Quelques livres pour approfondir la réflexion
Chateaubriand de Ghislain de Diesbach
Chateaubriand Jean-Claude Berchet :
Chateaubriand: Biographie en 100 pages, Découvrez la vie d’un génie romantique entre grandeur, exil et Mémoires éternelles
Chateaubriand : Le Grand Mémorialiste, Père du Romantisme et Homme Politique aux Multiples Facettes 🏛️✍️
François-René, vicomte de Chateaubriand (1768-1848), figure emblématique de la littérature et de la politique française, demeure l’une des personnalités les plus complexes et fascinantes de son siècle. Précurseur et pionnier du romantisme français, il est également un mémorialiste politique dont les prises de position ont souvent suscité le débat et l’analyse. Son existence, marquée par l’exil, les voyages et une profonde nostalgie de la stabilité, s’est déroulée à travers les bouleversements majeurs de la Révolution, de l’Empire et de la Restauration, périodes dont il fut un témoin privilégié et un acteur influent.
Cet article propose une immersion dans la vie et l’œuvre de Chateaubriand, explorant les multiples facettes de sa personnalité, ses contributions littéraires majeures et les contradictions politiques qui ont jalonné son parcours, le tout dans une perspective historique et analytique.
Une Jeunesse Entre Noblesse Ruinée et Réussite Commerciale 🏰💰
Naissance et Origines Bretonnes 🌊
Chateaubriand voit le jour le 4 septembre 1768 à Saint-Malo, dans l’hôtel de la Gicquelais. Issu de la noblesse bretonne, sa famille du Rocher du Quengo s’est établie à Saint-Malo au début du XVIIe siècle. Bien que d’origine noble, la famille avait connu des revers financiers avant que le père de François-René, le comte René-Auguste de Chateaubriand, ne restaure sa fortune. Né en 1718 au manoir des Touches à Guitté, René-Auguste est décrit comme un chevalier et comte de Combourg, dont le succès commercial fut la clé du renouveau familial.
La réussite de son père reposait sur des activités diverses et parfois controversées, incluant le commerce avec les colonies, la course en temps de guerre, la pêche à la morue et même le commerce négrier en temps de paix. Cette fortune retrouvée permit à la famille d’acquérir le château de Combourg en Bretagne en 1761, où ils s’installèrent en 1777.
Une Enfance Marquée par la Mélancolie et les Épreuves 💔
Les premières années de François-René furent passées loin de ses parents, auprès de sa grand-mère maternelle, Madame de Bédée, à Plancoët, puis souvent chez son oncle à Monchoix. Son enfance à Combourg, où il déménagea à l’âge de neuf ans, fut souvent morose, passée aux côtés d’un père taciturne et d’une mère à la fois superstitieuse, maladive mais gaie et cultivée. Ces expériences précoces, teintées de solitude et d’introspection, ont sans doute forgé la sensibilité mélancolique qui transparaîtra dans son œuvre future, notamment dans la description de son enfance et de sa formation dans les premiers livres de ses Mémoires d’outre-tombe.
Formation et Débuts Militaires 📚⚔️
Chateaubriand effectue sa scolarité dans plusieurs collèges bretons : à Dol-de-Bretagne (1777-1781), à Rennes (1782) et à Dinan (1783). Après de longues réflexions sur son avenir, il opte pour une carrière militaire. En 1786, à l’âge de 17 ans, il obtient un brevet de sous-lieutenant au régiment de Navarre sous les ordres de son frère aîné, Jean-Baptiste. Ce dernier le présentera à la Cour, pour laquelle le jeune François-René ressent déjà un « dégoût invincible ». Deux ans plus tard, à 19 ans, il est promu capitaine.
En 1788, il s’installe à Paris, où il fréquente les cercles littéraires et se lie avec des figures comme Jean-François de La Harpe et Louis de Fontanes, qui deviendra son ami le plus cher. Influencé par Corneille et Rousseau, il fait ses premières armes littéraires en contribuant à l’Almanach des Muses.
Un Témoin des Débuts de la Révolution 🇫🇷
L’année 1789 marque un tournant historique auquel Chateaubriand participe activement. En janvier, il prend part aux États de Bretagne. En juillet de la même année, il est à Paris et assiste à la prise de la Bastille en compagnie de ses sœurs Julie et Lucile. Ces événements fondateurs de la Révolution française auront un impact profond sur sa vision du monde et son engagement politique futur.
Le Mythe du Chevalier de Malte : Réalité et Ambition ⚜️
C’est Chateaubriand lui-même, dans ses Mémoires d’outre-tombe, qui évoque à plusieurs reprises son admission dans l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, allant jusqu’à mentionner s’être fait tonsurer pour l’occasion. Il raconte comment son frère aurait présenté sa demande d’admission auprès du prieur d’Aquitaine, Louis-Joseph des Escotais, en justifiant de ses quartiers de noblesse. Cette demande aurait été acceptée lors du chapitre prieural des 9, 10 et 11 septembre 1789. Chateaubriand souligne avec un certain ironie que cette acceptation survient alors même que l’Assemblée nationale avait aboli les titres de noblesse le 7 août, se questionnant sur la pertinence de ses preuves dans ce contexte révolutionnaire.
De nombreux spécialistes de généalogie du XIXe siècle (Courcelles, Vitton de Saint-Allais, Potier de Courcy, Guillotin de Courson, Kerviler) ont par la suite confirmé l’idée que Chateaubriand était un chevalier de Malte, bien que d’autres (Révérend, La Roque) aient émis des doutes. Chateaubriand, dans le supplément de ses Mémoires, inclut complaisamment le « Mémorial » – le dossier sur lequel l’Ordre se base pour admettre un prétendant. Étant de Bretagne, il dépendait du grand prieuré d’Aquitaine, relevant de la langue de France. Pour cette langue, il fallait justifier de huit quartiers de noblesse (quatre paternels, quatre maternels) et d’au moins 100 ans de preuves de noblesse. Chateaubriand remontait même jusqu’à un 23e aïeul ayant participé à la bataille d’Hastings en 1066. Ce Mémorial aurait été accepté, mais cela ne représentait que la première étape d’un processus long et exigeant.
En effet, l’admission dans l’Ordre n’équivalait pas à devenir chevalier. Le grand prieuré devait nommer des commissaires enquêteurs pour mener des enquêtes locales, sur pièces, testimoniales, publiques (bonnes mœurs) et secrètes. Huit commissaires devaient rendre un Procès-verbal des Preuves positif. Ensuite, le postulant ou sa famille devait payer les droits de réception et les frais des commissaires. Enfin, le futur chevalier devait effectuer une année de noviciat à Malte avec un service à la Sacra Infermeria ou auprès d’un notable de l’Ordre. Pour atteindre les dignités et devenir pleinement chevalier de Malte, le novice devait en outre accomplir quatre ans de « caravanes », c’est-à-dire un service en mer de six mois durant la belle saison de navigation. Ces cinq années de résidence à Malte (consécutives ou non) étaient obligatoires avant de pouvoir prononcer ses vœux et entrer en religion, devenant ainsi frère et chevalier dans l’Ordre. Beaucoup de novices renonçaient à la vie monacale après cette formation pour faire carrière dans la marine de leur royaume ou contracter un mariage avantageux.
Or, Chateaubriand ne fera jamais profession, ne séjournera jamais à Malte et ne prononcera jamais ses vœux. Il ne sera donc jamais chevalier de Malte de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, ne réalisant pas ainsi « l’espoir des bénéfices » qu’il escomptait dans ses Mémoires d’outre-tombe. Cette anecdote révèle déjà une certaine ambition et une tendance à l’arrangement de la réalité pour glorifier son propre passé, un trait récurrent de sa personnalité et de son œuvre autobiographique.
L’Aventure Américaine et l’Exil Révolutionnaire 🗺️➡️🇫🇷
Le Voyage au Nouveau Monde : Entre Quête et Fiction 🌲🦅
En 1791, alors que la Révolution française s’intensifie, François-René s’éloigne de la France et embarque pour le Nouveau Monde (Baltimore) sous le « prétexte de chercher le passage du Nord-Ouest ». C’est Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, éminent homme des Lumières et avocat de Louis XVI, qui l’encourage dans ce voyage.
Dans son Voyage en Amérique, publié en 1826, Chateaubriand décrit son arrivée à Philadelphie le 10 juillet 1791, ses passages à New York, Boston et Lexington. Il relate même une rencontre avec George Washington à Philadelphie, qui lui aurait adressé un énigmatique « Well well, young man ». Il remonte l’Hudson jusqu’à Albany, puis continue avec un guide jusqu’aux chutes du Niagara, à la recherche du « bon sauvage » et de la solitude des forêts nord-américaines. À Niagara, il prétend s’être brisé un bras lors d’un accident de monture et avoir passé un mois au sein d’une tribu indienne. Le récit de voyage s’interrompt ensuite pour laisser place à des considérations zoologiques, politiques et économiques sur les Indiens et l’Amérique. Il mentionne brièvement son retour vers Philadelphie via l’Ohio, le Mississippi et la Louisiane, bien que la véracité de ce trajet soit souvent remise en question.
La nouvelle de la fuite du roi à Varennes le pousse à quitter l’Amérique, et il s’embarque de Philadelphie pour La Rochelle.
Controverses sur la Véracité du Récit 🤥
De nombreuses critiques ont émergé concernant le Voyage en Amérique, remettant en doute la véracité de certains épisodes. Le fait que Chateaubriand ait vécu plusieurs semaines au sein de tribus indiennes, telles que celles qu’il décrit dans Les Natchez, est interrogé. L’itinéraire qu’il détaille comporterait de nombreuses exagérations et déformations de la réalité, notamment son passage en Louisiane. La rencontre avec George Washington elle-même est sujette à caution.
Cependant, au-delà de sa fidélité historique, l’influence de ce voyage fut capitale. Certains experts pensent que Chateaubriand rapporta de ses carnets américains les idées qui allaient former Les Natchez. Il affirmait que cette expérience lui avait fourni l’inspiration fondamentale pour cette œuvre. Ses descriptions imagées, rédigées dans un style novateur pour l’époque, sont considérées comme l’un des piliers du futur style romantique français.
L’Exil en Angleterre et la Publication de l’Essai sur les révolutions 🇬🇧
Fin mars 1792, Chateaubriand épouse Céleste Buisson de la Vigne, de 17 ans, issue d’une famille d’armateurs de Saint-Malo. Ils n’auront pas de postérité. Le 15 juillet 1792, il quitte la France pour Coblence avec son frère, mais sans sa femme, pour rejoindre l’armée des émigrés et combattre les armées de la République. Céleste, restée en Bretagne, est arrêtée comme « femme d’émigré » et emprisonnée à Rennes jusqu’au 9 thermidor (27 juillet 1794), ne devant sa survie qu’à la chute de Robespierre. Blessé au siège de Thionville, François-René se réfugie à Bruxelles puis à Jersey, marquant la fin de sa brève carrière militaire.
Il s’installe ensuite à Londres en 1793, connaissant un dénuement momentané mais réel. Grâce à Jean-Gabriel Peltier, il trouve un emploi à Beccles, donnant des leçons de français et effectuant des traductions. C’est là qu’il publie en 1797 son premier ouvrage majeur : l’Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes et modernes, considérées dans leurs rapports avec la Révolution française. Cet essai, où il se nourrit de Rousseau, Montesquieu et Voltaire, exprime des idées politiques et religieuses « peu en harmonie avec celles qu’il professera plus tard », révélant déjà la complexité de sa pensée. Ce travail, qui passera inaperçu de la critique à l’exception d’Amable de Baudus, était tellement « dans des idées révolutionnaires et irréligieuses très accentuées » que Chateaubriand s’efforcera par la suite de le retrouver et de le brûler.
Pendant ce temps, la Terreur frappe sa famille. En décembre 1793, son frère Jean-Baptiste, sa belle-sœur (petite-fille de Malesherbes) et une partie de leur famille sont arrêtés. La plupart sont guillotinés à Paris en avril et mai 1794, sa belle-sœur et son mari, Hervé Clérel de Tocqueville (parents d’Alexis de Tocqueville), ne survivant que grâce à la chute de Robespierre.
Le Retour à la Foi et la Genèse du Génie du christianisme 🙏
Les épreuves s’accumulent pour Chateaubriand. En 1798, sa mère et sa sœur Julie décèdent. Profondément marqué par ces deuils, il se tourne de nouveau vers la religion. Il entreprend alors la rédaction du Génie du Christianisme, affirmant qu’une lettre de sa mère mourante l’aurait ramené à la foi. Cet ouvrage, qui sera capital pour la littérature française, est sur le point de paraître à Londres lorsqu’il décide de rentrer en France en 1800.
L’Apogée Littéraire et les Premiers Engagements Politiques 📖🏛️
Le Retour en France et les Succès Littéraires 🌟
De retour en France en 1800, Chateaubriand s’implique activement dans le Mercure de France avec Louis de Fontanes, qu’il dirigera ensuite. C’est dans ce contexte qu’il publie en 1801 Atala, une œuvre originale qui suscite admiration et controverse.
À la même époque, il compose René, une œuvre imprégnée d’une mélancolie rêveuse qui deviendra un modèle pour les futurs écrivains romantiques. Dans René, il relate de manière à peine voilée l’amour chaste mais passionné qu’il a éprouvé pour sa sœur aînée Lucile, qui le surnommait « l’Enchanteur ». Son épouse Céleste et Lucile vivaient alors ensemble en Bretagne, mais avaient cessé de parler de François-René, qu’elles aimaient toutes deux.
Le 14 avril 1802, il publie à Paris le Génie du christianisme, en partie rédigé en Angleterre, dont Atala et René n’étaient à l’origine que des épisodes. L’ouvrage visait à démontrer la supériorité du christianisme sur le paganisme non seulement par sa morale, mais aussi par sa capacité à inspirer l’art et la poésie, qu’il célébrait comme la vraie source de liberté, et non la Révolution. Ce livre fut un événement majeur, marquant un signal fort du retour du religieux après les années révolutionnaires.
Au Service et Contre Napoléon : Un Tournant Politique 🤝➡️⚔️
Toujours inscrit sur la liste des émigrés, Chateaubriand s’efforce d’en être radié. Il plaide sa cause auprès d’Élisa Bonaparte, sœur du Premier Consul et maîtresse de Fontanes, qui intervient en sa faveur. Il est rayé de la liste le 21 juillet 1801. Bonaparte, reconnaissant son talent, le choisit en 1803 pour accompagner le cardinal Fesch à Rome en tant que premier secrétaire d’ambassade.
Son séjour à Rome est marqué par des maladresses, notamment sa demande au pape Pie VII d’abolir les lois organiques pour rétablir le culte catholique en France, ce qui exaspère le cardinal-ambassadeur Fesch et conduit à son départ au bout de six mois. Le 29 novembre 1803, Bonaparte le nomme chargé d’affaires dans la République du Valais. Cependant, le 21 mars 1804, l’exécution du duc d’Enghien provoque une rupture décisive : Chateaubriand démissionne immédiatement et entre dans l’opposition à l’Empire. Durant le sacre de l’Empereur, il se retire et écrit plusieurs chapitres des Martyrs et des Mémoires d’outre-tombe, marquant son engagement d’écrivain contre le régime.
Le Voyage en Orient et la Naissance des Martyrs 🌍📖
Rendu aux lettres, Chateaubriand conçoit le projet d’une épopée chrétienne où s’affronteraient le paganisme moribond et la religion naissante. Désireux de visiter les lieux de l’action, il parcourt la Grèce, l’Asie Mineure, la Palestine et l’Égypte en 1806.
À son retour d’Orient, exilé par Napoléon à trois lieues de la capitale, il acquiert la Vallée-aux-Loups près de Sceaux, où il se retire modestement. Sa femme Céleste le rejoint, décrivant avec humour les conditions pittoresques de leur installation. C’est là qu’il achève Les Martyrs, une épopée en prose parue en 1809. Les notes recueillies durant ce périple formeront la matière de l’Itinéraire de Paris à Jérusalem (1811).
La même année, Chateaubriand est élu membre de l’Académie française. Cependant, son projet de discours de réception, dans lequel il critiquait sévèrement certains actes de la Révolution, est refusé par Napoléon. Il ne pourra prendre possession de son siège qu’après la Restauration.
La Carrière Politique : Entre Faveur, Disgrâce et Contradictions 🔄📜
L’Engouement pour la Restauration et le Pamphlet Anti-Napoléonien 🔥👑
Chateaubriand accueille avec transport le retour des Bourbons. Dès le 30 mars 1814, il publie un pamphlet virulent contre l’empereur déchu, De Buonaparte et des Bourbons, qui connaît une diffusion massive. Cet ouvrage, selon Chateaubriand lui-même et ce qu’il prête à Louis XVIII dans ses Mémoires, aurait rendu autant de service au roi que « cent mille hommes ». Sa femme Céleste, faisant preuve d’un sens politique inattendu, l’accompagne à Gand durant les Cent-Jours et devient sa confidente et conseillère écoutée durant toute la Restauration.
Talleyrand, son protecteur d’antan, le nomme ambassadeur en Suède, mais Chateaubriand n’a pas le temps de quitter Paris avant le retour de Napoléon en 1815. Il accompagne alors Louis XVIII à Gand et devient membre de son cabinet, lui adressant le célèbre Rapport sur l’état de la France.
Ministre, Pair de France et Opposant Ultraroyaliste 🎩⚔️
Après la défaite de l’Empereur, Chateaubriand vote la mort du maréchal Ney en décembre 1815 à la Chambre des pairs. Il est nommé ministre d’État et pair de France. Cependant, sa critique de l’ordonnance du 5 septembre 1816 qui dissout la Chambre introuvable, exprimée dans La Monarchie selon la Charte, lui vaut une disgrâce et la perte de son poste de ministre d’État.
Il se jette alors dans l’opposition ultraroyaliste, devenant l’un des principaux rédacteurs du Conservateur, l’organe le plus influent de ce parti. Ce journal, d’après Pascal Melka, aurait même inspiré Le Conservateur Littéraire qui emploiera Victor Hugo. Cette période le voit défendre la contre-révolution et la société d’Ancien Régime, comme en témoignent ses premières publications.
Le meurtre du duc de Berry en 1820 le rapproche de la Cour. Il rédige à cette occasion des Mémoires sur la vie et la mort du duc et participe à la commission pour l’acquisition du château de Chambord, offert au fils du duc, Henri V.
Ministre des Affaires Étrangères et le Coup de Tonnerre de Villèle ⚡
En 1821, il est nommé ministre de France à Berlin, puis ambassadeur à Londres. C’est durant son ambassade à Londres que son cuisinier, Montmireil, aurait inventé la célèbre cuisson de la pièce de bœuf qui porte son nom.
En 1822, il représente la France au congrès de Vérone. Le 28 décembre 1822, Louis XVIII le nomme ministre des Affaires étrangères, poste qu’il occupera jusqu’au 4 août 1824. Durant cette période, il reçoit l’ordre de Saint-André de l’empereur Alexandre Ier de Russie et le collier de l’ordre de la Toison d’Or de Ferdinand VII.
C’est aussi à cette époque, à 55 ans, qu’il débute une liaison avec Cordélia de Castellane, 30 ans, épouse du comte Boniface de Castellane, connue pour sa beauté et son esprit. Leur liaison s’achèvera l’année suivante, mais les lettres à Madame de Castellane sont considérées comme les seules lettres passionnées de Chateaubriand qui nous soient parvenues.
En tant que plénipotentiaire au congrès de Vérone, il réussit à faire décider l’expédition d’Espagne, malgré l’opposition apparente du Royaume-Uni. De retour, il obtient le portefeuille des Affaires étrangères et mène à bien l’aventure espagnole avec la prise de Cadix à la bataille du Trocadéro en 1823.
Cependant, son désaccord avec Villèle, le chef du gouvernement, conduit à son congédiement brutal le 6 juin 1824. Chateaubriand commente cet événement avec amertume : « Et pourtant qu’avais-je fait ? Où étaient mes intrigues et mon ambition ? Avais-je désiré la place de Monsieur de Villèle en allant seul et caché me promener au fond du Bois de Boulogne ? J’avais la simplicité de rester tel que le ciel m’avait fait, et, parce que je n’avais envie de rien, on crut que je voulais tout. Aujourd’hui, je conçois très bien que ma vie à part était une grande faute. Comment ! vous ne voulez rien être ! Allez-vous-en ! Nous ne voulons pas qu’un homme méprise ce que nous adorons, et qu’il se croie en droit d’insulter la médiocrité de notre vie. ». Cette déclaration révèle une perception d’une ambition qu’il ne s’attribue pas lui-même, mais que les autres lui prêtaient.
Le Héros du Libéralisme et le Déclin Politique 🕊️📉
Après sa disgrâce, Chateaubriand entre de nouveau dans l’opposition, mais cette fois en s’alliant au parti libéral. Il combat sans relâche le ministère Villèle à la Chambre des pairs et dans le Journal des débats. C’est à cette période qu’il se montre le chevalier défenseur de la liberté de la presse et de l’indépendance de la Grèce, ce qui lui vaut une grande popularité. Cette évolution politique, passant d’ultraroyaliste à défenseur de la liberté de la presse, illustre les « contradictions flagrantes » mentionnées dans la source.
À la chute de Villèle, il est nommé ambassadeur à Rome en 1828, où Céleste l’accompagne et tient son rang avec brio. Mais il démissionne lors de l’avènement du ministère Polignac, un acte qui marque son déclin politique.
En 1828-1829, il vit un dernier amour avec Léontine de Villeneuve, comtesse de Castelbajac, une jeune femme de 26 ans. Leur rencontre à Cauterets est platonique ou non, mais Chateaubriand l’évoque dans les Mémoires d’outre-tombe comme « la jeune amie de mes vieux ans ».
L’Abandon de la Carrière Politique et les Dernières Années 🔚🌅
Désillusion et Fidélité Légitimiste 👑💔
Après la Révolution de 1830, de plus en plus opposé aux partis conservateurs et désabusé sur l’avenir de la monarchie, Chateaubriand se retire des affaires et quitte même la Chambre des Pairs. Il ne signale plus son existence politique que par des critiques acerbes contre le nouveau gouvernement de Louis-Philippe (De la Restauration et de la Monarchie élective, 1831), par des voyages auprès de la famille déchue, et par la publication d’un Mémoire sur la captivité de la duchesse de Berry (1833), pour lequel il est poursuivi mais acquitté.
Son engagement reste marqué par une fidélité à la légitimité : il renonce à se rallier à la « monarchie bâtarde » de Louis-Philippe, considérant Henri V comme son souverain légitime. Il se voit comme une « Inutile Cassandre », ayant « assez fatigué le trône et la pairie de mes avertissements dédaignés » et ne lui restant « plus qu’à m’asseoir sur les débris d’un naufrage que j’ai tant de fois prédit… ».
Il publie également en 1831 des Études historiques, un résumé d’histoire universelle visant à montrer le christianisme réformant la société, qui devait être le frontispice d’une Histoire de France finalement abandonnée. À la fin de 1831, il prend le temps d’honorer la récente Révolte des Canuts, y voyant l’annonce d’un temps nouveau.
Les Dernières Années : Retraite et Achèvement des Mémoires 🏡📖
Ses dernières années se déroulent dans une profonde retraite, en compagnie de son épouse, au 120 rue du Bac à Paris. Il ne quitte guère sa demeure que pour se rendre à l’abbaye-aux-Bois, chez Juliette Récamier, son amie constante dont le salon réunit l’élite du monde littéraire. Il reçoit de nombreuses visites de la jeunesse romantique et libérale, se consacrant à l’achèvement de ses Mémoires commencés en 1811.
Ce vaste projet autobiographique, les Mémoires d’outre-tombe, devait, selon le vœu de l’auteur, ne paraître que cinquante ans après sa mort. Cependant, pressé par des problèmes financiers, Chateaubriand cède les droits d’exploitation à une « Société propriétaire des Mémoires d’outre-tombe » en 1836. Cette société exigera une publication dès le décès de l’auteur et pratiquera des coupes franches pour ne pas heurter le public. Ces contraintes lui inspireront d’amers commentaires : « La triste nécessité qui m’a toujours tenu le pied sur la gorge, m’a forcé de vendre mes Mémoires. Personne ne peut savoir ce que j’ai souffert d’avoir été obligé d’hypothéquer ma tombe […] mon dessein était de les laisser à madame de Chateaubriand : elle les eût fait connaître à sa volonté, ou les aurait supprimés, ce que je désirerais plus que jamais aujourd’hui. ». Il exprime le regret de ne pas avoir pu trouver quelqu’un pour racheter les actions et empêcher la publication immédiate de son œuvre.
Son dernier ouvrage, la Vie de Rancé, une biographie du réformateur de la Trappe, est une « commande » de son confesseur publiée en 1844. Dans cette biographie, il égratigne Paul-Louis Courier, le pamphlétaire qui avait critiqué le régime de la Restauration qu’il avait soutenu.
Le 11 février 1847, Céleste décède. Chateaubriand lui exprime une « tendre et éternelle reconnaissance », soulignant son attachement profond et sincère, ayant rendu sa vie « plus grave, plus noble, plus honorable » en lui inspirant le respect des devoirs. Victor Hugo décrit la fin de vie de Chateaubriand et de Madame Récamier : « M. de Chateaubriand, au commencement de 1847, était paralytique ; Mme Récamier était aveugle. Tous les jours, à trois heures, on portait M. de Chateaubriand près du lit de Mme Récamier. […] La femme qui ne voyait plus cherchait l’homme qui ne sentait plus ».
Chateaubriand meurt au 120 rue du Bac, à Paris, le 4 juillet 1848, à l’âge de 79 ans, peu après la Révolution française de 1848. Ses restes sont transportés à Saint-Malo et déposés, selon son vœu, sur le rocher du Grand Bé, face à la mer, un îlot accessible à pied depuis sa ville natale à marée basse.
L’Héritage Littéraire et Politique : Le « Père du Romantisme » et ses Contradictions Éclairées 💡
Charles de Gaulle, en 1969, affirmait que Chateaubriand portait « jusqu’à la cime la gloire émouvante de nos lettres ». Par son talent et ses excès, Chateaubriand est indéniablement considéré comme le père du romantisme en France.
Le « Vague des Passions » et l’Analyse du « Moi » 🎨💖
Ses descriptions novatrices de la nature et son analyse approfondie des sentiments du « Moi » ont fait de lui un modèle pour la génération des écrivains romantiques. Il fut le premier à formuler le concept du « vague des passions », un lieu commun du romantisme, qu’il décrit dans le Génie du Christianisme : « Il reste à parler d’un état de l’âme, qui, ce nous semble, n’a pas encore été bien observé ; c’est celui qui précède le développement des grandes passions […]. Plus les peuples avancent en civilisation, plus cet état du vague des passions augmente […] ». Cette sensibilité douloureuse, illustrée à travers le personnage de René, connaîtra une importante postérité, se manifestant dans le « mal du siècle » de Musset ou le « spleen » de Baudelaire.
Les Idées Politiques de Chateaubriand : Un Labyrinthe de Convictions 🤔
La vie politique de Chateaubriand est marquée par une quête constante d’un rôle majeur dans l’État, un désir « âprement poursuivi ». Pourtant, ses choix et actions politiques semblent offrir de nombreuses contradictions, gommées dans ses Mémoires d’outre-tombe, le dépeignant comme « individualiste, inconstant, capricieux » et « plus épris de posture que de responsabilités ».
Chateaubriand se décrivait lui-même avec une formule célèbre : « républicain par nature, monarchiste par raison, et bourbonniste par honneur« . Cette triple identité résume bien la complexité de sa pensée. Il se voulait à la fois l’ami de la royauté légitime et de la liberté, défendant alternativement celle des deux qui lui semblait être en péril.
- Fils des Lumières, il fut d’abord ouvert aux débuts de la Révolution, avant d’être rejeté dans le camp contre-révolutionnaire par la Terreur. Son Essai sur les révolutions (1797) est une preuve de ses idées « révolutionnaires et irréligieuses très accentuées » de jeunesse.
- Revenu des illusions de la Révolution, il devient le plus libéral des contre-révolutionnaires.
- Sous le Consulat, il s’engage sur une ligne conservatrice, hostile aux révolutionnaires et aux tenants des Lumières (Le Génie du christianisme), offrant ses services au Premier Consul, avant de rompre avec Bonaparte après l’exécution du Duc d’Enghien en 1804.
- Il rachète le Mercure de France en 1807 pour en faire un organe de l’opposition royaliste à Napoléon, se voyant comme un écrivain investi d’un « rôle politique et social majeur qui ne peut s’exercer que dans la liberté ».
- En 1814 et 1815, il est un royaliste fervent, contribuant à la restauration des Bourbons (De Buonaparte et des Bourbons) et suivant la monarchie à Gand. Il pousse la Restauration hors des voies modérées souhaitées par Louis XVIII, se montrant polémiste dans le Conservateur.
- Après sa disgrâce comme ministre des Affaires étrangères en 1824, il se place à la tête de l’opposition royaliste sous Charles X, attaquant Villèle.
- De 1824 à 1830, il se présente comme un « héros du libéralisme », défendant ardemment la liberté de la presse. Cette période le voit s’affirmer comme « l’homme de la Restauration possible, de la Restauration avec toutes les sortes de libertés ».
- En se ralliant à l’opposition libérale avant 1830, ce monarchiste a paradoxalement contribué à faire tomber la monarchie des Bourbons.
- Après la chute de la monarchie légitime en 1830, il proclame sa fidélité à la légitimité et refuse de se rallier à la « monarchie bâtarde » de Louis-Philippe, considérant Henri V comme son souverain légitime.
La dualité entre le Chateaubriand personnel (exaltant ses sentiments avec lyrisme romantique) et le Chateaubriand public (mémorialiste et chroniqueur de son époque) est manifeste dans les Mémoires d’outre-tombe. Sa vie politique fut profondément influencée par ses sentiments personnels et sa solitude. Il s’opposait à l’avènement de la démocratie, estimant que la France n’était pas encore mûre.
Malgré ces revirements apparents, il était considéré comme un esprit droit dans ses jugements, un royaliste qui n’avait guère d’illusions sur les Bourbons et qui se montra clairvoyant sur l’évolution de son époque. Il prédisait une « révolution générale » où les nations se « nivelleront dans une égale liberté… ou dans un égal despotisme ». Il aimait la liberté mais la pensait incompatible avec le nivellement égalitaire et le règne de l’argent, la jugeant inséparable des institutions de l’Ancien Régime, tout en sachant que l’histoire ne revient pas en arrière.
Œuvres Majeures de Chateaubriand 📚
Chateaubriand a laissé une œuvre colossale et influente :
- Essai sur les révolutions (1797) : Son premier ouvrage, marquant son entrée en littérature.
- Atala (1801) et René (1802) : Fictions illustrant une esthétique originale, pionnières du romantisme.
- Le Génie du christianisme (1802) : Ouvrage apologétique majeur, marquant le retour du religieux et célébrant la beauté du christianisme.
- Les Martyrs (1809) : Épopée chrétienne en prose, fruit de son voyage en Orient.
- Itinéraire de Paris à Jérusalem (1811) : Récit de voyage influent.
- De Buonaparte et des Bourbons (1814) : Pamphlet politique décisif.
- De la Monarchie selon la charte (1816) : Essai politique qui lui valut une disgrâce.
- Les Natchez (1826) : Vaste cycle romanesque, inspiré de son voyage en Amérique.
- Voyages en Amérique et en Italie (1827) : Récit de voyage.
- Études historiques (1831) : Résumé d’histoire universelle.
- Vie de Rancé (1844) : Biographie commandée par son confesseur.
- Mémoires d’outre-tombe (publiés à titre posthume dès 1849) : Chef-d’œuvre autobiographique et témoignage historique de premier plan, considéré comme son œuvre majeure.
Postérité et Jugements Critiques 🗣️
La figure politique de Chateaubriand a suscité des jugements contrastés. Charles Maurras, en 1898, porta un jugement sévère sur son engagement politique, y voyant l’influence néfaste de son « âme romantique ». Il le dépeint comme un « oiseau rapace et solitaire, amateur de charniers », n’ayant jamais cherché dans le passé que le passé lui-même, et la mort comme mort. Jacques Bainville rejoignit Maurras dans cette condamnation.
À l’inverse, Emmanuel Beau de Loménie, en 1929, soutint dans sa thèse que Chateaubriand, légitimiste et catholique, s’était consacré à dénoncer la « faute que commettaient […] les Bourbons rétablis sur le trône, en se confiant […] à l’équipe des hommes que leur origine et leur formation destinaient à fournir les cadres des doctrinaires du libéralisme ». Cette interprétation déclencha une controverse avec Maurras.
Finalement, Chateaubriand, homme de lettres et homme d’État, demeure une figure dont la complexité et les apparentes contradictions ne font qu’accroître la richesse. Son œuvre, en particulier les Mémoires d’outre-tombe, offre une perspective unique sur une époque de profonds bouleversements, tout en explorant les méandres de l’âme humaine avec une sensibilité préromantique. Ses prises de position, parfois fluctuantes, témoignent d’une conscience aiguë des enjeux de son temps, le plaçant au panthéon des grands esprits français, dont l’influence perdure encore aujourd’hui.