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Vassily Kandinsky : L’Architecte de l’Art Abstrait Moderne 🎨
Vassily Vassilievitch Kandinsky (en russe : Василий Васильевич Кандинский), né à Moscou le 4 décembre 1866 et décédé à Neuilly-sur-Seine le 13 décembre 1944 à l’âge de 78 ans, est un peintre d’origine russe qui a acquis les nationalités allemande puis française au cours de sa vie. Il est largement reconnu comme l’un des peintres les plus influents du XXe siècle.
Kandinsky est souvent désigné comme l’auteur de la première œuvre d’art abstrait de l’époque moderne. Sa renommée est principalement liée à son rejet progressif de tout élément figuratif dans sa peinture, un processus qu’il a mené sur plusieurs années. En plus de sa carrière prolifique en peinture, il a excellé comme artiste graphique, illustrateur, graveur, dessinateur en bâtiment, scénographe, designer et sculpteur. Kandinsky était également un théoricien de l’art, un enseignant et un professeur d’université. Il a été un membre clé de mouvements artistiques majeurs, notamment l’Expressionnisme, le Symbolisme et le Bauhaus.
👨🎨 Biographie et Parcours Intellectuel
Le chemin de Kandinsky vers la peinture a été inhabituel, puisqu’il a d’abord suivi une formation en économie politique à l’université de Moscou avant de se consacrer pleinement aux arts visuels.
Jeunesse et Inspirations (1866-1896)
Né à Moscou dans un milieu aisé, Vassily était le fils de Vassily Silvestrovitch Kandinsky et de Lydia Ivanovna Tikheieva. La famille paternelle avait bâti sa fortune dans le commerce du thé et de la fourrure, tandis que sa mère était issue de la noblesse moscovite. Initié très tôt au dessin, à la musique et à plusieurs langues étrangères par ses parents passionnés de culture, le jeune Vassily visita les grandes villes d’Italie dès l’âge de trois ans, où il fut impressionné par les images et les couleurs.
En 1871, la famille s’installa au bord de la mer Noire pour des raisons de santé de son père, et Kandinsky passa son enfance à Odessa. Ses parents se séparèrent la même année, et c’est sa tante maternelle, Élisabeth Ivanovna, qui prit en charge son éducation et l’initia au dessin et à la peinture. À partir de huit ans, il étudia le solfège et le piano, même si le dessin restait sa passion principale, avant d’ajouter plus tard l’apprentissage du violoncelle. Il obtint son diplôme de fin d’études en 1885.
Pendant son adolescence, il accompagnait son père, riche marchand de thé, lors de voyages annuels à Moscou, une ville dont les couleurs le fascinaient et le stimulaient exceptionnellement, selon ses propres souvenirs rétrospectifs. En août 1885, il s’inscrivit à la faculté de droit de l’université de Moscou, étudiant l’économie politique notamment sous la direction de Tchouprov.
En 1889, Kandinsky participa à un groupe ethnographique voyageant dans l’oblast de Vologda, au nord-est de Moscou, afin d’étudier le droit paysan. Là-bas, la population lui apparut comme « de vivants tableaux bariolés », et il découvrit l’art populaire, un sujet qui, d’après ses cahiers, l’intéressait autant que l’objet officiel de sa mission. Après avoir obtenu son diplôme de droit en 1892, il devint professeur de jurisprudence à l’Université de Moscou. Il avait épousé sa cousine, Anna Filipovna Chemiakina, une des rares étudiantes de l’université, en 1891, mais ils divorcèrent en 1911.
L’évolution intérieure de Kandinsky fut profondément marquée en 1895 par deux événements majeurs à Moscou : l’exposition des impressionnistes, qui étaient inconnus de la scène russe dominée par le naturalisme (Répine, Chichkine), et la représentation de l’opéra Lohengrin de Wagner au théâtre de la cour de Moscou. Devant le tableau Les Meules de Claude Monet, il fut incapable de reconnaître le sujet, faisant ainsi l’expérience d’une appréciation de la peinture indépendamment de son contenu figuratif. L’opéra Lohengrin lui provoqua un effet de synesthésie, où il voyait mentalement toutes ses couleurs et des lignes sauvages se dessinaient devant lui, l’amenant à percevoir l’œuvre comme une représentation de Moscou. Les nouvelles théories de la physique, notamment la désintégration de l’atome, eurent un effet sidérant similaire sur lui.
Épanouissement Artistique à Munich (1896-1911)
En 1896, à l’âge de 30 ans, Kandinsky refusa une chaire de professeur à l’université de Tartu pour se dédier à la peinture. Il s’installa à Munich, étudiant d’abord à l’école de dessin Azbé, puis à l’Académie des Beaux-Arts en 1900 sous Franz von Stuck, qui critiqua fortement ses « extravagances de couleurs ».
Un choc intellectuel survint en 1897, lorsqu’il apprit que le physicien Joseph John Thomson avait prouvé l’existence des électrons, contredisant ainsi le principe de l’indivisibilité de l’atome. Cette découverte ébranla sa conception de la réalité et remit en question sa confiance dans la science, ce qui, pour lui, condamnait le positivisme et, par extension, le naturalisme en art.
Dès 1901, Kandinsky fonda le groupe Phalanx, une plateforme d’enseignement et de peinture qu’il dissolut trois ans plus tard. C’est là qu’il rencontra Gabriele Münter, qui devint sa compagne jusqu’à la Première Guerre mondiale, bien qu’ils ne se marièrent jamais.
Durant cette période précoce (1902-1907), ses peintures, qu’il appelait des « dessins colorés », ne comportaient généralement pas de visages humains, à quelques exceptions près comme Dimanche, Russie traditionnelle (1904). Ces toiles étaient empreintes de nostalgie et représentaient des figures de la vieille Russie, de la vieille Allemagne ou de la période Biedermeier, prenant le contre-pied des Ambulants réalistes. Dans La Vie mélangée (1907), toile peinte à Paris qui clôt cet ensemble, il semblait déjà s’exercer à des visions presque abstraites en amalgamant la figure et le fond.
Un tableau fondamental de cette époque est Le Cavalier bleu (1903). Bien que non exceptionnel par rapport à ses contemporains, il montrait déjà la direction que Kandinsky allait suivre. Il y dépeint un personnage capé chevauchant rapidement, représenté plus par une série de touches colorées que par des détails précis, et son titre annonçait le groupe qu’il formerait plus tard.
De 1906 à 1908, il voyagea beaucoup en Europe avant de s’installer à Murnau, en Bavière. La Montagne bleue (1908-1909), peinte à Murnau, illustre sa tendance croissante vers l’abstraction pure. Dans cette œuvre, les cavaliers sont représentés avec des couleurs unies sans détails réalistes, et la couleur est appliquée indépendamment de la forme, mettant en lumière l’évolution de Kandinsky vers un art où la couleur est autonome.
À partir de 1909, le « chœur des couleurs » devint plus éclatant dans son œuvre, chargé d’un pouvoir émotif et d’une intense signification cosmique. Cette évolution fut influencée par le Traité des couleurs (Farbenlehre) de Goethe. C’est l’année suivante, en 1910, qu’il réalisa la première œuvre abstraite découlant d’une conviction profonde et d’un but clairement défini : remplacer la figuration du monde matériel par une création spirituelle pure, procédant uniquement de la « nécessité intérieure » de l’artiste. Il avait eu l’intuition de l’abstraction dès 1908 en voyant un de ses propres tableaux posé sur le côté dans la lumière déclinante, le rendant méconnaissable.
La Fondation du Cavalier Bleu (1911-1914)
Cette période est caractérisée par des peintures composées de grandes masses colorées très expressives qui évoluent indépendamment des formes et des lignes. Ces dernières se combinent, se superposent et se chevauchent librement pour former des toiles d’une force extraordinaire.
L’influence de la musique fut capitale dans la naissance de son art abstrait. La musique, étant abstraite par nature, exprime des sentiments intérieurs sans chercher à représenter le monde extérieur. Kandinsky utilisait d’ailleurs des termes musicaux pour ses œuvres, nommant ses peintures spontanées des « improvisations » et ses toiles les plus élaborées des « compositions », un terme qui résonnait en lui comme une prière. Il présentait une forme de synesthésie, associant les couleurs et les formes aux sons.
Kandinsky fut président de l’association des Nouveaux Artistes de Munich, qu’il avait contribué à fonder en 1909. Cependant, le groupe ne put intégrer ses approches les plus radicales en raison d’une conception de l’art plus conventionnelle, et se dissout fin 1911. Il fonda alors une nouvelle association, Le Cavalier bleu (Der Blaue Reiter), avec des artistes partageant sa vision, tels que Franz Marc. L’idée de l’almanach fut annoncée par Kandinsky à Marc le 19 juin 1911, et l’ouvrage, L’Almanach du Cavalier bleu, fut publié et connut deux parutions. La déclaration de la Première Guerre mondiale en 1914 mit fin à ces projets, et Kandinsky dut retourner en Russie via la Suisse et la Suède.
Son premier grand traité théorique, Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier, parut fin 1911. Cet ouvrage exposait sa vision selon laquelle la véritable mission de l’art est d’ordre spirituel, et détaillait sa théorie de la « sonorité intérieure » des couleurs et de leur effet psychologique sur l’âme humaine. Ces écrits servaient de défense et de promotion de l’art abstrait, affirmant que toute forme d’art authentique peut atteindre une profondeur spirituelle.
En 1912, il peignit Avec l’Arc noir (Mit dem schwarzen Bogen), considérée comme l’une des premières œuvres abstraites de l’histoire de l’art conçues comme telle, ne représentant rien de la réalité. Cette toile est une composition de formes et de couleurs libérées de la figuration, cherchant à provoquer des émotions par le jeu des harmonies colorées et du mouvement organisé par l’arc noir, agissant comme un chef d’orchestre. Ce travail, qui cherche à restituer la musique de Wagner, est souvent qualifié d’abstraction « lyrique ». Kandinsky était d’ailleurs ami du compositeur Arnold Schoenberg, auteur de la première partition atonale.
Retour en Russie (1914-1921)
De 1918 à 1921, Kandinsky se concentra sur le développement de la politique culturelle russe. Il contribua à la pédagogie de l’art, à la réforme des musées et à l’enseignement artistique. Il mit en place un programme d’enseignement basé sur l’analyse des formes et des couleurs et organisa l’Institut de culture artistique à Moscou. Cependant, il peignit très peu durant cette période.
En 1916, il rencontra Nina Andreievskaïa, qui devint son épouse l’année suivante. La nationalité russe de Kandinsky à cette époque allait de 1917 à 1922.
En 1921, les Soviétiques interdirent officiellement l’art abstrait, le jugeant nocif pour les idéaux socialistes. La même année, Kandinsky reçut la mission de se rendre en Allemagne, ayant été invité par l’architecte Walter Gropius, le fondateur du Bauhaus de Weimar.
🏫 L’Ère du Bauhaus (1922-1933)
Kandinsky commença à travailler pour le Bauhaus en 1922. Le Bauhaus était une école d’architecture et d’art novatrice visant à fusionner les arts plastiques et les arts appliqués, avec un enseignement basé sur la synthèse théorique et pratique des arts plastiques. Il y retrouva d’anciens condisciples de l’époque de Franz von Stuck, dont Paul Klee et Josef Albers.
Au sein de l’atelier de peinture murale, il enseigna ses théories des couleurs en y intégrant de nouveaux éléments basés sur la psychologie de la forme. Ces travaux approfondis sur l’étude des formes élémentaires — le point et les différentes lignes — menèrent à la publication de son second livre théorique, Point et ligne sur plan, en 1926.
Durant cette période, les éléments géométriques, notamment le cercle, le demi-cercle, l’angle, et les lignes droites ou courbes, prirent une importance croissante, tant dans son enseignement que dans sa peinture. Ce fut une période d’intense production pour lui. Kandinsky se distinguait néanmoins nettement du constructivisme ou du suprématisme, dont l’influence grandissait, par la liberté et le traitement riche des couleurs et des dégradés dans ses œuvres.
Une œuvre emblématique de cette période est Jaune-rouge-bleu (1925), un tableau de deux mètres de large. Dans cette toile, il transposa l’un des théorèmes du Traité des couleurs de Goethe : la naissance du rouge à partir de la rencontre et de l’intensification mutuelle de la lumière (couleur jaune) et de l’obscurité (couleur bleue). Les formes principales sont un rectangle vertical jaune, une croix rouge inclinée et un grand cercle bleu foncé, complétées par une multitude de lignes noires, d’arcs de cercle, de cercles monochromes et de damiers colorés. Pour Kandinsky, l’appréciation de telles œuvres nécessite une observation approfondie non seulement des formes et des couleurs utilisées, mais aussi de leur relation, position absolue, disposition relative, harmonie d’ensemble et accord réciproque, allant au-delà de la simple identification visuelle.
Le Bauhaus, confronté à l’hostilité des partis de droite, déménagea de Weimar à Dessau-Roßlau en 1925. À la suite d’une violente campagne de diffamation menée par les nazis, l’école fut fermée à Dessau en 1932. Kandinsky déménagea à Berlin-Südende, où l’école poursuivit ses activités jusqu’à sa dissolution en juillet 1933. Sa nationalité à cette époque était soviétique (1922-1928) puis allemande.
La Grande Synthèse à Paris (1934-1944)
Après la dissolution du Bauhaus, Kandinsky quitta l’Allemagne pour s’installer à Paris, où il exposa au Salon des surindépendants en octobre et novembre 1933. À Paris, il se retrouva relativement isolé, car l’art abstrait, en particulier géométrique, n’était pas la tendance dominante, le cubisme et l’Art déco étant alors à la mode. Il travaillait dans un petit appartement dont il avait aménagé le salon en atelier.
Sa peinture évolua à nouveau avec l’apparition de formes biomorphiques aux contours souples et non géométriques, qui évoquent des organismes microscopiques tout en exprimant la vie intérieure de l’artiste. Il employa des compositions de couleurs inédites qui rappelaient l’art populaire slave et utilisa du sable mélangé aux couleurs pour créer une texture granuleuse.
Cette période (1934-1944) représente une vaste synthèse de son œuvre antérieure, où il reprend et enrichit tous les éléments. Il réalisa ses deux dernières grandes toiles longuement mûries et élaborées durant ces années: Composition IX (1936) et Composition X (1939). Composition IX présente des diagonales puissantes contrastées avec une forme centrale qui rappelle un embryon humain. Composition X utilise un fond noir sur lequel des fragments ou filaments d’étoiles (petits carrés et bandes colorées) semblent se détacher, et d’énigmatiques hiéroglyphes aux tons pastels recouvrent une grande masse marron flottant dans le coin supérieur gauche.
Kandinsky obtint la nationalité française en 1939. Il décéda à Neuilly-sur-Seine le 13 décembre 1944 et fut inhumé au cimetière nouveau de Neuilly-sur-Seine, où il repose aux côtés de Nina.
Gloire Posthume
Après la mort de Vassily Kandinsky, sa femme, Nina Kandinsky (avec qui il fut marié de 1917 à 1944), a assuré la diffusion de son message et de son œuvre pendant environ trente ans. L’ensemble des œuvres en sa possession fut légué au Centre Georges-Pompidou, à Paris, qui détient aujourd’hui la plus grande collection de ses peintures.
En 1946, Nina Kandinsky créa le prix Kandinsky, destiné à couronner la recherche de jeunes peintres dans le domaine de l’abstraction. Jean Dewasne fut le premier lauréat de ce prix.
🖼️ L’Œuvre Picturale et les Mouvements Clés
Kandinsky est un artiste aux multiples facettes qui a influencé plusieurs mouvements, notamment l’Expressionnisme, le Symbolisme et le Postimpressionnisme, avant de devenir l’un des principaux artistes du Cavalier Bleu et un enseignant fondamental au Bauhaus.
L’Évolution vers l’Abstrait
La transition de Kandinsky vers l’abstraction pure ne fut pas un changement soudain, mais le résultat d’un long processus de maturation, d’intense réflexion et d’expérience personnelle. Ce développement était guidé par un profond désir spirituel qu’il nommait la « nécessité intérieure », qu’il considérait comme le principe essentiel de l’art.
Avant son basculement total, ses œuvres passaient par des phases critiques :
- Le Pré-Abstrait (c. 1900-1907): Caractérisé par des « dessins colorés » empreints de nostalgie de la vieille Russie ou de l’Allemagne, souvent sans visages humains. Des œuvres comme Couple à cheval (1906-1907) ou La Vie mélangée (1907) illustrent cette période.
- La Transition (c. 1908-1911): Une période où le figuratif s’estompe. La Montagne bleue (1908-1909) montre l’application de la couleur indépendamment de la forme, annonçant l’abstraction.
- La Première Abstraction Lyrique (c. 1911-1914): Les couleurs dominent, formant des masses expressives indépendantes des lignes. C’est l’ère des « improvisations » et des « compositions », cherchant à exprimer des sentiments intérieurs (abstraction lyrique).
Période du Cavalier Bleu: L’Expression Lyrique
Le groupe Le Cavalier bleu (Der Blaue Reiter), fondé avec Franz Marc en 1911, a été la plateforme de Kandinsky pour l’affirmation de l’art abstrait. Cette période est celle de l’émergence des compositions célèbres.
Le tableau Composition VII (1913), conservé à la galerie Tretiakov à Moscou, est une œuvre majeure. C’est autour de cette œuvre que tourne la controverse sur l’antidatage de la première aquarelle abstraite, l’aquarelle de 1910 ressemblant à une esquisse de la Composition VII.
Une autre œuvre clé, Composition IV (1911), démontre l’utilisation de couleurs puissantes et de formes non figuratives pour créer une résonance spirituelle.
Période Bauhaus: La Géométrie et la Couleur
Au Bauhaus (1922-1933), l’enseignement de Kandinsky et ses recherches théoriques dans Point et ligne sur plan ont conduit à une géométrisation de son style, intégrant le cercle, le demi-cercle, l’angle, et les lignes droites. Cette phase est synonyme d’une production intense.
- Composition VIII (1923): Conservée au musée Solomon R. Guggenheim de New York, elle incarne l’abstraction géométrique de cette époque.
- Jaune-rouge-bleu (1925): Ce tableau, conservé au Centre Pompidou, est un exemple marquant de son application des théories de la couleur, notamment en lien avec les travaux de Goethe.
Les Dernières Compositions à Paris
Après 1934, Kandinsky intégra des formes biomorphiques, évoquant des organismes microscopiques, tout en cherchant une vaste synthèse de son œuvre.
- Composition IX (1936): Caractérisée par des diagonales contrastées et une forme centrale évoquant un embryon.
- Composition X (1939): Une œuvre tardive utilisant des fragments colorés et des hiéroglyphes sur un fond noir, souvent interprétée comme une vision cosmique.
📚 Les Fondements Théoriques de l’Art Abstrait
La création de Kandinsky repose sur une intense réflexion et une profonde conviction spirituelle, qu’il a formalisées dans deux ouvrages majeurs, souvent réédités et traduits. Ses analyses sur les formes et les couleurs sont le fruit d’une expérience intérieure et subjective, qu’il considérait comme purement phénoménologique.
Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier (1911)
Publié fin 1911 (bien que rédigé autour de 1910, selon certains, avant l’exposition de sa première œuvre non figurative), ce traité est central pour comprendre la démarche de Kandinsky.
Le Triangle Spirituel et la Nécessité Intérieure
Kandinsky y compare la vie spirituelle de l’humanité à un grand triangle semblable à une pyramide. Il estimait que l’artiste a pour mission d’entraîner ce triangle vers le haut. La pointe est formée de quelques individus qui apportent un « pain sublime » aux hommes, et le triangle monte lentement. En période de décadence, les âmes tombent vers le bas et les individus ne recherchent que le succès extérieur, ignorant les forces purement spirituelles.
Le principe fondamental de cet ouvrage est la « nécessité intérieure ». C’est le fondement de l’harmonie des formes et des couleurs, et le principe par lequel la forme et les couleurs entrent en contact efficace avec l’âme humaine. Toute forme, qui est la délimitation d’une surface par une autre, possède un contenu intérieur basé sur l’effet qu’elle produit sur l’observateur attentif. La nécessité intérieure confère à l’artiste un droit à la liberté illimitée, mais cette liberté est un « crime » si elle n’est pas fondée sur cette nécessité spirituelle. L’œuvre d’art, naissant de cette nécessité de manière mystérieuse et énigmatique, acquiert une vie autonome, animée d’un souffle spirituel.
La Psychologie des Couleurs 🌈
En observant les couleurs, Kandinsky identifie un double effet : un effet « purement physique » qui charme l’œil (comme une friandise), et un effet plus profond, spirituel, qui provoque une émotion ou une « résonance intérieure » dans l’âme.
Il analyse les couleurs selon deux paires de propriétés : chaleur/froideur et clarté/obscurité.
- Le Grand Contraste Dynamique (Chaleur vs. Froideur): Jaune et Bleu
- Le Jaune: Tendance à la chaleur, il possède un mouvement excentrique (il semble se rapprocher de nous). C’est la couleur typiquement terrestre, dont la violence peut être agressive et pénible.
- Le Bleu: Tendance à la froideur, il a un mouvement concentrique (il semble s’éloigner). C’est la couleur typiquement céleste, évoquant un calme profond.
- Le mélange du jaune et du bleu produit l’immobilité totale et le calme : le Vert.
- Le Grand Contraste Statique (Clarté vs. Obscurité): Blanc et Noir
- Le Blanc: Tendance à la clarté, il agit comme un silence profond et absolu, rempli de possibilités.
- Le Noir: Tendance à l’obscurité, il représente un néant sans possibilité, un silence éternel et sans espoir, correspondant à la mort. C’est pourquoi toute autre couleur résonne très fortement à son voisinage.
- Le mélange du blanc et du noir conduit au Gris, qui n’a aucune force active et dont la tonalité affective est proche de celle du vert, symbolisant l’immobilité sans espoir, tendant au désespoir lorsqu’il est foncé.
- Le Rouge et les Dérivés:
- Le Rouge: Couleur chaude, vivante et agitée, possédant une force immense et un mouvement en soi.
- Mélangé au noir, il donne le Brun, une couleur dure.
- Mélangé au jaune, il gagne en chaleur pour former l’Orangé, qui possède un mouvement d’irradiation sur l’entourage.
- Mélangé au bleu, il s’éloigne de l’homme pour donner le Violet, qui est un rouge refroidi.
- Le rouge et le vert forment le troisième grand contraste, et l’orangé et le violet le quatrième.
Point et ligne sur plan (1926)
Ce second ouvrage théorique fut publié en 1926 alors que Kandinsky était professeur au Bauhaus. Il propose une analyse des éléments géométriques qui composent toute peinture : le « point », la « ligne » et le « plan originel » (P.O.), qui est le support physique sur lequel l’artiste peint. Cette analyse est menée du point de vue de leur effet intérieur et purement subjectif sur le spectateur.
L’Analyse des Éléments Picturaux
- Le Point: Le point utilisé par le peintre n’est pas une abstraction mathématique ni un point géométrique ; c’est une petite tache de couleur concrète déposée sur la toile, possédant une extension, une forme (carrée, triangulaire, ronde, etc.) et une couleur. Bien qu’étant la forme la plus concise, sa tonalité affective varie selon son emplacement sur le plan originel, qu’il soit isolé ou en résonance avec d’autres éléments.
- La Ligne: La ligne est le produit d’une force, résultant d’un point sur lequel une force vivante a été exercée dans une direction donnée par la main de l’artiste.
- La ligne droite résulte d’une force unique dans une seule direction.
- La ligne brisée résulte de l’alternance de deux forces de directions différentes.
- La ligne courbe ou ondulée est produite par l’action simultanée de deux forces.
- L’effet subjectif d’une ligne dépend de son orientation:
- La ligne horizontale (associée au sol et au repos) a une tonalité sombre et froide, comme le noir ou le bleu.
- La ligne verticale (associée à la hauteur, sans point d’appui) a une tonalité lumineuse et chaude, proche du blanc ou du jaune.
- La diagonale possède une tonalité chaude ou froide selon son inclinaison par rapport à ces axes.
- Une force qui se déploie sans obstacle (ligne droite) correspond au « lyrisme », tandis que des forces qui s’opposent (ligne brisée) forment un « drame ».
- L’angle d’une ligne brisée a également une sonorité intérieure : chaude et proche du jaune pour un angle aigu (triangle), froide et similaire au bleu pour un angle obtus (cercle), et semblable au rouge pour un angle droit (carré).
L’Effet du Plan Originel (P.O.)
Le « plan originel » est généralement rectangulaire ou carré, délimité par des lignes horizontales et verticales. Il est considéré comme un être autonome qui sert de support à la peinture et lui communique une tonalité affective, déterminée par l’importance relative des lignes horizontales (tonalité calme et froide) et verticales (tonalité calme et chaude). L’artiste choisit le format de la toile en fonction de la tonalité souhaitée, car Kandinsky considérait le P.O. comme un être vivant que l’artiste « féconde » et dont il sent la « respiration ».
De plus, chaque partie du plan originel possède une coloration affective propre qui influence les éléments dessinés. Le haut du P.O. correspond à la souplesse et à la légèreté, tandis que le bas évoque la densité et la pesanteur. Kandinsky avertissait cependant que pour ce type d’expérience intérieure, il est préférable de se fier à la première impression, car la sensibilité se lasse rapidement et cède la place à l’imagination.
🎭 Autres Expressions Artistiques
Kandinsky n’a pas limité son activité à la peinture et à la théorie. Il a également exploré d’autres domaines, cherchant la synthèse des arts.
Poésie : Klänge (Résonances)
Le recueil de poèmes en prose Klänge (Sons, Sonorités ou Résonances), paru en 1913, est un cas exceptionnel dans son œuvre. Il représente le sommet d’une période que les critiques qualifient de « géniale » et l’artiste de « lyrique ». Ce livre rassemble 38 textes écrits entre 1909 et 1912 et est accompagné de 56 xylographies en couleurs et en noir et blanc.
Kandinsky considérait ces poèmes comme un « changement d’instrument », remplaçant la palette par la machine à écrire pour réaliser un « travail synthétique ». Parmi ses publications graphiques figure également Poèmes sans paroles (1904), son premier album de xylographies.
Compositions Scéniques
Aspirant à la synthèse des arts, Kandinsky a écrit plusieurs petites pièces de théâtre ou compositions scéniques visant à associer la couleur de la peinture, le son de la musique et le mouvement de la danse. Ses principales compositions scéniques sont Sonorité jaune (1909), Sonorité verte (1909), Blanc et noir (1909) et Violet (1911). Il a également rédigé un texte sur le sujet intitulé Über Bühnenkomposition (De la composition scénique), paru dans L’Almanach du Cavalier bleu en 1912.
🔍 Héritage et Documentation
Kandinsky est une figure dont l’impact est non seulement visible dans ses œuvres, mais aussi à travers ses écrits et les institutions qu’il a marquées.
Archives et Catalogues
La documentation relative à Vassily Kandinsky est largement conservée à l’international.
- Le fonds d’archives de Vassily Kandinsky et le sous-fonds Nina Kandinsky sont conservés à la Bibliothèque Kandinsky, au Centre Pompidou à Paris. Le Centre Pompidou possède également la plus grande collection de ses peintures, léguées par Nina Kandinsky.
- D’autres documents, comme les Wassily Kandinsky papers, 1911-1940, sont conservés au Getty Research Institute à Los Angeles.
- Les archives du Bauhaus, où il fut professeur, sont conservées à Berlin.
- Les catalogues raisonnés de son œuvre peinte, couvrant les périodes 1900-1915 et 1916-1944, ont été établis par Hans K. Roethel et Jean K. Benjamin.
Reconnaissances
L’influence de Kandinsky s’étend au-delà du domaine artistique.
- L’astéroïde de la ceinture principale (2662) Kandinsky a été nommé en son honneur.
- En 2021, un timbre a été émis représentant une de ses œuvres intitulée Dans le cercle.
- Il est associé à d’autres maîtres du modernisme et membres du Bauhaus, tels que Paul Klee, Josef Albers, et Walter Gropius.
En conclusion, Kandinsky, après une formation initiale en droit et en économie politique, a bouleversé le monde de l’art à l’âge de trente ans, embrassant la peinture par une nécessité spirituelle. Guidé par la synesthésie et influencé par des chocs visuels et scientifiques, il a développé l’art abstrait comme une quête d’expression intérieure, théorisée de manière exhaustive dans ses deux ouvrages fondamentaux. Son œuvre, qui a traversé des phases lyriques (Le Cavalier bleu) et géométriques (Le Bauhaus), demeure un témoignage essentiel de la transformation de l’art au XXe siècle, privilégiant la résonance de la couleur et de la forme sur l’âme humaine. L’héritage de Kandinsky est celui d’un artiste qui a su donner une structure philosophique et une grammaire visuelle à l’invisible, transformant la toile en un miroir de la vie phénoménologique absolue.
