L’Attentat de Sarajevo : L’Étincelle qui Embrasa le Monde 🔥
L’histoire est souvent jalonnée d’événements qui, par leur nature dramatique et leurs répercussions inattendues, changent à jamais le cours du destin collectif. Parmi ceux-ci, l’attentat de Sarajevo, perpétré le dimanche 28 juin 1914, occupe une place prépondérante. Cet acte, qui vit l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l’Empire austro-hongrois, et de son épouse, Sophie Chotek, duchesse de Hohenberg, par le nationaliste serbe Gavrilo Princip, membre du groupe Jeune Bosnie, est universellement reconnu comme l’élément déclencheur de la Première Guerre mondiale. Ses conséquences furent cataclysmiques, menant à la défaite, à la chute et au démembrement d’empires séculaires, tels que les empires russe, austro-hongrois, allemand et ottoman. Mais comment un événement aussi circonscrit a-t-il pu provoquer un tel embrasement mondial ? Pour le comprendre, il est essentiel de plonger dans le contexte complexe des Balkans, souvent décrits comme une « poudrière », et d’analyser les circonstances de ce drame historique.
Les Racines Profondes du Conflit : Une Poudrière Balkanique ? 🤔
La notion de « poudrière » des Balkans, bien que popularisée par les médias de l’époque, doit être nuancée. Cependant, la région était sans conteste le théâtre de tensions géopolitiques intenses et d’ambitions nationalistes exacerbées.
Un Contexte Géopolitique Turbulent 🌍
La fin du XIXe siècle et le début du XXe furent marqués par une série d’insurrections dans les Balkans, notamment en Bosnie-Herzégovine, en Serbie et en Bulgarie, toutes dirigées contre l’Empire ottoman. Entre 1875 et 1878, cette instabilité embrasa la région, incitant la Russie à intervenir au nom du panslavisme, un mouvement visant à unir les peuples slaves. La victoire russe sur les Turcs aboutit au traité de Berlin, qui, entre autres dispositions, stipula l’occupation et l’administration des sandjaks turcs de Bosnie et d’Herzégovine par l’Empire austro-hongrois au nom du sultan. Dans ce même élan, la Serbie obtint son indépendance et, sous la dynastie des Obrenović, adopta initialement une politique pro-autrichienne.
La Montée des Tensions et le Nationalisme Serbe 📈
Le début du XXe siècle marqua un tournant dans les relations serbo-autrichiennes. En 1903, un coup d’État porta sur le trône de Serbie Pierre Karageorgevitch, un souverain dont la vision était résolument orientée vers l’expansionnisme serbe et une politique pro-russe. Dès lors, les relations entre la Serbie et l’Autriche-Hongrie ne cessèrent de se dégrader, sur fond de faiblesse croissante de l’Empire ottoman.
Un événement majeur accentua cette dégradation : l’annexion, en 1908, des deux sandjaks de Bosnie-Herzégovine par l’Autriche-Hongrie. Cette décision unilatérale provoqua de vives protestations diplomatiques, émanant notamment de la Russie et de la Serbie. L’Empire allemand apporta alors son soutien diplomatique à l’Autriche-Hongrie, renforçant les blocs d’alliances en formation.
Cette occupation était particulièrement mal perçue par une partie des populations slaves de la région, qui nourrissaient l’ambition de créer une « jugo slavija » (littéralement « État slave du Sud ») — plus connue sous le nom de Yougoslavie — aux dépens de l’Autriche-Hongrie. Ce désir d’unification slave, alimenté par le panslavisme, entrait en collision directe avec les intérêts de l’Empire austro-hongrois, une mosaïque de peuples où la question des nationalités était déjà explosive.
Enfin, les guerres balkaniques de 1912 et 1913 virent le démantèlement quasi complet de l’Empire ottoman en Europe et consolidèrent la Serbie comme la grande puissance des Balkans. Cette montée en puissance serbe fut perçue comme une menace directe par l’Autriche-Hongrie, créant un climat de tension exacerbé par les doctrines antagonistes du pangermanisme et du panslavisme.
Mythe ou Réalité de la « Poudrière » ? 💥
Malgré le tableau d’une région à vif, il est crucial de nuancer l’idée largement répandue d’une « poudrière » dont l’explosion était une fatalité. De nombreuses relations diplomatiques existaient à cette époque et avaient permis, par le passé, de résoudre des crises internationales via des conférences et des négociations. L’hypothèse d’une escalade menant à une guerre généralisée semblait même « inconcevable » pour beaucoup d’acteurs de l’époque jusqu’à l’attentat de Sarajevo. Celui-ci provoqua des réactions exaltées qui prirent de vitesse les forces pacifistes et les mécanismes diplomatiques habituels.
Cependant, cette perspective n’est pas universellement partagée par les historiens. Certains, comme Jean-Paul Bled, soutiennent que, compte tenu des intérêts en jeu et des ambitions des grandes puissances, le conflit était inévitable et que les efforts diplomatiques n’avaient fait qu’en retarder l’échéance. L’attentat, dans cette optique, n’aurait été qu’un prétexte ou le détonateur d’une bombe déjà prête à exploser.
La Visite Fatidique de l’Archiduc François-Ferdinand 🤵👰
La visite de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo était chargée de symboles, de protocoles et, comme il s’avérera, d’un fatalisme tragique.
Un Choix de Date Chargé de Symboles 📅
La date choisie par les autorités austro-hongroises pour la visite de l’archiduc à Sarajevo, le dimanche 28 juin 1914, était particulièrement sensible et, rétrospectivement, malheureuse. Il s’agissait du jour de Vidovdan (Saint-Guy), une fête religieuse d’une importance capitale pour les Serbes orthodoxes. Cette date commémorait également l’anniversaire de la bataille de Kosovo Polje en 1389, où les Serbes avaient subi une défaite décisive face à l’armée turque, entraînant l’annexion de leur royaume à l’Empire ottoman pour plus de quatre cent cinquante ans. La tenue de manœuvres militaires austro-hongroises et la visite de l’héritier impérial en ce jour symbolique étaient perçues par la minorité serbe de Bosnie comme une provocation délibérée.
Outre la dimension historique et politique, cette date revêtait également une signification plus personnelle pour le couple princier. Le 28 juin 1914 marquait le quatorzième anniversaire de leur mariage morganatique. L’archiduc héritier, François-Ferdinand, souhaitait profiter de cette visite en province pour apparaître publiquement aux côtés de son épouse, Sophie Chotek, et lui offrir les honneurs que l’étiquette rigide de la cour impériale et royale de Vienne lui refusait habituellement. En effet, Sophie, n’étant pas issue d’une famille impériale ou royale, ne pouvait recevoir les honneurs militaires à la cour. Cette intention, bien que louable sur le plan personnel, se révéla lourde de conséquences sur le plan de la sécurité.
Les Avertissements Ignorés et la Vulnérabilité du Cortège ⚠️
Les circonstances du voyage d’inspection de François-Ferdinand, qui devait suivre de grandes manœuvres militaires en Bosnie-Herzégovine, semblent avoir créé un contexte propice aux assassins. Plusieurs signaux d’alarme avaient été ignorés ou minimisés. L’ambassadeur serbe à Vienne, Jovan Jovanović, rencontra le ministre austro-hongrois de Bosnie-Herzégovine, Leon Biliński, le même jour de la visite de l’archiduc. Il tenta vainement d’avertir Biliński de l’attentat qui menaçait François-Ferdinand s’il se rendait à Sarajevo. Biliński, qui était également ministre des Finances de la double-monarchie et chargé de l’administration de la Bosnie-Herzégovine, refusa de tenir compte de cet avertissement.
Par ailleurs, des proches de l’archiduc et même son chapelain lui avaient déconseillé ce déplacement, pressentant un danger. Malgré ces mises en garde, François-Ferdinand, logeant depuis le 25 juin à Ilidža, une station thermale près de Sarajevo, assista aux manœuvres militaires les 26 et 27 juin.
L’un des détails les plus surprenants, et qui témoigne de la vulnérabilité du couple, fut l’ordre donné par le prince de Montenuovo, grand-maître de la cour, de retirer les troupes de Sarajevo. Les 40 000 hommes présents dans la ville ne furent donc pas mobilisés pour la protection de l’archiduc. Cette décision fut prise précisément parce que la duchesse de Hohenberg, en raison de son statut, ne pouvait recevoir les honneurs militaires. Paradoxalement, c’est cette volonté de préserver le protocole qui laissa le couple princier sans protection militaire adéquate. Le 28 juin au matin, le couple passa la nuit à Ilidža et prit le train à 9h25 pour Sarajevo, où plusieurs réceptions les attendaient.
Le Complot de l’Ombre : Jeune Bosnie et la Main Noire 👤🔫
Derrière l’attentat de Sarajevo se cachait un réseau complexe de conspirateurs, dont les motivations et les liens exacts avec les services officiels restent, pour certains aspects, matière à débat historique.
Qui Était Jeune Bosnie ? 🤝
Le groupe directement responsable de l’exécution de l’attentat fut Jeune Bosnie (Mlada Bosna). Il s’agissait d’une organisation composée de jeunes nationalistes serbes, musulmans et croates. Leur objectif principal, comme le révélaient leurs propres déclarations, était la réalisation d’une « Grande Serbie », un État regroupant tous les Slaves du Sud, ce qui impliquait le démantèlement des territoires slaves sous le contrôle austro-hongrois.
Les conspirateurs, dont Gavrilo Princip était le plus connu, étaient relativement inexpérimentés dans le maniement des armes et dans la planification d’opérations de cette envergure. Cependant, leur ferveur idéologique et leur détermination à agir contre l’occupation autrichienne de la Bosnie-Herzégovine étaient profondes.
L’Influence de la Main Noire et du Colonel Apis ⚫️
Bien que Jeune Bosnie ait été l’exécutant, le groupe était équipé d’armes (des pistolets de modèle 1910 de la FN Herstal et des bombes) fournies par la Main Noire. La Main Noire était une société secrète puissante et influente, jouissant du soutien des services secrets serbes. Cette organisation avait déjà fomenté un attentat (non exécuté) contre l’empereur François-Joseph en 1910, démontrant ainsi sa capacité à planifier des actions violentes.
La Main Noire était dirigée par le colonel Dragutin Dimitrijević, chef des services secrets serbes, mieux connu sous son nom de code Apis. Son surnom, « Apis », était dû à son physique imposant et à son caractère redoutable. Bien que liée au gouvernement serbe, la Main Noire opérait avec une autonomie considérable, à tel point qu’elle était considérée comme un véritable « État dans l’État« . L’armement du groupe de Princip, que les sources décrivent davantage comme un groupe de « révolutionnaires » que de simples nationalistes, n’était connu que d’Apis lui-même.
Le Gouvernement Serbe : Complicité ou Tentative d’Obstruction ? 🤔
Le degré d’implication du gouvernement serbe dans l’attentat est une question complexe et controversée. Les sources indiquent que le président du Conseil serbe, Nikola Pašić, fut informé de la préparation de l’attentat grâce à son ministre de l’Intérieur, Stojan Protić. Pašić demanda alors une enquête sur Apis et, en collaboration avec Protić, tenta d’arrêter la mission du groupe de Princip. Cependant, cette tentative fut rendue extrêmement difficile par le fait que le président serbe ne connaissait absolument pas les réseaux de Jeune Bosnie.
Malgré ces difficultés, Pašić prit contact avec les Serbes de Bosnie et demanda à son ministre de la Guerre, Dušan Stefanović, de stopper les activités des services de renseignements serbes, qu’il considérait comme une menace pour son propre gouvernement. Il n’est pas clairement établi si le gouvernement serbe avertit directement le gouvernement austro-hongrois. Cependant, il est certain que l’ambassadeur serbe à Vienne, Jovan Jovanović, parla du groupe de Princip à Leon Biliński, le ministre des Finances et gouverneur de Bosnie. Il reste incertain si cette démarche de Jovanović était une initiative individuelle ou une demande explicite du gouvernement serbe d’informer Vienne.
Le degré précis de responsabilité de la Main Noire est également contesté. Certains historiens estiment que l’organisation fut entièrement responsable de l’attaque, et que les membres de Jeune Bosnie n’en étaient que les exécutants. D’autres, en revanche, considèrent que Jeune Bosnie était idéologiquement éloignée de la Main Noire et que ses membres étaient si inexpérimentés que la Main Noire elle-même était persuadée que le complot ne réussirait pas. Malgré ces divergences, la plupart des historiens s’accordent à dire que la Main Noire a fourni les armes et le cyanure aux assassins, et que ces derniers s’étaient entraînés au tir dans un parc de Belgrade.
Il est important de noter que des liens directs entre le gouvernement serbe et l’action du groupe de Princip n’ont jamais été prouvés. En fait, certaines preuves suggèrent que le gouvernement serbe tenta, de bonne foi, d’étouffer les menaces terroristes en Bosnie, cherchant à éviter de provoquer la colère du gouvernement austro-hongrois, surtout après les répercussions des guerres balkaniques. Une autre théorie, plus spéculative, avance l’idée que l’Okhrana (les services secrets russes) aurait participé à l’attentat avec la Main Noire, et que l’assassinat aurait été planifié avec la connaissance et l’approbation de l’ambassadeur de Russie à Belgrade, Nikolai Hartwig, et de l’attaché militaire russe, Viktor Artamonov.
Paradoxalement, les relations entre l’Autriche-Hongrie et la Serbie étaient considérées comme « bonnes » en 1914, le Premier ministre serbe, Nikola Pašić, attachant une grande importance à ce bon voisinage. Cela lui était d’ailleurs reproché par les partisans d’une ligne plus dure et panslave, hostiles à la présence autrichienne dans les Balkans. De plus, les Russes et les Serbes voyaient d’un mauvais œil le slavophilisme de l’archiduc François-Ferdinand, qui aurait pu, selon eux, octroyer aux Bosniaques les mêmes droits qu’aux Autrichiens et aux Hongrois, menaçant ainsi l’idée d’une Serbie dominante dans la région.
Le Jour du Jugement : Chronique d’un Assassinat Annoncé 🗓️🩸
Le 28 juin 1914, une série de coïncidences, d’erreurs et de défaillances de sécurité conduisit au dénouement tragique qui marqua le début de la Première Guerre mondiale.
L’Arrivée à Sarajevo et la Mise en Place des Conspirateurs 📍
Les conspirateurs, partis de Belgrade où ils s’étaient exercés au tir, avaient pu traverser la frontière sans encombre, probablement grâce à la complicité de certains agents au service de la Serbie. Ils séjournèrent à Sarajevo quelques jours avant l’arrivée du couple princier. Bien que les minutes du procès aient permis de comprendre l’organisation et l’exécution du complot, aucune source ne permet de déterminer avec certitude ce qui se passa réellement dans les moindres détails.
Le matin du 28 juin, l’archiduc François-Ferdinand et son épouse, Sophie Chotek, arrivèrent à Sarajevo. Leur programme de la journée était dense et minuté : inspection d’une caserne militaire, visite de l’hôtel de ville pour rencontrer le conseil municipal, inauguration du musée de Sarajevo, déjeuner à la résidence du gouverneur de Bosnie-Herzégovine, visite de la grande mosquée, puis retour à la gare pour prendre le train vers Vienne.
Le couple prit place dans une limousine noire décapotable, immatriculée AIII 118. Ils étaient accompagnés du général Oskar Potiorek, gouverneur de Bosnie-Herzégovine, et du comte Harrach, garde du corps personnel de l’archiduc.
Les sept conspirateurs s’étaient postés le long du quai. Tous, à l’exception de l’un d’eux, étaient armés de revolvers et de petites bombes rectangulaires. Il n’y avait pas de plan précis et rigide ; chacun avait la consigne d’agir dès qu’il en aurait l’occasion.
La Première Tentative Manquée : La Bombe de Čabrinović 💣
Le cortège de six voitures s’ébranla. À 10h15, il dépassa le premier membre du groupe, Mehmed Mehmedbašić, posté près de la banque austro-hongroise. Celui-ci n’osa pas tirer, affirmant qu’un policier se tenait juste derrière lui. Le deuxième conspirateur, Vaso Čubrilović, laissa également passer le convoi, craignant de toucher la duchesse.
C’est Nedeljko Čabrinović qui fut le premier à passer à l’acte. Après avoir demandé à un policier, d’un ton faussement joyeux, quelle était la voiture de l’archiduc, il lança une bombe (ou un bâton de dynamite selon certains rapports) sur le véhicule de François-Ferdinand. Cependant, dans sa précipitation, il n’attendit pas les huit secondes recommandées avant de la lancer. Selon une légende, le prince aurait eu le temps de saisir la bombe et de la jeter ; selon d’autres témoignages, elle aurait rebondi sur son épaule. En réalité, la grenade rebondit sur la voiture du prince et atterrit sous le véhicule suivant. L’explosion blessa gravement ses passagers (le comte Fos-Waldeck et l’aide de camp du gouverneur territorial, le lieutenant-colonel Merizzi), ainsi qu’un policier et plusieurs personnes dans la foule. Les voitures accélérèrent vers l’hôtel de ville, et la foule paniqua.
« J’étais sûr que quelque chose de ce genre se produirait », s’exclama l’archiduc François-Ferdinand.
Čabrinović, après son acte, sauta dans la rivière Miljacka, dans l’intention d’avaler sa pilule de cyanure. Mais la police le rattrapa rapidement et le sortit de l’eau. Il fut violemment frappé par la foule avant d’être placé en garde à vue. La pilule de cyanure qu’il avait ingérée était vieille ou de dosage trop faible, n’ayant pas l’effet escompté. De plus, la rivière ne dépassait pas dix centimètres de profondeur à cet endroit, rendant sa fuite inutile. Les autres conspirateurs, Cvjetko Popović et Gavrilo Princip, renoncèrent à agir, le cortège de voitures roulant désormais trop vite, ou peut-être présumant que l’archiduc avait été tué. Le dernier conspirateur, Trifun Grabež, posté près de l’hôtel de ville, renonça également, mal positionné en raison des mouvements de foule. À ce stade, la tentative d’attentat fut considérée comme un échec par ses propres auteurs.
La Tragédie des Erreurs : Le Second Itinéraire et Gavrilo Princip 🤦♀️
L’archiduc héritier et la duchesse de Hohenberg arrivèrent finalement à l’hôtel de ville, où ils furent accueillis par le maire musulman, Fehim Effendi Curčić. Pensant que l’explosion entendue était un coup de canon tiré en l’honneur de leur visite, le maire commença son discours de bienvenue. Il n’eut pas le temps de finir : furieux de ne pas se voir présenter d’excuses après l’attentat, l’archiduc François-Ferdinand l’interrompit sèchement : « C’est inadmissible ! Est-ce là l’habitude des Bosniaques d’accueillir avec des bombes ceux qui viennent pacifiquement à eux et de bonne foi ? ». La réception officielle prévue se déroula dans un climat de tension extrême.
À l’issue de cette réception, l’archiduc exprima inopinément le désir de rendre visite aux victimes de la bombe de Čabrinović avant d’aller déjeuner. Le général Oskar Potiorek, improvisant, décida alors de changer l’itinéraire : au lieu de tourner à droite dans la rue François-Joseph comme initialement prévu, le cortège devrait désormais longer le quai le long de la rivière pour se rendre à l’hôpital de la gare, où les victimes étaient soignées. Il en avertit le Dr Edmund Gerde, commissaire de la ville et occupant de la première voiture du convoi, mais ce dernier omit de signaler ce changement crucial au chauffeur. Ce fut une première erreur aux conséquences funestes, générant une confusion au sein du cortège. De plus, contre toute attente, aucune escorte supplémentaire ne fut prévue pour protéger le convoi, malgré l’attentat survenu quelques minutes auparavant.
À 10h45, le couple impérial quitta l’hôtel de ville dans sa limousine, une Phaeton double Gräft & Stift, où avaient également pris place le général Potiorek et le comte Harrach.
Pendant ce temps, Gavrilo Princip, croyant l’attentat manqué, s’était posté devant le magasin Moritz Schiller’s delicatessen. Ce magasin se trouvait au croisement du quai et d’une petite artère transversale rejoignant la rue François-Joseph. Les chauffeurs des deux premières voitures, n’ayant pas été informés du changement d’itinéraire, prirent à droite, au lieu de continuer le long du quai. Le gouverneur Potiorek, assis dos à la route dans la voiture de l’archiduc, ne s’en aperçut que trop tard. Ce n’est que lorsque sa propre voiture tourna dans la même rue qu’il réalisa leur erreur et lança au chauffeur : « Qu’est-ce que tu fais ? Tu te trompes de route, il faut rester sur le quai pour rejoindre l’hôpital ».
Le chauffeur, réalisant son erreur, s’arrêta alors au milieu de la foule pour faire marche arrière, un mouvement qui plaça la voiture de l’archiduc juste devant Gavrilo Princip. Princip vit là une occasion inespérée de lancer sa bombe, puis se ravise : la foule était trop dense, il craignait de ne pas pouvoir se dégager suffisamment pour viser correctement. Son pistolet Browning à la main, il se dirigea résolument vers la voiture de l’archiduc. Un policier tenta de l’intercepter, mais trébucha après avoir reçu un coup de pied au genou de la part d’un autre Serbe, Mihajlo Pušara, qui se tenait à proximité.
Arrivé à hauteur de la voiture, Princip tira deux fois. La première balle traversa le bord du véhicule et atteignit la duchesse de Hohenberg à l’abdomen. La seconde balle atteignit l’archiduc dans le cou. Les deux blessés furent conduits d’urgence à la résidence du gouverneur, mais ils moururent de leurs blessures quinze minutes plus tard.
Princip tenta ensuite de se suicider, d’abord en ingérant sa pilule de cyanure, puis avec son pistolet. Comme Nedeljko Čabrinović, il vomit le poison – ce qui fit penser à la police que le groupe s’était fait vendre un poison inefficace ou une substance qu’ils croyaient être du cyanure. Son pistolet lui fut arraché des mains par un groupe de badauds avant qu’il n’ait pu s’en servir. Il fut alors arrêté.
L’Effet Domino : Les Conséquences Dévastatrices de l’Attentat 🌍💥
L’assassinat de Sarajevo, loin d’être un événement isolé, déclencha une série de réactions en chaîne qui plongèrent l’Europe et le monde dans le conflit le plus sanglant de l’histoire jusqu’alors.
La Quête de la « Grande Serbie » et la Réaction Austro-Hongroise 🇷🇸🇦🇹
Par leur geste, les coupables, membres de Jeune Bosnie, voulaient clairement proclamer leur volonté de voir se réaliser une « Grande Serbie » regroupant tous les Slaves du Sud. Leurs motivations étaient profondément enracinées dans les idéaux nationalistes.
Paradoxalement, l’archiduc François-Ferdinand n’était pas particulièrement apprécié par son oncle, l’empereur et roi François-Joseph Ier. Ses idées sur l’avenir de l’Empire austro-hongrois, où une place plus grande aurait été donnée aux Slaves, étaient même vues d’un mauvais œil par certains, notamment du côté serbe et hongrois. Pour ces factions, sa disparition fut même perçue comme un « bon débarras ».
Cependant, cette indifférence ou même cette satisfaction face à la mort de l’archiduc ne signifiait pas une absence de réaction officielle. Au contraire, l’Autriche-Hongrie, cherchant à affirmer son autorité et à punir ce qu’elle considérait comme une agression serbe, lança un ultimatum à la Serbie le 23 juillet 1914, considéré comme un « dernier avertissement avant la guerre ».
Le Procès de Sarajevo et les Condamnations ⚖️
Le procès des auteurs et complices de l’attentat eut lieu à Sarajevo en octobre 1914. Au total, seize sentences furent rendues, allant de trois ans de travaux forcés à la mort par pendaison.
Parmi les condamnés à mort, Danilo Ilić, Velijko Čubrilović et Miško Jovanović furent exécutés à Sarajevo le 3 février 1915. Nedeljko Kerović et Jovan Milović virent leur peine de mort commuée en prison à vie, mais moururent en prison de la tuberculose en avril 1916.
Les autres conspirateurs, y compris l’assassin Gavrilo Princip, Nedeljko Čabrinović et Trifko Grabež, échappèrent à la peine capitale parce qu’ils étaient mineurs au moment des faits. Gavrilo Princip, Nedeljko Čabrinović et Trifko Grabež furent chacun condamnés à vingt ans de travaux forcés. Vasa Čubrilović reçut une peine de seize ans, et Cvetko Popović treize ans. Malheureusement, Princip, Čabrinović et Grabež moururent tous en prison des suites de maladies (Čabrinović le 23 janvier 1916, Grabež le 21 octobre 1916 et Princip le 28 avril 1918). Les sources indiquent que, parmi les autres condamnés à des peines de prison, tous moururent en détention par maltraitance, bien que leurs procès aient été considérés comme réguliers et légaux.
La Crise de Juillet et le Déclenchement de la Grande Guerre 💣🗓️
Le chemin vers la guerre fut pavé d’une série d’événements diplomatiques intenses connus sous le nom de Crise de Juillet. Initialement, pendant leur interrogatoire, Princip, Čabrinović et les autres conspirateurs ne dévoilèrent rien de la conspiration. Les autorités estimaient que leur emprisonnement était arbitraire jusqu’à ce que l’un des membres, Danilo Ilić, pris de panique lors d’un banal contrôle de papiers, perde son sang-froid et révèle tout aux deux agents qui l’avaient arrêté, y compris le fait que les armes avaient été fournies par le gouvernement serbe. Cette révélation eut un impact majeur sur les décideurs austro-hongrois.
Peu après l’attentat, le chancelier allemand Theobald von Bethmann-Hollweg assura l’Autriche-Hongrie du soutien de l’Empire allemand. Cette promesse, souvent appelée le « chèque en blanc« , fut déterminante.
L’Autriche-Hongrie accusa ouvertement la Serbie de l’assassinat. L’entourage de l’empereur François-Joseph Ier était divisé sur la conduite à tenir. Le comte Berchtold, ministre des Affaires étrangères, partisan d’une ligne dure, souhaitait une intervention immédiate en Serbie sans déclaration de guerre. À l’inverse, le comte Tisza, Premier ministre hongrois et nationaliste magyar, craignait l’annexion de territoires peuplés de Slaves et prônait la voie diplomatique.
Cependant, une entrevue à Potsdam avec le chancelier allemand Theobald von Bethmann Hollweg, qui confirma le soutien allemand, renforça la position des partisans de la guerre. Lors du Conseil de la Couronne du 7 juillet 1914, l’Autriche-Hongrie décida de poser un ultimatum à la Serbie. Seul le comte Tisza s’y opposa fermement, rédigeant le lendemain, le 8 juillet, une lettre prévenant l’empereur : « Une attaque contre la Serbie amènerait très vraisemblablement l’intervention de la Russie et une guerre mondiale s’ensuivrait ».
L’ultimatum austro-hongrois, délivré le 23 juillet 1914, contenait des exigences jugées si draconiennes que l’un de ses points était « particulièrement irréalisable ». En conséquence, la Serbie ne put accepter l’ensemble des conditions. Le 25 juillet, forte du soutien de la Russie, le gouvernement serbe refusa notamment la participation de policiers autrichiens à l’enquête sur son territoire. Les relations diplomatiques entre les deux États furent rompues le même jour.
Finalement, le 28 juillet 1914, soutenue par l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie déclara une guerre « préventive » à la Serbie. Cette déclaration, par le jeu complexe des alliances européennes – la Russie soutenant la Serbie, l’Allemagne soutenant l’Autriche-Hongrie, et ainsi de suite – entraîna l’Europe dans une spirale inéluctable menant à la Première Guerre mondiale. Le continent s’engagea alors dans quatre années de conflit dévastateur.
Réflexions sur une Guerre Évitée ou Inévitable ? 📜
Face à cette déclaration de guerre, l’empereur et roi François-Joseph Ier s’adressa à ses sujets dans la Wiener Zeitung du 29 juillet, déclarant : « J’ai tout examiné et tout pesé ; c’est la conscience tranquille que je m’engage sur le chemin que m’indique mon devoir ». Cependant, d’autres sources affirment que l’empereur octogénaire aurait signé la déclaration de guerre avec un certain fatalisme, disant : « Une guerre préventive, c’est comme un suicide par peur de la mort ».
Le rôle des acteurs religieux fut également notable. Suivant la tradition, François-Joseph aurait demandé au pape Pie X de bénir ses armées. La réponse du Saint-Père est rapportée comme ayant été : « Je ne bénis que la paix ».
L’historien Henry Bogdan, dans son ouvrage sur l’Histoire des Habsbourg, cite un hommage posthume du président français Poincaré à François-Joseph : « C’était un souverain riche de bonnes intentions… Il n’a pas voulu le mal, il n’a pas voulu la guerre, mais il s’est entouré de gens qui l’ont faite ». Cette citation résume bien la complexité des responsabilités et des dynamiques qui ont mené au premier conflit mondial. L’attentat de Sarajevo ne fut pas la cause unique de la guerre, mais l’étincelle qui alluma une mèche déjà dangereusement courte dans une Europe où les tensions, les ambitions et les systèmes d’alliances rendaient un conflit à grande échelle de plus en plus probable.
En définitive, l’attentat de Sarajevo reste un événement pivot de l’histoire du XXe siècle. Il symbolise la fragilité des équilibres géopolitiques et la manière dont un acte isolé peut, dans un contexte de tensions extrêmes, provoquer une réaction en chaîne aux conséquences incalculables. Des ambitions nationalistes enracinées aux jeux d’alliances complexes, en passant par des erreurs de communication et des avertissements ignorés, chaque facette de ce drame a contribué à l’embrasement d’un continent. Plus d’un siècle après, l’étude de l’attentat de Sarajevo continue d’éclairer les mécanismes qui peuvent transformer une crise régionale en un conflit mondial, soulignant la complexité des relations internationales et la responsabilité collective dans le maintien de la paix.