thèse :
- Disproportion et Perspective : La disproportion entre les figures au premier plan et celles au centre de l’espace représenté (L’Officier et la jeune fille riant) est un effet quasi photographique, typique des chambres noires.
- Profondeur de Champ : Les effets de flou (ou zones de confusion) au premier plan, contrastant avec des arrière-plans nets (comme dans La Laitière ou La Dentellière), créent une profondeur de champ caractéristique des chambres noires.
- Raccourcis Audacieux : Des effets de raccourcis prononcés (comme la main « en bulbe » du peintre dans L’Art de la peinture) suggèrent que Vermeer recopie fidèlement l’image déformée par l’instrument d’optique.
De plus, la présence de minuscules trous d’épingles aux emplacements des points de fuite pourrait indiquer que Vermeer construisait sa perspective de façon géométrique en utilisant une ficelle.
5.3. ✨ Les « Pointillés » et le Mystère
Vermeer utilisait une technique spécifique, non liée au pointillisme impressionniste, consistant à figurer des halos lumineux par de petites touches granuleuses de peinture, appelées « pointillés ». Certains ont pensé que cela résultait de l’utilisation d’une camera obscura archaïque et mal réglée . D’autres, cependant, ont contesté l’aspect purement réaliste de ces effets , notant que ces cercles de confusion apparaissent même sur des surfaces non réfléchissantes (La Laitière), suggérant un choix stylistique subjectif de la part de l’artiste.
Malgré ces tentatives d’explications rationnelles et positives, l’œuvre de Vermeer ne peut être totalement cernée. Sa peinture, plus contemplative que narrative , est baignée d’une discrétion silencieuse qui laisse au spectateur la « sensation de quelque chose de miraculeux » .
📈 VI. Postérité et Fortune Critique
6.1. 👻 L’Oubli Relatif (XVIIIe siècle)
Contrairement à la légende propagée au XIXe siècle, Vermeer n’a pas été un « génie méconnu ». Ses œuvres ont continué à figurer dans des collections privées. Lors de la vente Dissius en 1696, 21 de ses toiles furent vendues à des prix relativement élevés pour l’époque. En 1822, la Vue de Delft fut acquise pour la somme « colossale » de 2 900 florins .
Cependant, il souffrit d’un oubli relatif des historiens d’art. Sa faible production et sa réputation limitée à Delft expliquent sa place mineure dans les ouvrages de référence. Par exemple, le théoricien néerlandais Gérard de Lairesse le mentionne en 1707, mais seulement comme un peintre « dans le goût du vieux Mieris ». Il fallut attendre 1816 pour qu’il figure dans une entrée à part entière dans l’histoire de la peinture .
6.2. 🕵️ La Redécouverte de Thoré-Burger
L’œuvre de Vermeer est réellement revenue dans la lumière grâce au journaliste et historien d’art français Étienne-Joseph-Théophile Thoré, qui écrivait sous le pseudonyme de William Bürger.
En 1842, Thoré s’émerveilla devant la Vue de la ville de Delft. Contraint à l’exil politique par Napoléon III en 1848 , il se mit à sillonner l’Europe, entreprenant une véritable traque des tableaux de ce peintre oublié. C’est lui qui lui donna le surnom de « Sphinx de Delft ».
En 1866, il consacra à l’artiste une série de trois articles dans la Gazette des beaux-arts. L’admiration de Thoré-Burger était en partie politique : démocrate radical et fervent défenseur du Réalisme, il louait l’art hollandais pour sa peinture « civile et intime » qui se concentrait sur la vie quotidienne des gens simples, rejetant les sujets imposés par l’Église et la monarchie. Il dressa le premier inventaire de l’œuvre, recensant 72 tableaux (dont près de la moitié était erronée).
6.3. 🌍 Célébrité Mondiale et Consécration
La fin du XIXe siècle vit une « véritable chasse » aux œuvres de Vermeer, alors que la critique tentait d’affiner le catalogue de Thoré-Burger. En 1907, Cornelis Hofstede de Groot n’authentifiait plus que 34 tableaux.
Le XXe siècle a consacré le maître de Delft. Des expositions événements ont eu lieu, comme celle de 1921 à Paris, où furent présentées Vue de Delft, La Jeune Fille à la perle et La Laitière. C’est à cette occasion que l’écrivain Marcel Proust remarqua l’œuvre, ce qui influença l’écriture de son roman-cycle À la recherche du temps perdu.
La célébrité de Vermeer est confirmée par l’affluence des expositions qui lui sont consacrées (Washington et La Haye en 1995, New York et Londres en 2001, Paris en 2017). Aujourd’hui, Vermeer est au panthéon des peintres hollandais du XVIIe siècle, et ses œuvres font l’objet d’une utilisation publicitaire, ainsi que de succès de librairie et au box-office. Sa fortune critique est renforcée par les hommages des peintres (notamment impressionnistes) et des écrivains.
