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Magellan: Nouvelle traduction intégrale Poche – 12 juin 2024 de Stefan Zweig

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Le Premier Tour du Monde : L’Épopée de Magellan et Elcano 🌍

La circumnavigation de Magellan-Elcano représente un jalon inégalé dans l’histoire de l’humanité, marquant le tout premier voyage autour du monde. Cette expédition espagnole, initiée en 1519, avait pour objectif audacieux de trouver une route maritime occidentale vers les riches îles aux épices d’Asie de l’Est. Elle fut lancée sous le commandement de l’explorateur portugais Fernand de Magellan, mais c’est l’Espagnol Juan Sebastián Elcano qui la mena à son terme après la mort tragique de Magellan. Ce récit est une fascinante saga de découverte, de persévérance, de mutineries et de sacrifices, qui a remodelé la compréhension européenne du monde.

Contexte Historique et la Quête des Épices 🌶️

Au début du XVIe siècle, l’Europe était prise dans une frénésie d’exploration, motivée en grande partie par la recherche de routes commerciales vers l’Orient. Les richesses de l’Asie, notamment les épices comme le clou de girofle et la cannelle, étaient d’une importance économique capitale.

L’Héritage de Christophe Colomb et le Traité de Tordesillas

Le voyage de Christophe Colomb vers l’ouest (1492-1503) avait pour ambition d’atteindre les Indes et d’établir une liaison directe entre l’Espagne et les royaumes asiatiques. Cependant, les Espagnols comprirent rapidement que l’Amérique n’était pas l’Asie, mais un continent distinct. Cette découverte, couplée au succès de Vasco de Gama qui contourna l’Afrique en 1498 pour atteindre les Indes, intensifia la compétition maritime entre les puissances ibériques.

Le Traité de Tordesillas de 1494 avait déjà divisé le monde en deux zones d’influence, attribuant au Portugal les terres orientales et à l’Espagne les terres occidentales. Ainsi, pour la Castille (l’Espagne), trouver une nouvelle route commerciale vers l’Asie par l’ouest, sans empiéter sur les territoires portugais, devint une nécessité urgente. Des explorateurs comme Vasco Núñez de Balboa, qui atteignit l’océan Pacifique en traversant l’isthme de Panama en 1513, et Juan Díaz de Solís, qui mourut en explorant le Río de la Plata en 1516, avaient déjà tenté de percer ce mystère géographique.

La Vision de Magellan ✨

Fernand de Magellan, marin portugais expérimenté avec des antécédents militaires en Inde, à Malacca et au Maroc, nourrissait une ambition particulière : atteindre les Moluques, les légendaires îles aux épices. Cette aspiration fut renforcée par une correspondance avec son ami, Francisco Serrão, qui avait atteint les Moluques en 1511, s’y était établi et en vantait les beautés et la richesse.

Magellan avait sollicité le roi Manuel Ier du Portugal à plusieurs reprises pour financer son expédition vers les Moluques, mais ses demandes furent rejetées. Frustré par le refus du roi d’augmenter sa solde, Magellan fut autorisé à offrir ses services à une autre couronne vers la fin de 1515 ou début 1516. Il rencontra alors Rui Faleiro, un cosmographe portugais partageant son ressentiment envers Manuel Ier. Ensemble, ils conçurent le plan d’une expédition occidentale vers les Moluques, qu’ils proposèrent au roi d’Espagne. Magellan s’installa à Séville en 1517, Faleiro le rejoignant peu après.

La Préparation de l’Armada del Maluco 🏗️

Arrivé à Séville, Magellan, avec l’aide de Juan de Aranda de la Casa de Contratación, et son partenaire Rui Faleiro, présenta son projet au roi Charles de Castille et Aragon, le futur Empereur Charles Quint. L’idée était de concrétiser le plan original de Christophe Colomb d’accéder aux Moluques par l’Ouest, tout en respectant les accords avec le Portugal. Ce projet reçut le soutien royal, et le 22 mars 1518, le roi nomma Magellan et Faleiro capitaines, les élevant au rang de Commandeurs de l’Ordre de Santiago.

L’Accord Royal et les Privilèges

L’accord conclu avec le roi garantissait aux explorateurs des privilèges substantiels, reflétant l’importance stratégique de l’entreprise:

Le monopole de la route découverte pendant dix ans.
Des appointements comme gouverneurs (adelantado) des terres et îles découvertes, avec 5% des gains nets transmissibles par héritage.
Un cinquième des gains de l’expédition.
Le droit de ramener annuellement des Moluques des biens d’une valeur de 1 000 ducats exemptés de taxes.
En cas de découverte de plus de six îles, un quinzième des gains du commerce de deux îles de leur choix, et un vingt-cinquième des gains des autres.

Financement et Défis Initiaux 💰

L’expédition fut principalement financée par la Couronne espagnole, qui fournit les navires et les approvisionnements pour deux ans. Cependant, Charles Quint, lourdement endetté, sollicita l’aide de la famille Fugger. Le marchand Cristóbal de Haro participa également au financement, couvrant un quart du coût de la flotte et de l’approvisionnement.

La préparation ne fut pas sans embûches:

Un manque d’argent persistant.
Des tentatives du roi du Portugal pour contrecarrer l’expédition.
Une méfiance généralisée des Espagnols envers Magellan et les autres Portugais de l’équipage.
Le caractère difficile de Rui Faleiro.

Des cartographes experts comme Jorge Reinel et Diego Ribero contribuèrent à la conception des cartes.

La Constitution et l’Approvisionnement de la Flotte 🚢

L’Armada del Maluco, composée de cinq navires principalement de couleur noire (en raison de leur couverture de goudron), transportait des approvisionnements pour deux ans. Le budget officiel s’élevait à 8 751 125 maravedis.

La nourriture représentait la part la plus importante des dépenses, coûtant 1 252 909 maravedis, presque autant que le prix des bateaux. Les quatre cinquièmes de la nourriture étaient constitués de vin et de biscuits de mer. D’autres provisions incluaient de la farine, de la viande salée, des animaux vivants (sept vaches, trois porcs), du fromage, des amandes, de la moutarde, des figues, et de la Carne de membrillo (pâte de coing). Cette dernière, appréciée des capitaines, aurait involontairement protégé certains du scorbut grâce à sa teneur en vitamine C.

Les Navires de l’Expédition ⚓

La flotte initiale comprenait cinq carraques (ou « nao »):

Trinidad (110 tonnes): Navire amiral de Fernand de Magellan (62 hommes), détruit aux Moluques en décembre 1521.
San Antonio (120 tonnes): Commandé par Juan de Cartagena (55 hommes), déserta dans le détroit de Magellan en novembre 1520 et retourna en Espagne en mai 1521.
Concepción (90 tonnes): Sous Gaspar de Quesada (44 hommes), sabordé aux Philippines en mai 1521.
Victoria (85 tonnes): Commandé par Luis de Mendoza (45 hommes), puis par Juan Sebastián Elcano. C’est le seul navire qui acheva la circumnavigation, revenant en Espagne en septembre 1522.
Santiago (75 tonnes): Sous João Serrão (31 hommes), échoua lors d’une tempête sur le Río Santa Cruz en Argentine en mai 1520.

Les Équipages 🧑‍🤝‍🧑

Un total de 270 hommes composait les équipages. Malgré la méfiance espagnole envers Magellan, la flotte comprenait 31 Portugais, dont le beau-frère de Magellan, Duarte Barbosa, et son esclave Henrique de Malacca. Les Espagnols, au nombre de 139, venaient de diverses régions comme la Castille et le Pays basque. Parmi eux, au moins 29 Basques, dont Juan Sebastián Elcano, qui cherchait le pardon du roi pour des « maladresses » passées. L’équipage était aussi international, avec 26 Italiens (dont le chroniqueur Antonio Pigafetta), 19 Français, 9 Grecs, et d’autres nationalités. Pigafetta, un intellectuel vénitien, devint un assistant proche de Magellan et tint un journal précieux.

Rui Faleiro, initialement co-capitaine, fut écarté en raison d’une instabilité mentale et remplacé par Juan de Cartagena et Andrés de San Martín. Cartagena, qui était l’inspecteur général de l’expédition, chargé des opérations financières et commerciales, allait jouer un rôle controversé.

La Traversée de l’Océan Atlantique : Premières Épreuves ⛈️

Le 10 août 1519, les cinq navires de Magellan quittèrent Séville, descendant le Guadalquivir jusqu’à Sanlúcar de Barrameda, où ils restèrent cinq semaines. Le grand départ pour l’océan eut lieu le 20 septembre 1519.

L’Escale aux Canaries et les Premiers Doutes

Le 26 septembre, la flotte atteignit Tenerife aux îles Canaries, pour s’approvisionner en légumes frais et en poix, moins chère qu’en Espagne. C’est là que Magellan reçut un avertissement de son beau-père, Duarte Barbosa, concernant une mutinerie fomentée par les capitaines castillans, avec Juan de Cartagena comme meneur. Magellan apprit également que le roi du Portugal avait dépêché deux flottes de caravelles pour l’intercepter.

Le 3 octobre, la flotte quitta les Canaries, naviguant le long de la côte africaine. Ce choix d’itinéraire de Magellan, visant à éviter les Portugais, provoqua des désaccords, Cartagena souhaitant une route plus occidentale. Vers la fin octobre, l’Armada approcha l’équateur, subissant une série de tempêtes violentes. Pigafetta, dans son journal, décrivit l’apparition des feux de Saint Elme, un phénomène lumineux perçu comme un bon présage par l’équipage terrifié. Après deux semaines de tempêtes, la flotte fut bloquée dans des zones calmes avant d’être emportée par le courant équatorial sud.

Procès et Tentative de Mutinerie ⚖️

Durant la traversée, un incident grave eut lieu : le maître d’équipage du Victoria, Antonio Salamón, fut surpris en acte de sodomie avec un mousse. À l’époque, l’homosexualité était passible de mort en Espagne. Magellan tint un procès et Salamón fut condamné à mort par strangulation, exécuté le 20 décembre.

Cet épisode fut suivi par une remise en question du commandement de Magellan par ses capitaines. Cartagena l’accusa de mettre en péril les navires du roi par son choix d’itinéraire et déclara qu’il ne suivrait plus ses ordres. Magellan réagit fermement, qualifiant le comportement de Cartagena de mutinerie et le faisant arrêter. Bien qu’il aurait pu le juger, Magellan, à la demande de Quesada et Mendoza, se contenta de le relever de son commandement du San Antonio, l’assignant à la Victoria. Antonio de Coca le remplaça à la tête du San Antonio.

Le Contournement de l’Amérique du Sud : Entre Espoir et Désillusion 🏞️

Le 29 novembre, la flotte atteignit la latitude approximative du Cap Saint Augustin au Brésil. Le Brésil, connu des Espagnols et des Portugais depuis 1500, était une source de bois de brésil. La flotte disposait d’une carte de la côte et d’un pilote, João Lopes Carvalho, qui avait déjà visité Rio de Janeiro et parlait quelques rudiments de guarani, facilitant la communication avec les autochtones.

L’Arrivée à Rio de Janeiro 🌴

Le 13 décembre, la flotte accosta à Rio de Janeiro. Bien que portugaise, la zone n’avait pas d’établissement permanent, garantissant un arrêt sécurisé. Pigafetta nota une coïncidence météorologique favorable : il n’avait pas plu depuis deux mois avant leur arrivée, et la pluie commença le jour de leur accostage, ce qui fit croire aux indigènes que les Espagnols étaient des envoyés du Ciel, facilitant leur conversion.

La flotte resta 13 jours à Rio, effectuant des réparations, s’approvisionnant en eau et nourriture (ignames, cassaves, ananas) et échangeant des biens (miroirs, peignes, couteaux) avec les locaux contre de la nourriture et des plumes de perroquet. Le séjour fut décrit comme des « Saturnales de fête et d’amour ». Le 27 décembre, la flotte quitta Rio, les indigènes, troublés, tentant de les suivre.

La Recherche du Détroit et la Mutinerie de Pâques 🧭

Naviguant vers le sud, la flotte cherchait désespérément « el paso », le détroit légendaire vers les Moluques. Le 11 janvier, ils crurent l’avoir trouvé en atteignant une large étendue d’eau, le Río de la Plata. Magellan envoya le Santiago l’explorer, tandis que les autres navires cherchaient la mythique Terra Australis. Le Santiago confirma que ce n’était qu’une embouchure de fleuve, ce que Magellan, incrédule, finit par constater lui-même en naviguant en eau douce.

La flotte continua vers le sud à partir du 3 février, au plus près de la côte pour ne pas manquer un passage, risquant les échouages. Après huit semaines sans succès, et face à la détérioration des conditions météorologiques avec l’arrivée de l’hiver austral, Magellan décida d’hiverner. Le 31 mars 1520, ils trouvèrent un port naturel qu’ils appelèrent Puerto San Julián, où ils restèrent cinq mois.

La Mutinerie de San Julián (1er avril 1520) ⚔️

Le lendemain de leur arrivée à San Julián, une seconde tentative de mutinerie, plus organisée, éclata. Elle était menée à nouveau par Juan de Cartagena, épaulé par Gaspar de Quesada et Luis de Mendoza, capitaines de la Concepción et de la Victoria. Les mutins, leurs visages couverts de suie, s’emparèrent du San Antonio en tendant une embuscade à Álvaro de Mezquita, le nouveau capitaine et cousin de Magellan. Juan de Elorriaga, le maître d’équipage, fut poignardé par Quesada en tentant d’alerter les autres navires.

Avec trois navires sous leur contrôle (San Antonio, Concepción, Victoria), les mutins ne purent cependant prendre le Santiago (loyal à Magellan) et le navire amiral Trinidad. Magellan réagit avec une contre-offensive audacieuse. Son alguacil, Gonzalo de Espinosa, fut envoyé à bord de la Victoria sous prétexte de remettre une lettre confidentielle au capitaine Mendoza, qu’il poignarda à la gorge. Des marins déguisés prirent ensuite d’assaut le navire.

Avec la Victoria perdue et Mendoza tué, les mutins se rendirent. Cartagena implora Magellan, tandis que Quesada tenta de fuir mais fut capturé.

Le Procès et les Conséquences ⛓️

Le procès des mutins, mené par Álvaro de Mezquita, dura cinq jours. Le 7 avril, Quesada fut décapité par son frère adoptif Luis Molina, qui obtint ainsi la clémence. Les corps de Quesada et Mendoza furent « traînés et mis en quarts » et exposés pendant trois mois. San Martín fut torturé mais put continuer à officier. Cartagena et un prêtre, Pedro Sanchez de Reina, furent condamnés à être abandonnés (« mis en maronnage ») sur une petite île le 11 août.

Plus de quarante autres conspirateurs, dont Juan Sebastián Elcano, furent enchaînés une partie de l’hiver et contraints aux travaux forcés, notamment le carénage des navires.

La Perte du Santiago 💔

Fin avril, Magellan envoya le Santiago explorer le sud à la recherche du détroit. Le 3 mai, le navire atteignit l’estuaire du Río Santa Cruz, offrant un bon abri et des ressources. Cependant, le 22 mai, alors qu’il tentait de retourner à San Julián, le Santiago fut pris dans une violente tempête et s’échoua sur un banc de sable. L’équipage put se réfugier sur la côte, mais le navire fut perdu. Deux hommes parvinrent à pied à San Julián pour alerter Magellan, qui envoya une équipe de secours. Les 35 survivants furent retrouvés épuisés mais vivants à Santa Cruz.

Magellan décida de déplacer la flotte à Santa Cruz pour le reste de l’hiver, y passant six semaines avant de reprendre la recherche du détroit.

La Découverte du Détroit de Magellan 🥳

Le 18 octobre, la flotte quitta Santa Cruz. Le 21 octobre, ils aperçurent un cap à 52°S de latitude, qu’ils nommèrent Cap des Vierges. Au-delà du cap, une large baie s’ouvrait. La Concepción et le San Antonio furent poussés par une tempête dans un passage étroit, non visible depuis la mer, qui s’enfonçait dans les terres. Lorsque la flotte se réunit trois jours plus tard, les équipages rapportèrent leur découverte. Cette fois, l’eau ne perdait pas sa salinité et les sondages indiquaient une profondeur importante, confirmant que c’était bien le passage tant recherché.

Magellan le baptisa Estrecho de Todos los Santos (« détroit de la Toussaint ») car ils y arrivèrent le 1er novembre, jour de la Toussaint. Ce passage serait plus tard connu sous le nom de Détroit de Magellan.

Le 28 octobre, la flotte atteignit l’île Isabelle dans le détroit. Magellan divisa sa flotte pour explorer les deux côtés, avec un point de rendez-vous quelques jours plus tard. Cependant, le San Antonio, sous le commandement mutin d’Estêvão Gomes, les quitta pour toujours. Pendant que les trois navires restants attendaient le San Antonio, Gonzalo de Espinosa explora davantage le détroit en chaloupe et atteignit l’océan Pacifique. À cette nouvelle, Magellan pleura de joie. Les trois navires restants entrèrent dans le Pacifique le 28 novembre, après avoir cherché en vain le San Antonio. Magellan nomma cet océan Mar Pacifico pour son calme apparent.

La Désertion du San Antonio et ses Répercussions 😠

Le San Antonio, après avoir échoué à retrouver la flotte de Magellan, décida de retourner en Espagne. Le pilote du navire, Estêvão Gomes, mena une nouvelle mutinerie contre Álvaro de Mezquita, le cousin loyal de Magellan, le poignardant et l’enchaînant. Gomes était connu pour son animosité envers Magellan, espérant diriger sa propre expédition aux Moluques. Il s’était disputé avec Magellan peu avant la séparation, estimant qu’il fallait retourner en Espagne pour se réapprovisionner plutôt que de poursuivre vers les Moluques.

Le San Antonio arriva à Séville environ six mois plus tard, le 8 mai 1521, avec 55 survivants. Un procès de six mois s’ensuivit, où les membres d’équipage mutins témoignèrent à tort d’un Magellan tyrannique, accusant de tortures et prétendant avoir voulu respecter les ordres du roi. Mezquita fut le seul loyal, mais fut emprisonné pendant un an. La réputation de Magellan en fut ternie, et sa femme Beatriz, ainsi que son fils, furent privés de ressources financières et assignés à résidence.

La Traversée Dévastatrice de l’Océan Pacifique 🌊

Magellan et les géographes de l’époque sous-estimaient l’immensité de l’océan Pacifique. Il pensait que l’Amérique du Sud n’était séparée des Moluques que par une petite mer, qu’il espérait traverser en trois ou quatre jours. La réalité fut tout autre : il leur fallut trois mois et vingt jours en mer pour atteindre Guam puis les Philippines.

Conditions de Voyage Extrêmes 😫

La flotte entra dans le Pacifique le 20 novembre 1520, naviguant initialement vers le nord le long de la côte chilienne, puis mettant le cap ouest-nord-ouest à la mi-décembre. Ils manquèrent de chance, passant à côté de nombreuses îles habitées comme les îles Marshall ou les Marquises, qui auraient pu leur fournir de l’eau et de la nourriture. Ils ne rencontrèrent que deux petites îles inhabitées, qu’ils baptisèrent islas Infortunadas, la première étant probablement Puka-Puka (aperçue le 24 janvier) et la seconde l’île du Millénaire (aperçue le 21 février). Ils traversèrent l’équateur le 13 février.

Les navires manquaient cruellement de nourriture et d’eau. Pigafetta décrivit des conditions déplorables :

Des biscuits vieux, réduits en poudre, remplis de vers et sentant les excréments de rats.
De l’eau jaune et puante.
Ils furent contraints de manger le cuir de bœuf servant sous le pont, qu’ils faisaient tremper dans la mer puis griller, ainsi que de la sciure de bois et des rats vendus à prix d’or.

De plus, la plupart des hommes souffraient du scorbut, dont la cause était alors inconnue. Sur les 166 hommes qui commencèrent la traversée du Pacifique, 19 moururent et « vingt-cinq ou trente tombèrent malades ». Magellan, Pigafetta et les officiers furent épargnés, sans doute parce qu’ils mangeaient des coings, leur fournissant ainsi de la vitamine C.

De Guam aux Philippines : Conversion et Tragédie 🇵🇭

Le 6 mars 1521, la flotte atteignit les îles Mariannes, jetant l’ancre à Guam. Ils y rencontrèrent le peuple Chamorro et leurs pirogues à balancier inconnues des Européens. Des Chamorros montèrent à bord et volèrent divers objets en fer, provoquant une confrontation où au moins l’un d’eux fut tué. Magellan nomma l’île Isla de los Ladrones (île des Voleurs). Le lendemain, Magellan mena des représailles, incendiant des maisons et tuant sept hommes, avant de quitter Guam le 9 mars.

L’Arrivée aux Philippines et la Conversion 🤝

La flotte atteignit les Philippines le 16 mars, marquant la première rencontre connue des Européens avec cet archipel. Magellan, au-delà de l’objectif commercial, montra un zèle intense pour la conversion des populations locales au christianisme.

Ils accostèrent d’abord sur l’île inhabitée de Homonhon, puis rencontrèrent des populations accueillantes sur l’île voisine de Suluan. Après près de deux semaines à Homonhon pour se ravitailler, ils quittèrent le 27 mars . Le 28 mars, ils rencontrèrent des locaux à Limasawa. Pour la première fois de l’expédition, l’esclave de Magellan, Henrique de Malacca, put communiquer avec les indigènes en malais, signe qu’ils approchaient de terres connues et qu’il avait de fait « circumnavigué ». Ils échangèrent des cadeaux avec les dirigeants locaux, Rajah Kolambu et Rajah Siawi, et Magellan fit un pacte de sang avec Kolambu.

Les Rajahs portaient des parures en or et servaient la nourriture sur des plats en or, indiquant l’abondance du métal. Magellan fit une démonstration des armures, armes et artillerie espagnoles, impressionnant grandement les locaux.

Le dimanche de Pâques, 31 mars, Magellan et cinquante de ses hommes participèrent à la première messe catholique aux Philippines à Limasawa. Après la messe, une grande croix chrétienne fut érigée, et l’île et l’archipel furent formellement déclarés possession de la Couronne d’Espagne, sous le nom d’îles de Saint Lazare.

Cebu et la Bataille de Mactan 💔

Le 2 avril, Magellan, malgré l’insistance de ses officiers à aller directement aux Moluques, décida de continuer son chemin dans les Philippines. Le 3 avril, guidé par les hommes de Kolambu, il se dirigea vers Cebu, qu’il atteignit le 7 avril. Cebu était un centre commercial avec des contacts chinois et arabes, où Magellan réussit à convaincre le dirigeant, Rajah Humabon, d’abandonner l’exigence de tribut pour le commerce.

Magellan continua son prosélytisme chrétien, et le 14 avril, Humabon et sa famille furent baptisés, recevant une image de l’Enfant Jésus (Santo Niño de Cebu). Au total, 2 200 indigènes de Cebu et des environs se firent baptiser.

Cependant, un groupe d’indigènes de l’île de Mactan, dirigé par le chef Lapu-Lapu, résista à la conversion. Magellan ordonna de brûler leurs maisons, et face à leur persistance, décida d’envoyer une expédition punitive le 26 avril.

La Mort de Magellan (27 avril 1521) 💀

Magellan, avec 49 de ses hommes (11 gardant les bateaux), se confronta aux forces de Lapu-Lapu, estimées par Pigafetta à environ 1500 guerriers. Malgré leurs armures et leurs armes modernes, les Espagnols furent submergés et défaits. Fernand de Magellan mourut dans la bataille, ainsi que plusieurs de ses hommes, dont son fils illégitime Cristóvão Rebelo. Les guerriers Cebuano qui avaient suivi Magellan reçurent l’instruction de ne pas prendre part au combat.

Le Massacre du 1er Mai et la Destruction de la Concepción 🔥

Après la mort de Magellan, Duarte Barbosa (son beau-frère) et Juan Serrano furent élus co-commandants. Contre la volonté de Magellan, ils refusèrent de libérer son esclave Henrique de Malacca, le forçant à servir d’interprète. En représailles, Henrique conspira avec Humabon pour trahir les Espagnols.

Le 1er mai, Humabon invita les hommes à un festin à terre. Une trentaine d’officiers, dont Barbosa et Serrano, s’y rendirent. Durant le repas, des Cebuanos armés les massacrèrent. Vingt-sept hommes furent tués. Juan Serrano fut laissé en vie sur le rivage, espérant une rançon, mais les navires espagnols prirent le large. Pigafetta suggéra que João Carvalho, qui prit alors le commandement, abandonna Serrano pour s’assurer la tête de la flotte.

Avec seulement 115 survivants sur les 277 marins partis de Séville, il fut jugé que la flotte n’avait pas assez d’hommes pour manœuvrer trois navires. Le 2 mai, la Concepción fut vidée et incendiée.

Vers les Moluques et le Retour Triomphal de la Victoria ⛵

Sous le nouveau commandement de João Carvalho, les deux navires restants, la Victoria et la Trinidad, passèrent six mois à errer en Asie du Sud-Est, recherchant les Moluques. Ils s’arrêtèrent notamment à Mindanao et Brunei, se livrant à des actes de piraterie.

Changement de Commandement et la Rencontre avec la Flotte de Brunei 🤝

Le 21 septembre, Carvalho fut destitué. Martin Mendez fut nommé capitaine-général, avec Gonzalo de Espinosa à la tête de la Trinidad et Juan Sebastián Elcano à la tête de la Victoria.

Le journal d’Aganduru Moriz décrit comment l’équipage d’Elcano fut attaqué au sud-est de Bornéo par une flotte de Brunei commandée par un natif de Luzon. Les historiens pensent que ce commandant était le jeune prince Ache de Maynila (Manille), petit-fils du sultan de Brunei. Elcano réussit à vaincre et capturer Ache. Ache fut libéré contre rançon, mais laissa à Elcano un de ses hommes parlant espagnol, nommé Pazeculan, pour l’aider dans son retour. Cette connaissance de l’espagnol en Asie du Sud-Est est attribuée à l’émigration de musulmans hispanophones après la conquête de Grenade.

L’Arrivée aux Moluques et la Séparation de la Flotte 🗺️

Les navires atteignirent finalement les Moluques le 8 novembre, accostant sur l’île de Tidore. Ils furent chaleureusement accueillis par le dirigeant local, Al-Mansur (Almanzor), qui proclama son allégeance au roi d’Espagne. Un comptoir commercial fut établi, et de grandes quantités de clous de girofle furent rapidement échangées contre des vêtements, des couteaux et du verre.

Vers le 15 décembre, les navires tentèrent de quitter Tidore, chargés d’épices, mais la Trinidad, endommagée, prenait l’eau. Malgré les tentatives de réparation, il fut décidé que la Victoria prendrait la mer seule vers l’ouest, pour rejoindre l’Espagne via l’océan Indien, tandis que la Trinidad resterait pour être réparée et tenterait de rentrer par l’est, via le continent américain. La tentative de la Trinidad échoua : elle fut capturée par les Portugais et s’échoua lors d’une tempête.

Le Retour Épique de la Victoria triumphant 🇪🇸

La Victoria, sous le commandement de Juan Sebastián Elcano, quitta Tidore le 21 décembre 1521, naviguant vers l’océan Indien. Le 6 mai 1522, avec du riz pour seule alimentation, elle franchit le Cap de Bonne-Espérance. Vingt hommes moururent de faim avant d’atteindre le Cap Vert portugais pour se ravitailler. Là, l’équipage fut stupéfait de découvrir que la date était le 10 juillet 1522, soit un jour de plus que ce qu’ils avaient méticuleusement calculé. Ce décalage temporel fut la première preuve empirique de la rotation de la Terre et de la nécessité d’une ligne de changement de date.

Les Portugais du Cap Vert, découvrant que la Victoria transportait des épices des Indes orientales, emprisonnèrent treize hommes. Cependant, la Victoria réussit à s’échapper avec sa précieuse cargaison de 26 tonnes d’épices (clous de girofle et cannelle).

Le 6 septembre 1522, Elcano et les survivants de l’expédition de Magellan arrivèrent à Sanlúcar de Barrameda à bord de la Victoria, exactement trois ans après leur départ. Ils remontèrent ensuite le fleuve jusqu’à Séville, puis se présentèrent à l’Empereur à Valladolid.

Les Survivants de l’Incroyable Odyssée 🫂

Quand la Victoria, seul navire rescapé de la flotte, retourna à son point de départ, seuls 18 hommes sur les 270 ayant quitté Séville en 1519 étaient à bord. À ces 18 hommes s’ajoutaient 3 indigènes des Moluques, embarqués à Tidore.

Parmi les 18 hommes qui firent le tour du monde, figurent des noms devenus légendaires:

Juan Sebastián Elcano (Getaria), Capitaine du navire
Francisco Albo (Chios), Pilote
Miguel de Rodas (Rhodes), Maître de bord
Juan de Acurio (Bermeo), Maître d’équipage
Martín de Judicibus (Savone), Marin
Hernándo de Bustamante (Mérida), Barbier
Antonio Pigafetta (Vicence), Chroniqueur
Hans van Aachen (Aix-la-Chapelle), Artilleur
Diego Gallego (Baiona), Marin
Antonio Hernández Colmenero (Huelva), Marin
Nícolas de Napolés (Nauplie), Marin
Francisco Rodríguez (Séville), Marin
Juan Rodríguez de Huelva (Huelva), Marin
Miguel de Rodas (Rhodes), Marin
Juan de Arratía (Bilbao), Mousse
Juan de Santander (Cueto, Cantabrie), Mousse
Vasco Gómez Gallego (Baiona), Mousse
Juan de Zubileta (Barakaldo), Page

Analyse et Héritage de la Circumnavigation 🌟

Le voyage de Magellan-Elcano est plus qu’une simple expédition maritime ; c’est une épopée qui a profondément marqué l’histoire de la géographie, de la navigation et de la compréhension du monde.

La Vision de Magellan et la Contribution d’Elcano

Fernand de Magellan était un visionnaire, dont la détermination à trouver une route occidentale vers les Moluques était inébranlable. Ses prouesses nautiques furent extraordinaires, notamment la découverte du détroit qui porte son nom, un passage extrêmement dangereux. Cependant, Magellan a également commis des erreurs stratégiques, sous-estimant la taille du Pacifique et s’immisçant dans les conflits locaux aux Philippines, ce qui lui coûta la vie.

Le rôle de Juan Sebastián Elcano est crucial. Après la mort de Magellan et le massacre du 1er mai, il a pris les rênes de l’expédition dans des circonstances désespérées, menant la Victoria à travers l’océan Indien et autour du Cap de Bonne-Espérance pour achever le premier tour du monde. Son leadership et sa résilience furent essentiels pour la survie des derniers hommes et le succès historique de l’entreprise. Elcano a transformé une expédition commerciale espagnole en une réussite sans précédent pour l’humanité.

L’Apport Inestimable de Pigafetta 📝

Le journal d’Antonio Pigafetta est une source primaire d’une valeur inestimable. Ses observations détaillées sur les cultures rencontrées, la faune et la flore, les événements quotidiens, les mutineries, et les conditions de vie à bord offrent un aperçu unique de l’expédition. Sans ses écrits, une grande partie de ce voyage serait restée inconnue ou imprécise. Il a notamment documenté l’apparition des feux de Saint Elme, les conditions atroces de la traversée du Pacifique, et la mort de Magellan à Mactan.

Conséquences et Impact Géopolitique et Scientifique 🌐

La circumnavigation a eu des conséquences profondes :

Confirmation de la sphéricité de la Terre et de l’étendue réelle des océans, en particulier le Pacifique, bien plus vaste que ce que les Européens imaginaient.
Avancées cartographiques significatives, bien que certaines erreurs persistassent, comme en témoigne le globe de Schöner.
Nouvelles routes commerciales potentielles pour l’Espagne, bien que la route occidentale vers les Moluques se soit avérée trop longue et dangereuse pour être économiquement viable à court terme.
Coût humain considérable : sur 270 hommes au départ, seulement 18 revinrent. Ce fut une expédition d’un sacrifice immense.
La découverte du décalage horaire à l’arrivée au Cap Vert fut une preuve tangible du voyage autour du globe et de la rotation terrestre.

L’expédition a également révélé la complexité des relations avec les populations autochtones, alternant entre échanges pacifiques, conversions religieuses forcées, et conflits violents. Elle a ouvert une nouvelle ère de mondialisation, où les différentes cultures et continents ont été mis en contact direct, parfois brutalement.

Repères Chronologiques Clés de l’Expédition 🗓️

10 août 1519 : Départ de Séville.
20 septembre 1519 : Départ de Sanlucar de Barrameda pour le large.
13 décembre 1519 : Arrivée dans la baie de Santa Lucia (Brésil).
12 janvier 1520 : Début d’exploration du Río de la Plata (Argentine).
31 mars 1520 : Arrivée à Puerto San Julián (Patagonie, Argentine).
1er avril 1520 : Mutinerie de San Julián.
3 mai 1520 : Naufrage du Santiago.
21 octobre 1520 : Découverte du Cap des Vierges, entrée du détroit.
vers le 8 novembre 1520 : Désertion du San Antonio qui rentre à Séville.
28 novembre 1520 : Entrée de la flotte dans l’océan Pacifique.
6 mars 1521 : Arrivée aux Mariannes (Guam).
7 avril 1521 : Arrivée à Cebu (Philippines).
27 avril 1521 : Mort de Magellan et de six autres hommes lors du combat contre les indigènes de Mactan.
2 mai 1521 : Destruction volontaire de la Concepción.
8 novembre 1521 : Arrivée aux Moluques sur l’île de Tidore du Trinidad et du Victoria.
21 décembre 1521 : Départ de la Victoria chargée de girofle pour l’Espagne.
19 mai 1522 : La Victoria passe le Cap de Bonne-Espérance.
6 septembre 1522 : La Victoria accoste à Sanlúcar de Barrameda, achevant la première circumnavigation.

En définitive, la circumnavigation de Magellan et Elcano est une histoire de courage et de ténacité qui a repoussé les limites de l’exploration humaine, inaugurant une nouvelle ère de la découverte du monde.