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Glenn Gould : Génie Pianistique et Pionnier des Médias Électroniques 🇨🇦🎶
Glenn Herbert Gould, né Gold, est une figure emblématique de la musique classique du XXe siècle, reconnu internationalement comme pianiste, mais également comme compositeur, écrivain, homme de radio et réalisateur canadien. Né le 25 septembre 1932 à Toronto, en Ontario, et décédé dans la même ville le 4 octobre 1982, Gould a marqué l’histoire de la musique par son style analytique, précis et chantant, souvent qualifié d’excentrique.
Son héritage artistique est unique et riche, principalement en raison du nombre considérable d’enregistrements qu’il a réalisés. Sa carrière est indissociable de ses interprétations du répertoire baroque, et plus particulièrement des Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach. Il en a produit deux enregistrements phares : le premier, qui lança sa carrière en 1955, et le second, qui la conclut en 1981.
Un tournant majeur de sa vie professionnelle fut son retrait définitif de la scène concertante en 1964, à l’âge de 32 ans. Il choisit alors de se consacrer exclusivement aux enregistrements en studio et à la production d’émissions pour Radio-Canada, embrassant pleinement le potentiel des médias électroniques. Cette décision audacieuse cimenta sa réputation comme l’un des pianistes les plus marquants de son époque.
1. Biographie et Jeunesse 👨👩👧👦
1.1. Origines Familiales et Changement de Nom
Glenn Herbert Gould, dont le nom de naissance était Gold, est issu d’une famille presbytérienne avec des racines anglaises, écossaises et norvégiennes. Son environnement familial était fortement imprégné par la musique : son père, Russell Herbert Gold, était violoniste amateur, tandis que sa mère, Florence Grieg, était pianiste, organiste et professeure de chant. Il est intéressant de noter que sa mère était une parente éloignée du célèbre compositeur norvégien Edvard Grieg.
Un événement historique majeur a directement influencé l’identité publique de la famille. En 1939, au commencement de la Seconde Guerre mondiale, le nom de famille « Gold » fut modifié en « Gould ». Ce changement visait à prévenir d’éventuelles attaques à caractère antisémite, qui étaient alors en augmentation à Toronto, et ce, bien que la famille n’ait aucune origine juive. Glenn Gould avait l’habitude de plaisanter sur cet épisode, déclarant par exemple que lorsqu’on lui demandait s’il était juif, il répondait qu’il « l’était durant la guerre ».
Dès son plus jeune âge, Gould partageait sa vie à Toronto avec des compagnons animaux, comme Nicky (Sir Nickolson of Garelocheed), son setter anglais, et Mozart, sa perruche, comme en témoigne une photo prise en février 1946.
1.2. Formation Musicale Précoce 🎓
Gould a manifesté des prédispositions musicales exceptionnelles très tôt. Il a été découvert qu’il possédait l’oreille absolue dès l’âge de trois ans. Il a également montré des talents précoces pour le piano, se distinguant par sa capacité à improviser, transposer et composer.
Il a reçu ses premières leçons de piano de sa mère, les poursuivant jusqu’à l’âge de dix ans. Par la suite, il a intégré le Conservatoire royal de musique de Toronto.
Au Conservatoire, il a bénéficié d’une formation multidisciplinaire de haute qualité:
- Piano: auprès d’Alberto Guerrero (de 1943 à 1952). Une photo de Gould et Guerrero datant d’environ 1945 illustre leur collaboration.
- Orgue: auprès de Frederick Silvester (de 1942 à 1949). Il devint d’ailleurs organiste d’église à l’âge de onze ans et donna son premier concert professionnel à l’orgue en décembre 1945.
- Théorie musicale: auprès de Leo Smith (de 1940 à 1947).
Durant cette période de formation, Gould a exploré la composition, son style oscillant entre les influences du romantisme tardif et le dodécaphonisme de Schönberg.
Son ascension vers la vie publique fut rapide :
- Sa première apparition publique au piano avec orchestre eut lieu en 1946.
- Son premier récital professionnel suivit l’année suivante, en 1947.
- Il fit ses premières apparitions à la radio en 1950 et à la télévision en 1952.
- Son premier enregistrement commercial fut réalisé en 1953.
2. Carrière et Ascension Internationale 🚀
2.1. Les Débuts Américains et le Contrat CBS
En janvier 1955, Glenn Gould fit ses premiers pas sur la scène américaine, donnant des concerts à Washington (au Musée d’art moderne) et à New York. Dès ces premières performances, il fut immédiatement remarqué pour son jeu très personnel et ses choix de programmation novateurs.
Ses programmes étaient audacieux, mêlant des compositeurs anciens et modernes, incluant Gibbons, Sweelinck, Bach, mais aussi des œuvres complexes telles que la dernière sonate de Beethoven (Hammerklavier), la Sonate de Berg, et les Variations, op. 27 de Webern. Cette approche iconoclaste lui valut d’être identifié comme tel, ou, en français, comme « excentrique ».
La reconnaissance de son talent fut rapide et décisive. Alexander Schneider, membre du Quatuor de Budapest, le recommanda à David Oppenheim, alors patron de Columbia Masterworks. Oppenheim, après avoir écouté un enregistrement de Dinu Lipatti et souhaitant trouver un autre talent comparable, fut interpellé par Schneider. Ce dernier décrivit Gould comme « une personne de Toronto, nommé Glenn Gould, qui est hélas un peu fou, mais il a un effet hypnotique remarquable au piano ».
À seulement vingt-deux ans, Gould signa un contrat avec la prestigieuse firme CBS.
2.2. L’Impact Révolutionnaire des Variations Goldberg (1955) 🥇
Le premier disque qu’il réalisa pour CBS fut un enregistrement des Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach, réalisé en juin 1955 dans les studios CBS de New York. Publié en janvier 1956, cet enregistrement fut salué de manière unanime par la critique et le public, propulsant instantanément Gould vers la renommée internationale.
Cette interprétation se distinguait par sa vélocité et une clarté des voix hors du commun, se démarquant des modes interprétatives de l’époque. Cet enregistrement initial contribua de manière notable à son succès, est resté une référence absolue et continue de figurer parmi les meilleures ventes du catalogue CBS/Sony.
La reconnaissance fut telle que le chef d’orchestre Herbert von Karajan le sollicita pour Berlin et Salzbourg, et même Nikita Khrouchtchev exprima le désir de l’entendre jouer à Moscou. Gould maintint une collaboration fidèle avec le label discographique pendant vingt-cinq ans, y compris après sa décision d’abandonner les concerts publics.
2.3. Les Années de Concerts et Tournées (1955–1964)
De 1955 jusqu’à son retrait de la scène en 1964, Gould donna de nombreux concerts, principalement en Amérique du Nord. Il collabora avec des chefs d’orchestre et interprètes de renom, notamment Dimitri Mitropoulos, Leonard Bernstein et Yehudi Menuhin.
Entre 1957 et 1959, il effectua trois tournées internationales qui le menèrent dans de grandes capitales :
- En URSS.
- En Israël.
- En Europe de l’Ouest, notamment à Londres, à Stockholm, et à Berlin.
Il se produisit notamment à Berlin sous la direction d’Herbert von Karajan, et à Salzbourg avec Dimitri Mitropoulos et l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam.
3. La Rupture : Retraite de la Scène (1964) 🎙️
3.1. Raisons du Retrait
À partir de 1961, Gould commença à diminuer ses apparitions publiques. Il prit la décision radicale de ne plus accepter aucun engagement au-delà de l’année 1964.
En 1962, il confia à son entourage la fatigue qu’il ressentait à devoir se produire devant des auditoires qu’il jugeait distraits, notant qu’ils toussaient ou semblaient attendre qu’il commette une fausse note.
Sans aucune annonce préalable ou tournée d’adieu, Glenn Gould donna son dernier concert public le 10 avril 1964, au Wilshire Ebell Theater de Los Angeles. Le programme de ce concert final comprenait quatre fugues de L’Art de la Fugue, la 4e partita de Bach, la 30e sonate de Beethoven, et la 3e sonate d’Hindemith. Il quitta ainsi définitivement la scène à l’âge de 32 ans.
3.2. Le Basculement vers les Médias Électroniques
Après son retrait, Gould se voua exclusivement aux médias électroniques : enregistrements en studio, ainsi que la réalisation d’émissions de radio et de télévision. Il expliqua cette transition dans un article publié en avril 1966 dans le High Fidelity Magazine, intitulé « L’enregistrement et ses perspectives ».
Outre ses disques produits pour CBS, il réalisa sept documentaires pour la CBC ou d’autres productions. Parmi ses réalisations notables, on compte:
- Les Chemins de la musique (1974), un documentaire pour la télévision française réalisé avec Bruno Monsaingeon, qui fut ultérieurement renommé Glenn Gould, l’alchimiste.
- Une série de trois films intitulée Glenn Gould Plays Bach (1979–1981).
C’est notamment lors de la diffusion en 1974 des Chemins de la musique, passée en début de soirée sur les trois chaînes de télévision françaises alors en grève, que Gould fut reconnu en France au rang de « un des génies de l’interprétation moderne ».
En juin 1982, peu avant sa disparition, Gould entreprit une nouvelle facette de sa carrière en dirigeant un orchestre pour l’enregistrement du Siegfried Idyll de Richard Wagner. En septembre de la même année, sa nouvelle version des Variations Goldberg parut, venant ainsi clore symboliquement sa carrière d’enregistrement.
4. Style, Répertoire et Excentricité 🎵
4.1. Le Culte du Contrepoint et de Bach
Le choix du répertoire de Glenn Gould était très sélectif et reflétait sa conception musicale, dont l’essence se trouvait, selon lui, dans le contrepoint.
Il a délaissé largement:
- Les compositeurs romantiques, qu’il jugeait souvent « trop hédonistes ».
- La musique impressionniste.
- Les dernières œuvres de Mozart, qu’il jugeait être « Mort trop tard ».
- Frédéric Chopin.
Il se concentra principalement sur la musique baroque, la musique classique, le dernier romantisme, et la musique austro-allemande du début du XXe siècle. Il fit également des incursions remarquables dans la musique des virginalistes anglais et la musique canadienne contemporaine. Malgré ses réticences envers certains grands noms classiques, il admirait par exemple la chanteuse britannique Petula Clark, à laquelle il consacra un article élogieux en 1964.
Gould acquit sa réputation internationale grâce à ses interprétations très originales des œuvres de Bach. Il excella tout particulièrement dans l’interprétation des Variations Goldberg, dont il savait mettre en valeur la vivacité, la dynamique, et la profondeur de l’articulation logique des thèmes.
4.2. Particularités du Jeu Pianistique
Le jeu de Gould était immédiatement reconnaissable et caractérisé par plusieurs traits distinctifs, qui furent à la fois salués et critiqués:
- Le Toucher et l’Articulation : Son jeu était presque dépourvu de legato et utilisait très peu la pédale.
- La Clarté et la Vitesse : Ses interprétations des Variations Goldberg se distinguaient par une clarté de voix et une vélocité hors du commun.
- Réglages du Piano : Il associait sa technique à des réglages millimétrés de son piano fétiche, dont il faisait tendre les cordes à l’extrême pour gagner encore en rapidité.
4.3. Les Manières Atypiques (Chantonnement, Posture, Vêtements) eccentricité eccentricité 🧐
Le talent exceptionnel de Gould était souvent éclipsé, pour le grand public, par son caractère excentrique. Marc Vignal résumait d’un trait l’homme en affirmant que « Son très grand talent n’a d’égal que son caractère excentrique, qui se manifeste aussi bien dans son comportement personnel que dans ses interprétations ».
Plusieurs excentricités devenues célèbres accompagnaient ses performances:
- Le Chantonnement : Gould chantonnait fréquemment en jouant, que ce soit en concert ou lors de ses enregistrements. Ce « contre-chant vocal » était audible sur certains enregistrements, notamment le Clavier bien tempéré ou les Variations Goldberg. Dans les films de Bruno Monsaingeon, on le voit accompagner ce chantonnement de gestes de direction d’un orchestre imaginaire, ce qui posait des difficultés aux ingénieurs du son.
- La Posture : Sa position au piano était singulière : il s’asseyait extrêmement bas et se penchait très en avant vers le clavier, son visage arrivant au niveau des touches.
- La Chaise Sciée : Cette posture résultait de l’utilisation d’une seule et unique chaise pliante, dont il avait scié les pieds pour la rendre beaucoup plus basse qu’une banquette de piano. Cette chaise, qui l’a accompagné toute sa vie durant — même lorsqu’elle était dans un état de délabrement total — est devenue un symbole de Glenn Gould. Une réplique de cette chaise, dotée de pieds à hauteur variable, existe.
- La Tenue Vestimentaire : Indépendamment de la température extérieure, Gould portait toujours plusieurs couches de vêtements, souvent complétées par des couvre-chefs et des gants.
5. Instruments et Collaboration Technique 🎹
5.1. La Quête de la Sonorité Clavecin
Tout au long de sa carrière, Glenn Gould a méticuleusement recherché des instruments et des réglages spécifiques afin d’atteindre une sonorité particulière. Son objectif était d’obtenir des pianos dont la sonorité se rapprochait de celle des clavecins, privilégiant ainsi des sons clairs.
Au début de sa carrière, il développa une relation spéciale avec un piano Chickering de 1895, qu’il acheta en 1957 après l’avoir découvert chez un ami quatre ans auparavant. Il le conservait pour jouer chez lui, mais cet instrument était jugé trop petit et insuffisant en qualités acoustiques pour les concerts ou les enregistrements professionnels.
5.2. L’Épopée du Steinway CD-318
Sa quête d’un instrument adapté le conduisit à une collaboration avec Steinway & Sons. En 1955, il choisit d’abord le modèle D CD-174, qui, réglé selon ses exigences, lui convenait bien en se rapprochant de la mécanique et de la sonorité qu’il souhaitait. Il utilisa occasionnellement les modèles CD-90 et CD-205, qu’il trouvait cependant trop percussifs et rigides. Malheureusement, le CD-174 fut irrémédiablement endommagé lors d’une chute.
En 1960, alors qu’il cherchait un remplaçant, Gould retrouva par hasard à l’auditorium Eaton le Steinway CD-318. C’était le même instrument sur lequel il avait joué en 1946 lors d’un concert avec l’orchestre symphonique de Toronto. Il adopta rapidement le CD-318, en faisant son instrument de prédilection pendant les années suivantes.
Cependant, en 1971, le CD-318 subit d’importants dégâts lors d’un transport, ayant été victime d’une chute. Malgré les efforts de réparation menés à l’atelier Steinway & Sons sous la supervision de Franz Mohr et les tentatives de réglages de l’accordeur Verne Edquist, la sonorité du piano ne satisfaisait plus Gould.
Face à ces difficultés, l’entreprise new-yorkaise envisagea de mettre fin au contrat de location . Gould décida alors d’acheter le piano en 1973 et le confia à Edquist dans l’espoir de retrouver les réglages idéaux . Malgré tous les efforts, l’accordeur canadien ne parvint pas à rétablir la sonorité tant attendue par le pianiste .
Délaissant le CD-318 pour ses enregistrements, Gould se tourna finalement vers les instruments Yamaha. Il réalisa ses derniers enregistrements sur des modèles C9 et CFII de la firme nippone.
5.3. La Collaboration avec Verne Edquist
La recherche de la perfection sonore conduisit Gould à collaborer avec l’accordeur Verne Edquist à la fin des années 1950. Initialement réticent, compte tenu de la réputation d’exigence extrême du pianiste, Edquist déclina la proposition à plusieurs reprises. Ce n’est qu’à partir de 1962, en partie sous l’insistance de l’atelier Steinway & Sons, qu’il accepta de travailler avec Gould.
S’ensuivit une collaboration fructueuse de vingt ans, durant laquelle Edquist fut l’accordeur principal du musicien. Cependant, la relation professionnelle se distendit après la chute du Steinway CD-318. Edquist ne suivit pas Gould dans son évolution vers les instruments Yamaha, bien qu’il ait continué de travailler sur le CD-318 que le pianiste possédait.
6. Hypothèses sur le Comportement Atypique 🧠
Le comportement et les rituels complexes de Glenn Gould ont suscité de nombreuses analyses posthumes et théories sur sa psychologie.
6.1. La Thèse du Spectre de l’Autisme
Une étude posthume menée par le psychiatre américain Peter Ostwald , et reprise par S. Timothy Maloney, directeur de la division de la musique de la Bibliothèque nationale du Canada , a suggéré que Glenn Gould aurait pu être sujet à une forme de trouble du spectre de l’autisme, désignée jusqu’en 2010 sous le nom de syndrome d’Asperger.
Peter Ostwald avançait plusieurs points pour étayer cette hypothèse:
- Déséquilibre des Sens : Une hypersensibilité marquée de l’ouïe, de la vue et du toucher, contrastant avec une insensibilité du goût et de l’odorat.
- Attitude Physique et Répétitions : L’adoption d’une attitude physique particulière et la répétition de gestes, considérées comme typiques de ce comportement.
- Routines et Rituels Strictes : Des routines rigides concernant l’alimentation, l’habillement, et la répétition de codes tout au long de sa vie. Par exemple, il regardait quarante fois le même film ou écoutait une suite de musiques pendant des mois. Ses rituels comprenaient le fait de toujours tremper ses bras dans l’eau très chaude avant un concert, son refus de se séparer de sa chaise pliante sciée, et le fait de manger le même repas chaque jour (composé d’œuf brouillé, de pain grillé, de salade et de biscuit).
- Hypocondrie.
- Comportement Social Difficile : Un comportement social très difficile, allant jusqu’à refuser l’interaction humaine et à préférer la compagnie des animaux.
- Manque de Discernement : Un manque de discernement, parfois perçu comme un manque de courtoisie.
- Faculté Mémorielle Incroyable : Une mémoire prodigieuse lui permettant de se souvenir de quantités impressionnantes de partitions musicales et de créer des transcriptions pour piano d’œuvres d’opéras et d’orchestres à volonté.
D’autres psychiatres partagent la conviction que Gould était probablement Asperger, une opinion soutenue également par son assistant personnel, Ray Roberts.
6.2. Contre-Arguments et Autres Analyses
Cependant, cette thèse n’est pas universellement acceptée. Kevin Bazzana, le biographe de Glenn Gould, ne la confirme pas .
D’autres experts ont proposé des explications différentes pour son comportement excentrique:
- Les psychiatres Helen Mesaros et Joseph Stephens estiment que ses traits de caractère pourraient s’expliquer par des raisons psychologiques ou être apparentés à une névrose .
- Le psychanalyste Jean-Claude Maleval suggère que Gould présentait de nombreux traits paranoïaques, orientant vers l’hypothèse de la psychose ordinaire . Maleval note que cette hypothèse est corroborée par des phénomènes élémentaires prenant la forme d’épisodes paranoïdes, ainsi que par la permanence d’un rapport à un « Autre malveillant » . Gould s’en serait protégé en évitant les relations sociales . Néanmoins, il ne fut jamais hospitalisé et parvint à maintenir une vie professionnelle accomplie, son intense investissement dans la musique agissant comme une suppléance lui permettant de contenir ses troubles .
7. Derniers Jours et Postérité 🕯️
7.1. Disparition
Le 27 septembre 1982, après avoir ressenti de forts maux de tête, Glenn Gould fut victime d’un accident vasculaire cérébral (AVC). Cet événement entraîna la paralysie du côté gauche de son corps.
Il fut hospitalisé à l’hôpital général de Toronto, où son état se dégrada rapidement. Le 4 octobre 1982, les preuves cliniques attestant qu’il était cérébralement mort, son père demanda que les appareils le maintenant artificiellement en vie soient débranchés.
Glenn Gould repose aujourd’hui au cimetière Mount Pleasant de Toronto, aux côtés de ses parents. Les premières mesures de ses fameuses Variations Goldberg sont gravées sur sa pierre tombale. Sa sépulture est un lieu régulièrement sollicité par ses admirateurs auprès du personnel du cimetière.
7.2. Œuvres Composées par Gould 📝
Bien que principalement connu comme interprète, Glenn Gould était également compositeur, même si ses compositions sont moins célèbres.
Ses œuvres incluent:
- Sonate pour basson et piano (1949).
- Sonate pour piano (1951, inachevée).
- Quatuor à cordes op. 1 (1956), inspiré par la musique d’Arnold Schönberg.
- Lieberson Madrigal pour voix et piano.
- Cinq petites pièces pour piano.
- So You Want to Write a Fugue? (1963), une fugue pour chœur à quatre voix mixtes où il explique avec humour et démonstration la méthode d’écriture d’une fugue.
Gould a également réalisé des cadences et des transcriptions, notamment:
- Des cadences pour le concerto en ut majeur de Beethoven (éditées en 1958).
- La transcription du Siegfried Idyll de Richard Wagner (éditée en 2003).
Il a en outre composé trois musiques pour des films de télévision, produits par Richard Nielsen pour Norflicks: Abattoir 5, L’homme terminal, et The Wars. À partir de 1995, Schott a entrepris la réalisation d’une édition complète de ses œuvres, incluant la publication en fac-similé de ses œuvres de jeunesse.
7.3. Legs et Hommages Durables 🌟
La fascination pour la figure de Glenn Gould, qui persiste depuis sa disparition en 1982 , a inspiré une multitude d’hommages, de publications littéraires et d’entreprises commerciales.
Institutions et Distinctions :
- Archives : Les archives Glenn Gould sont conservées à la Bibliothèque nationale du Canada, à Ottawa.
- Médaille : En 1981, Gould a reçu la Médaille du Conseil canadien de la musique.
- Espace d’Exposition : La chaise et le piano Steinway CD-318 (malgré les dommages subis) sont devenus des symboles de Gould et sont conservés et exposés de manière permanente au Centre national des Arts d’Ottawa depuis juin 2012.
- Astronome : L’astéroïde (29565) Glenngould a été nommé en son honneur en 1998 .
- Hommages musicaux :
- Maurane lui a consacré une chanson en 1991, Sur un prélude de Bach, utilisant la musique du Prélude et fugue en ut majeur, BWV 846, et reprenant en refrain : « Lorsque j’entends ce prélude de Bach Par Glenn Gould, ma raison s’envole… ».
- En 2011, Gidon Kremer et sa Kremerata Baltica ont sorti un disque intitulé The art of instrumentation – Homage To Glenn Gould .
- Nicolas Godin (du groupe AIR) a composé en 2015 un disque nommé Contrepoint en hommage à Gould .
La Fondation et le Prix Glenn Gould :
- La Fondation Glenn Gould a été créée à Toronto en 1983 .
- Cette fondation décerne tous les deux ans le Prix Glenn Gould, récompensant des œuvres liées à la musique et à la communication.
Culture Populaire et Cinéma : La présence de Glenn Gould est récurrente dans la culture, souvent comme référence à l’excellence ou à l’excentricité.
- Les Simpsons :
- Dans un épisode de la saison 12, Gould est cité à la radio après la diffusion d’une sonate avec le commentaire : « Cette sonate n’était pas interprétée par Glenn Gould, mais c’était aussi bon que du Gould ! » .
- Le titre de l’épisode 21 de la saison 7, 22 Short Films About Springfield, est une référence directe à Trente-deux films brefs sur Glenn Gould.
- Littérature et Philosophie :
- Gould est l’un des trois protagonistes principaux du roman Le Naufragé de Thomas Bernhard.
- Gilles Deleuze le cite fréquemment dans ses cours et dans son ouvrage Mille Plateaux, où il utilise son accélération dans l’exécution des morceaux pour illustrer le troisième principe du rhizome : « Quand Glenn Gould accélère l’exécution d’un morceau, il n’agit pas seulement en virtuose, il transforme les points musicaux en lignes, il fait proliférer l’ensemble » .
- Giorgio Agamben lui confère un statut absolument unique parmi les pianistes dans La Communauté qui vient et Le Feu et le Récit .
- Cinéma :
- Dans Le Silence des agneaux (version originale), Hannibal Lecter semble l’apprécier particulièrement, puisqu’il demande explicitement sa version des Goldberg pour l’écouter en prison .
- Il occupe une place significative dans The House That Jack Built de Lars Von Trier, où il apparaît visuellement ou de manière sonore près d’une dizaine de fois, travaillant la seconde Partita de Bach . Cet extrait est tiré du documentaire Glenn Gould Off The Record . Le personnage principal, Jack, le décrit comme « un des plus grands pianistes de notre temps » et le « représentant de l’Art ».
- Sa musique est souvent utilisée comme bande originale (Le Chardonneret, Ted K, Tel père tel fils).
- Plus spécifiquement, sa musique est souvent écoutée directement par des protagonistes, comme dans Shame (où Michael Fassbender écoute les Variations Goldberg et le prélude BWV 855) et dans Captain Fantastic (lors du voyage de la famille). Ses petits préludes et fugues sont également entendus dans le magasin d’Elijah Price dans le film Incassable.
8. Synthèse Analytique et Conclusion 🎯
Glenn Gould fut un artiste qui a transformé la relation entre l’interprète et le public. En abandonnant la scène de concert en 1964, il a délibérément choisi de placer l’enregistrement studio et les médias électroniques au centre de son expression artistique.
Son identité musicale repose sur une adhésion profonde au contrepoint, faisant de Jean-Sébastien Bach son compositeur fétiche. Ses interprétations des Variations Goldberg — célèbres pour leur clarté, leur vélocité et leur articulation sans legato — ont redéfini la manière d’aborder la musique baroque au piano. L’excentricité de Gould, manifestée par son chantonnement audible, sa posture basse due à sa chaise sciée unique, et ses rituels constants (y compris ses tenues vestimentaires), fait partie intégrante de sa légende.
Que son comportement atypique soit lié à une névrose, à une psychose ordinaire nécessitant la musique comme « suppléance » pour contenir ses troubles, ou à un syndrome du spectre de l’autisme (Asperger), l’impact de Gould sur la musique et la culture est incontestable. La dévotion que lui vouent les milieux artistiques et intellectuels, des philosophes comme Gilles Deleuze aux réalisateurs de cinéma, témoigne de la profondeur de son héritage, bien au-delà du seul domaine pianistique. Son Steinway CD-318 endommagé et sa chaise emblématique demeurent aujourd’hui des symboles tangibles de la quête inlassable de perfection et d’originalité qui a défini la vie de Glenn Gould.
